Calais-Trébeurden

Marine et Agnès accompagnent Ibrahim et Mustapha pour leur premier cours. ©C.Crié/CCAS

Marine et Agnès accompagnent Ibrahim et Mustapha pour leur premier cours. ©C.Crié/CCAS

Depuis le 26 octobre, 60 réfugiés sont accueillis dans les centres CCAS de Trébeurden et de Trégastel, deux des quatre CAO (centre d’accueil et d’orientation) mis en place par l’État dans les Côtes d’Armor. Rencontre avec ces hommes sortis de l’enfer de Calais, les bénévoles et les salariés, qui, ensemble, forment depuis deux semaines une communauté humaine et solidaire. 

Quand nous demandions, l’an passé, à Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, quel était l’état d’esprit d’un demandeur d’asile, il nous répondait : « L’attente. » Et, en franchissant les portes du centre de Trébeurden, c’est effectivement l’impression qui saisit : celle d’une grande salle d’attente. C’est le silence qui se remarque le plus. Assis autour de la table de presse ou sur un banc à l’accueil, au premier salut les visages s’éclairent d’un sourire et les mains se tendent. Puis, très vite, les yeux replongent dans les smartphones. Dehors, le vent de noroît siffle. La mer, émeraude, est un champ de course de moutons blancs affolés.

On peine à se souvenir de l’allée et venue des vacanciers sous le soleil des contre-allées du bord de mer, des voiles blanches. Comme le village, ces hommes sans adresse, qui ont trouvé refuge à l’abri des lourds murs du centre de Trébeurden, battus par les vents et la pluie, sont eux aussi hors saison. Il y a dix jours encore c’était la boue de Calais, les bâches qui claquent, les couvertures humides, les interminables files d’attente, et le qui-vive permanent. Dans la chaleur de Trébeurden, qui dira, sur le sol chaud et sec, dans la lumière adoucie de l’après-midi, le luxe inouï de chausser des tongs…

Lire aussi : Calais : « Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas« 

L’accueil, c’est pas les vacances

Depuis le 26 octobre, le centre de Trébeurden accueille des ressortissants soudanais, et Trégastel, en grande majorité, des Afghans. Ces deux centres de vacances de la CCAS ont désormais le statut de CAO (centre d’accueil et d’orientation) – il en existe un peu plus de 450 en France – et sont placés sous la gestion de Coallia, association d’insertion, créée en 1962, et qui compte trois mille salariés. Elle s’est vu confier par l’État la gestion de la plupart des CAO du nord de la Loire sous l’autorité de la préfecture.

La durée de la convention de mise à disposition de ces deux centres de vacances, signée entre l’État et la CCAS, est de cinq mois. À Trébeurden s’ajoute une prestation de restauration assurée dont le coût est pris en charge par l’État, comme le sont les frais d’entretien, de ménage et d’éventuelle remise en état. Avant que leur demande d’asile n’aboutissent, les réfugiés ne touchent aucune aide pécuniaire. Si c’est le cas, ils se verront octroyer une aide 6,80 € par jour et par personne. En attendant, l’association gestionnaire leur accorde un pécule de 50 € mensuel. Au terme de leur demande d’asile – un à deux mois – les réfugiés rejoindront un Cada (centre d’accueil de demandeurs d’asile).

©C.Crié/CCAS

« Les essentiels du migrant du XXIe siècle : nourriture, abri et smartphone. » titrait le New York Times en août 2015. ©C.Crié/CCAS

Des gens heureux

L’annonce de l’arrivée d’une cinquantaine de migrants sur cette côte avait délié les méchantes langues. De petits rassemblements d’extrême droite ont provoqué des contre-manifs solidaires nettement plus étoffées. Pour prolonger le mouvement, le collectif « Les gens heureux« – qui ne font pas que lire et boire du café – regroupe 1200 personnes mobilisées autour des CAO afin de donner un coup de main : du covoiturage, des cours de français, de l’assistance et de l’amitié à qui en voudra.

« Vous allez être confrontés à des histoires difficiles »

Cet après-midi, Sandrine Silvaire, responsable départementale du premier accueil chez Coallia, et Nathalie Chevance, coordinatrice de Coallia pour les Côtes d’Armor et l’Ille-et-Vilaine, ont convié une dizaine de bénévoles à se familiariser avec les « récits de vie » qui complètent la demande d’asile, première étape d’un long parcours administratif pour chacun des réfugiés : « Vous allez être confrontés à des histoires difficiles, prévient avec délicatesse Sandrine. Il faut savoir vous protéger vous aussi d’histoires individuelles dramatiques. Mais paradoxalement aussi du déni, parfois, de certains traumatismes. » Sandrine est formelle : « Les officiers de protection de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) sont des spécialistes très pointus des pays dont sont issus les réfugiés. Ils s’entretiendront avec un interprète de la langue d’origine de chacun. »

Anne est une des bénévoles présentes : « Cela tombe bien, je suis fille d’agent de Gaz de France », rigole-t-elle. La quarantaine, salariée à la mission d’insertion de Pleumeur-Bodou, et photographe de presse locale, elle n’a pas hésité un instant dès qu’elle a eu connaissance de l’existence du collectif : « C’est marrant, mais je me suis revue en colo avec la CCAS. Cet été-là, il y avait des petits Chiliens avec nous. Leur image est remontée de ma mémoire. Alors je suis là ! » Comment expliquer le succès du collectif ? « Ici, répond Anne, il existe un maillage serré d’associations et pas mal de retraités qui ont du temps à offrir. »

Marine, qui assure le cours de français, est aide à domicile : « Le mari d’une de mes “mamies” était agent EDF. C’est drôle. Elle m’a posé, un peu inquiète, plein de questions sur les migrants. Et hier elle avait préparé un sac plein de vêtements pour eux. »

Réunion d'information menée par Sandrine Silvaire de l'association COALLIA auprès des bénévoles du collectif 'Les Gens Heureux'. ©C.Crié/CCAS

Marine donne leur premier cours de français à Ibrahim et Mustapha dans le local « La maison de la mer ». ©C.Crié/CCAS

La chanson d’Ali

À Trébeurden, il y en a un qui connaît bien son monde, c’est Antony le gardien de la nuit, employé par Coallia. La trentaine rondouillarde, Antony est ancien « cabot chef », maître-chien sur la base aérienne d’Istres (Bouches-du-Rhône), revenu de Libye il y a deux ans : « Ces gars-là sont formidables ! Quel courage de tout quitter, de tout risquer. Ils viennent la nuit me parler pendant des heures de ce qu’ils ont vécu, de leurs peurs surtout. » Les tam-tams sur le comptoir du centre, c’est lui qui les a ramenés.

Il prévient Ali, 24 ans, qu’après-dîner il sera de concert : « Ali, maintenant, c’est un ami. Depuis dix jours que nous sommes là, il passe toutes ces nuits avec moi à me raconter sa traversée de la Méditerranée. Il a failli y laisser sa peau. Il ne s’en remet pas. Dès qu’il ferme les yeux pour s’endormir, il se revoit nager pour ne pas se noyer. »

Ali, Awad et Anthony ©C.Crié/CCAS

(De g. à d.) Ali, Awad et Anthony ©C.Crié/CCAS

Ali, le voilà. Qu’est-ce qui distingue sa dégaine de celle d’un jeune d’ici ? Rien. Si, ses lunettes de soleil qui ne quittent pas son front, comme une prière au soleil breton. Comme tous ses compagnons, Ali est originaire du Darfour, au Soudan. Selon l’ONU, la poussée de violence entre forces gouvernementales et rebelles, à partir de l’hiver dernier, « a eu pour résultat le pire déplacement de populations civiles dont l’ONU a été témoin dans la dernière décennie » dans la zone de Jebel Marra.

« Je suis passé en Lybie, raconte Ali. Là c’est très dangereux, on te tue pour rien. J’ai fait le chauffeur quelques mois. » Avec les quelques sous gagnés, il embarque pour la traversée :

« On était trois cents au départ. Dès que la côte italienne est apparue, le bateau a chaviré. J’étais paniqué, je nageais, nageais. Deux, trois heures, je ne sais plus. À terre on n’était plus qu’une centaine, tous les autres étaient morts. On nous a parqués en Italie. On a donné nos “fingers” (empreintes digitales). Et là plus question de partir. Les policiers nous matraquaient. »

Avec le petit groupe réuni ce soir-là dans la salle de spectacle de Trébeurden, il a franchi le tunnel ferroviaire de Vintimille. « Oh là ! très, très dangereux », se souvient Ali. Et puis, ils ont pris des trains pour se retrouver à Calais. Pourquoi ? « Tous les gens nous disaient d’aller à Calais. » Ali hoche la tête dans un sourire. Au rythme lent du tam-tam, il entonne une mélopée soudanaise, comme un point de suspension à son histoire.

Les repas sont préparés servis sur place. ©C.Crié

Les repas sont préparés et servis sur place. ©C.Crié/CCAS

« Je n’ai aucun problème, assure le chef Matthieu. Je ne prépare pas de porc – ce ne serait pas malin, glisse-t-il – mais du poisson, du poulet. Ils ont du mal avec la viande saignante. Ils adorent les fruits et… le ketchup. » Colette est formelle : « Aucun problème. Franchement très respectueux, nickel. » Ali est devant son dessert, une île flottante : « Like my boat ! », sourit-il. Le repas terminé, comme un seul homme, les vingt-cinq se lèvent. En un clin d’œil, assiettes, couverts, nappes en papier ont disparu. La salle a retrouvé son état d’origine. Impressionnante démonstration collective…

Coup de vent solidaire

Agnès et Marine ont investi la Maison de la mer, mise à disposition par la mairie de Trébeurden, pour assurer le troisième cours de français. Ibrahim et Moubarak connaissent leur alphabet sur le bout des doigts. « Ah, difficile ! » s’exclament-ils en riant de leur prononciation du « u ». Presque autant que d’allumer une clope dans les embruns en compagnie d’Ibrahim. On y arrive quand même. On sourit. Entre deux bouffées, le regard sur la mer, et peut-être pour la première fois depuis qu’il a mis le pied sur la terre ferme, Ibrahim glisse qu’on lui a tué ses cinq enfants.

Pour la plupart ils viennent du Soudan. Anthony le gardien de nuit échange beaucoup avec eux dans un anglais approximatif. ©C.Crié/CCAS

Pour la plupart ils viennent du Soudan. Anthony le gardien de nuit échange beaucoup avec eux dans un anglais approximatif. ©C.Crié/CCAS

Jean-François Larher, le président de la CMCAS Haute-Bretagne, est passé nous voir à la Maison de la mer. Il est en grande discussion avec Agnès qui voudrait organiser une soirée diaporama sur la Bretagne avec le groupe de réfugiés, et à qui il propose qu’elle se tienne dans la salle de spectacle du centre : « On est disponible pour trouver des solutions et faire que tout se passe bien, assure Jean-François Larher. Les bénéficiaires ont compris, je crois, la démarche de la CCAS. Je pense que l’unanimité qui a présidé à la décision du conseil d’administration d’accepter de donner un coup de main a été très importante. La sollicitation d’un acteur local aussi important que la CMCAS et la CCAS était naturelle. Si cela permet de faire connaître à plus de gens la réalité des Activités Sociales des électriciens et gaziers, c’est pas mal aussi. Et puis, on est habitué ici. Je me souviens de l’accueil avec le Réseau éducation sans frontières (RESF) de familles mongoles en vacances. Cela a été une formidable expérience pour tout le monde. Je suis convaincu que ce que nous vivons aujourd’hui sera très positif. »

©C.Crié/CCAS

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5 Commentaires
  1. PIONCHON 7 ans Il y a

    bravo à la CCAS pour toute cette solidarité envers tous ces malheureux. Ils vivent l’enfer de la guerre, la séparation de leur famille, ils perdent tout.Tant mieux s’ils peuvent bénéficier d’un peu de chaleur humaine dans nos centres de vacances en espérant que ce n’est qu’un passage vers un avenir meilleur. Il ne faut pas tenir compte des réflexions médisantes. Je suis bénévole au SPF et j’ai vu des dossiers d’immignés qui n’ont rien pour vivre, et NON on ne leur donne pas tous quand ils arrivent en FRANCE
    nous ne sommes pas de privilégiés !!! défendons notre 1 % , tous les agents en bénéficient donc tous doivent se mobiliser en pensant que nos anciens se sont battus pour nous tous Soyons fiers de tout ça

    (Un HOAX est une rumeur sur Internet (on trouve souvent des HOAX pour des recherches » bidon »d’enfants..disparus) donc avant de donner suite à la rumeur il suffit de vérifier en saisissant HOAS sur Internet).

  2. Prat Jean-Claude 7 ans Il y a

    Qu’est-ce qu’un hoax ?

    On appelle hoax (en français canular) un courrier électronique propageant une fausse information et poussant le destinataire à diffuser la fausse nouvelle à tous ses proches ou collègues.
    Ainsi, de plus en plus de personnes font suivre (anglicisé en forwardent) des informations reçues par courriel sans vérifier la véracité des propos qui y sont contenus. Le but des hoax est simple :
    provoquer la satisfaction de son concepteur, ravi d’avoir berné un grand nombre de personnes.
    Pour plus d’informations ouvrir le lien de « www.commentçamarche.net » ci-dessous:
    http://www.commentcamarche.net/contents/1225-les-canulars-hoax

  3. Jackie 7 ans Il y a

    Bon commentaire avec la réflexion sur le 1% ,nous oublions trop souvent que nous sommes privilégiés..ne jamais perdre notre humanité devient un défi..merci à tous ceux qui nous donne de belles leçons de compassion . …que veut dire :HOAX.?

  4. Daniel Mino 7 ans Il y a

    Bravo, je suis fier de nos activités sociales et de celles et ceux qui les font vivre
    Devant de telles situations dramatiques, être solidaires de ces actions, c’est déjà lutter un peu contre notre égoïsme, même si on se sent impuissant devant tant de misères
    Oui, un autre monde, plus juste, plus fraternel, est possible. A nous de le faire émerger lors des élections de l’an prochain

  5. Dumortier 7 ans Il y a

    J’étais à trebeurden en septembre. Quand je vois ces hommes assis sur le banc de l’accueil ça me rappelle que moi je m’y asseyais pour attendre le groupe qui allait se balader. Le seul stress pour nous c’était : va t il faire beau ? Dans le groupe il y avait des bénéficiaires qui osaient dire : que fait l’état pour NOS SDF ? Parce que eux faisaient certainement quelque chose pour les SDF. Parce qu’ à EDF il y a également des proches de la suprématie blanche des extrémistes de droite qui ont un esprit colon bien ancré. Je le savais mais pendant le séjour c’était flagrant. Certains bénéficiaires qui soit dit en passant vont en vacances grâce au 1% , donc grâce entre autres à tous ceux qui se chauffent à l’électricité dans des taudis qui laissent passer l’énergie par tous les pores de ce que certains propriétaires appellent logement. LES HOAX sur les migrants et les assistés fusaient pendant les repas…. vous savez ces histoires où d’aucuns racontent que les migrants ont tout alors que eux pauvres agents retraités ils doivent travailler pour avoir ce qu’ils ont. J’ai bien tenté de les amener à comprendre que ce sont des hoax mais c’était peine perdue. J’avais des gens bornés à côté de moi donc jai change de place et je les ai laissé discuter de l’intérêt des Omega 3 et 12 dans un repas. Ils ont de la chance ces migrants. Ils ne savent pas ce que c’est que d’avoir du cholestérol.
    Félicitations à toute l’équipe de trebeurden félicitations à tous ces bénévoles qui pensent à l’être humain et qui travaillent pour l’être humain sans jugement.

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