François Duteil : « Il faut se transformer pour rester soi-même »

François Duteil lors du 50e anniversaire "ÉNERGIE DE L'ÉMANCIPATION" L'utopie au travail. Paris La Géode - 10 avril 2014©J.Marando/ccas

François Duteil lors du 50e anniversaire « Énergie de l’émancipation ». L’utopie au travail. Paris La Géode – 10 avril 2014 © J.Marando/ccas

Après une première version au début des années 1980, François Duteil, président de l’Institut d’histoire sociale des Mines et de l’Énergie, signe « Les bâtisseurs. Luttes et gestion à la CCAS » (éditions Arbre bleu). Entretien avec l’auteur sur l’histoire de la CCAS et sur ses défis pour l’avenir.

« Je considère que les Activités Sociales, c’est l’affaire de tous les électriciens et gaziers, mais c’est une affaire syndicale avant tout, c’est un héritage des luttes, du syndicalisme… »

La naissance des « œuvres sociales »
« Après la Première Guerre mondiale, le patronat crée ses œuvres sociales. C’est à la fin des années 1920, début des années 1930, que le syndicat se pose la question d’avoir ses propres œuvres sociales et non pas de rentrer dans les œuvres sociales patronales ou de se battre pour une gestion démocratique de celles-ci. En 1934, dans la région parisienne et sur Bordeaux notamment, où les industries gazières étaient développées, les premières œuvres sociales se créent, plus en terme de conseil juridique, aides à la santé, aux soins, coopératives et le début de colonies de vacances. »

1946, « le grand tournant »
« Le grand tournant, c’est 1946, la loi de nationalisation, qui prévoit des œuvres sociales. Quand Marcel Paul [ministre communiste de la Production industrielle] a porté la loi de nationalisation, il n’avait pas vu qu’il y avait beaucoup de petits porteurs d’actions des anciennes sociétés privées. Le MRP de l’époque, opposé à la nationalisation, a dit qu’on allait les spolier. Marcel Paul en a conclu, car il fallait coûte que coûte que la loi passe, que les gros porteurs ne devaient pas être indemnisés car beaucoup avaient collaboré avec les nazis, mais qu’il fallait passer par l’indemnisation [des petits porteurs]. Et puisqu’on donne 1% aux actionnaires, eh bien, on va donner 1% au personnel. »

Les Bâtisseurs de François Duteil©Edition Arbre Bleu

« Les Bâtisseurs » de François Duteil © Edition Arbre Bleu

Le coup de force de 1951
Le CCOS (Conseil central des œuvres sociales), qui deviendra CCAS en 1955, est mis en place en 1947 mais en février 1951, intervient ce que François Duteil appelle « le coup de force » du gouvernement, qui consiste à déposséder les organisations syndicales de sa gestion. S’ensuit « une gestion patronale, rien ne s’est fait, pas d’investissement et il a fallu repartir quasiment de zéro. »

L’âge d’or ?
En 1964, la gestion se fait à nouveau par les représentants syndicaux. « On est dans la période des Trente glorieuses, où grosso modo, la consommation d’électricité double tous les dix ans, d’où une augmentation régulière des rentrées financières [de la CCAS]. C’est pourquoi je parle d’âge d’or, avec toutefois un point d’interrogation. Objectivement, les questions financières ne se posaient pas de la même façon, ce qui fait qu’on a pu investir, développer toute une série d’activités pour enfants, adultes, des centres de santé et centres de soins, mener quelques expériences comme les maisons de retraite et les maisons pour handicapés. »

L’offensive libérale
« Dans la deuxième moitié des années 1990, l’offensive libérale commence à EDF-GDF. Ensuite, ce sont les directives européennes sur la déréglementation. Donc, nouvelle offensive contre les activités sociales, modification des régimes de retraite, modification du régime mutualiste avec la création de la Camieg [Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières], notre caisse de sécurité sociale. »

La culture, le sport, la santé, la formation…
« Dès 1947, Marcel Paul pose la question de la culture, avec une idée : « Pas un centre de vacances sans sa bibliothèque ». Le livre est souvent le premier accès à d’autres formes de culture. La CCAS est également le premier opérateur de théâtre vivant en France. C’est celui qui emploie le plus d’intermittent du spectacle en été. » François Duteil ajoute le « développement du sport, avec là aussi une évolution, puisqu’on est passé de la compétition à la rencontre sportive. » Les Activités Sociales, ce sont aussi les « centres de santé », qui contribuèrent à « une sorte de solidarité envers la population des quartiers ». Quant à la formation, elle tire ses origines dans l’école des cadres de la CCAS, créée en 1948 à Bouray sur Juine (Essonne). « L’idée était de former des électriciens et des gaziers à encadrer un centre de vacances. En 1970, en prenant appui sur la loi sur la formation continue, on crée l’Iforep [Institut de formation, de recherche et de promotion], pour former les électriciens et gaziers à être des acteurs des Activités Sociales et permettre au personnel de la CCAS d’avoir une formation qui ne soit pas qu’utilitaire, qui englobe l’aspect culture. L’autre volet de l’Iforep, c’est la recherche, avoir un outil pour coopérer avec le monde universitaire. »

Les défis d’aujourd’hui et de demain
« Il faut se transformer pour rester soi-même. » Pour François Duteil, le premier défi de la CCAS, c’est le « rassemblement », savoir « passer le compromis sans rogner les valeurs fondamentales ». Il y ajoute les défis « intergénérationnel » et « sociologique », que posent les évolutions de la société. Vient ensuite « le défi financier, se battre auprès des directions pour qu’elles versent ce qu’elles doivent verser ». Défi de la solidarité également : « Dans une centrale nucléaire, on a environ un millier d’agents EDF-GDF, qui mangent au restaurant CCAS, 500 salariés permanents de sous-traitance, qui mangent à la cantine inter-entreprise et mille ouvriers intérimaires, qui mangent à la gamelle. Quand tout ce monde-là mangera dans le même lieu, je pense qu’on aura gagné la solidarité. » François Duteil évoque aussi « le défi de la démocratie, avec ses deux corollaires, proximité et transparence ». Pour lui, la Section locale de vie (SLVie) doit être « une véritable assemblée populaire des activité sociales ». L’auteur conclut sur le défi de la « décentralisation » : « Il faut garder l’organisme national, pour la cohérence d’ensemble et l’égalité de droit, qu’on soit à Dunkerque, Marseille, Grenoble ou Brest. Ensuite, je suis pour une structure régionale ou inter-régionale, qui serait une union des CAS. Montreuil serait l’endroit où on conceptualise et la mise en œuvre se ferait sur le terrain, avec une certaine autonomie. »

Propos recueillis par Ludovic FINEZ

 

1 Commentaire
  1. cornet marcel 9 ans Il y a

    Je suis rentre au gaz de France a Saint Denis usine du LANDY au mois d,octobre
    1950 j,ai donc aujourd,huy 88 ans .militant syndical et social pendant toute ma carriere
    j,ai vecu toute l,episode du coup de force du gouvernement Laniel e n 1951contre le CCOS. Je trouve les arguments de notre camarade François Dutheil bien en dessous de la verite par rapport à notre engagement syndical de l;,epoque.ILest vrai qu,un arret
    de travail à ce moment là etait spontane et suivi à 95 pour cent du personnel.
    Le site du Landy compté 2000 personnes toute branches confondues.
    Bien fraternellement à tous et longue vie au Gazier. Marcel Cornet

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