Alcool : « Le lieu de travail est intéressant pour faire de la prévention »

Alcool : "Le lieu de travail est intéressant pour faire de la prévention" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 88872 Addiction Alcool

13,4 % des 18-24 ans déclarent au moins 10 ivresses par an (source : Consommation d’alcool en France métropolitaine / Santé publique France 2019). ©Jean-Luc Boiré/CCAS

À l’occasion du Dry January (faire une pause alcool pendant un mois), Corinne Dano, médecin addictologue au CHU d’Angers et médecin du travail, répond à nos questions.

Pourquoi tenter le défi du zéro alcool ?

L’objectif est de porter une attention particulière à sa consommation d’alcool. Mais la transposition littérale du Dry January (« janvier sec ») tel qu’il a été lancé en 2013 en Grande-Bretagne est peut-être un peu trop radicale pour notre pays : on peut déjà essayer d’être attentif à notre habitude pendant une semaine ou en essayant de diminuer sa consommation pendant un mois. L’intérêt est que tout consommateur puisse y réfléchir, même si l’on sait que 80 % de l’alcool bu en France l’est par seulement 20 % des consommateurs.

Pourquoi ne pas simplement boire avec modération ?

« Boire avec modération », le message que l’on entend depuis longtemps dans les campagnes de prévention a peut-être perdu de son impact, de son sens. Modération ? On ne sait plus trop à quoi cela renvoie exactement. L’idée est donc de proposer à chacun d’observer, de voir ce qu’il peut faire pendant un temps donné. Ce n’est pas forcément une injonction à arrêter, c’est expérimenter un changement et ce n’est pas forcément facile dans un pays comme la France où ce sujet est extrêmement tabou.

« Tout est mélangé : la culture, la tradition, l’économique, la convivialité… »

D’où vient ce tabou ?

À l’annonce de l’événement, il y a eu une levée de boucliers des lobbys viticoles qui pensaient qu’il s’agissait d’interdire la consommation du vin pendant un mois. Les gros enjeux économiques s’ajoutent au fait que l’on entre dans la sphère de la vie privée. Alors tout est mélangé : la culture, la tradition, l’économique, la convivialité… Avec cet amalgame, il devient compliqué d’aborder le sujet et donc, aussi, de comprendre pourquoi on consomme.

"L'alcool, voilà l'ennemi", tableau mural contre l'alcoolisme par le docteur Galtier-Boissière, Armand Colin, 1900. A noter, les "bons" et les "mauvais" alcools.

« L’alcool, voilà l’ennemi », tableau mural contre l’alcoolisme par le docteur Galtier-Boissière, Armand Colin, 1900. A noter, les « bons » et les « mauvais » alcools. ©gallica.bnf.fr/BNF

À quel moment doit-on se sentir concerné?

C’est particulièrement intéressant pour les consommateurs qui sont au-dessus des seuils à risque définis par Santé publique France. Ce seuil, c’est dix verres par semaine (pour les hommes comme pour les femmes), avec préférentiellement deux jours consécutifs d’abstinence dans la semaine et pas plus de deux verres par jour. On peut se situer dans un usage à risque sans le savoir, raison pour laquelle il n’est pas inutile de communiquer sur ces seuils.

Les femmes qui ont des responsabilités professionnelles peuvent avoir des alcoolisations autant, voire plus importantes, que celles de leurs homologues masculins.

Les femmes sont-elles autant exposées que les hommes ?

Alors que la consommation globale en France diminue, celle des femmes augmente ainsi que celle des jeunes filles. Les comportements s’homogénéisent. Les femmes qui ont des responsabilités professionnelles peuvent avoir des alcoolisations autant, voire plus importantes, que celles de leurs homologues masculins. On a longtemps associé alcoolisation féminine avec dépression et traumatisme, ce n’est plus forcément le cas. Il y a désormais une banalisation de la consommation, avec des phénomènes d’entraînement plutôt conviviaux, de la même façon que chez les hommes.

L’employeur a-t-il un rôle à jouer dans la prévention de l’alcoolisme ?

L’employeur est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés. Il est pleinement responsable de ce qui se passe dans son entreprise. Lorsque quelqu’un a un problème d’alcool ou d’addiction quelle qu’elle soit dans l’entreprise, tout le monde est concerné : les collègues ont non seulement un droit mais aussi un devoir d’alerte. Communiquer autour de cela, c’est d’autant plus important qu’il n’y a rien de pire qu’un salarié qui s’enfonce dans un problème d’alcool, car s’il s’enfonce dans l’addiction, on perd du temps en termes de prévention.

Le lieu de travail est intéressant pour faire de la prévention car elle touche la population active de 18 à 65 ans et plus. Il ne faut pas que l’appel du Dry January soit vécu comme une injonction à être abstinent. Il pourrait être intéressant de faire rentrer ce mois dans les entreprises où il serait inclus dans une prévention au long cours.

« L’alcool n’a pas le pouvoir addictogène fort de l’héroïne ou de la cocaïne. La perte de contrôle et l’entrée en dépendance sont plus insidieux. »

Quelle est la spécificité de l’addiction à l’alcool ?

L’alcool n’a pas le pouvoir addictogène fort de l’héroïne ou de la cocaïne. La perte de contrôle et l’entrée en dépendance sont plus insidieux, ils prennent davantage de temps. Des personnes deviennent dépendantes sur le plan psychologique et comportemental parce que leurs habitudes sont devenues très importantes. On se fait piéger, on ne se rend pas compte que l’on est en train de perdre le contrôle. D’où l’idée, comme le propose le Dry January, d’être attentif à sa consommation.

Ensuite il y a les dommages liés à la consommation d’alcool, désormais bien connus mais aussi les troubles cognitifs avec cette abrasion des capacités cognitives, pas forcément repérée en tant que telle immédiatement. Et puis il y a les dommages socioprofessionnels et ceux des relations avec l’entourage. Pour finir, je dirai que cette addiction est souvent repérée tardivement parce que tolérée longtemps.

Les chiffres clés sur la consommation d’alcool en France

  • 87 % des 18-75 ans consomment de l’alcool au moins une fois par an
  • 11,7 litres par an et par personne de 15 ans et plus
  • 26 % des 65-75 ans déclarent une consommation quotidienne d’alcool
  • 13,4 % des 18-24 ans déclarent au moins 10 ivresses par an
  • 10 % des 18-75 ans consomment à eux seuls 58 % de l’alcool consommé
  • 23,6 % des personnes de 18-75 ans dépassaient les repères de consommation en 2017
  • 41 000 décès attribuables à l’alcool par an, dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes
  • 16 000 décès par cancer et 9 900 décès par maladie cardiovasculaire chaque année

Source : Consommation d’alcool en France métropolitaine / Santé publique France 2019

En savoir plus : www.addictaide.fr/

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1 Commentaire
  1. Groupe AA Altkirch 4 ans Il y a

    Bonjour

    moi même alcoolique abstinent, je ne retrouve rien dans l’article sur la souffrance de l’alcoolique. De mon expérience, en cherchant les causes de mon alcoolisme je n’ai réussi qu’à être complaisant envers ma personne.
    je suis chez les Alcooliques anonymes depuis 2013 et suis abstinent depuis grâce aux partages et aux témoignages entre alcooliques.

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