50 ans de la loi Veil : un anniversaire pas si joyeux

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Trois femmes de différents âges réagissent aux 50 ans de la loi Veil qui dépénalise l'avortement en France. Dessin de Camille Besse.

Le 17 janvier 1975, la loi Veil qui dépénalise l’avortement en France est définitivement adoptée. ©Camille Besse/CCAS

Le 17 janvier 1975, la loi Veil entrait en vigueur en France. Obtenue de haute lutte à l’issue de débats qui ont divisé la France, la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse a offert un cadre médicalisé et légal à des milliers de femmes concernées. Près de cinquante ans plus tard, la liberté d’avorter est entrée dans la Constitution française. Itinéraire d’un droit durement gagné, mais toujours fragile.

IVG en France : d’évolutions en révolutions

1972, l’affaire dite de Bobigny. Une adolescente de 16 ans, Marie-Claire Chevalier, est poursuivie en justice pour avoir avorté clandestinement à la suite d’un viol. Défendue par l’avocate Gisèle Halimi, elle est finalement acquittée. Son procès marque un tournant. La médiatisation large de cette affaire permet de sensibiliser les Français·es à un sujet jusque-là cantonné aux sphères militantes… et elle ouvre la voie à la transformation de la vie politique.

1974 voit en effet la création d’un secrétariat d’État à la Condition féminine, confié à Françoise Giroud par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing. Simone Veil, nommée ministre de la Santé, présente alors un projet de loi dépénalisant l’avortement. Ce dernier se heurte à une opposition virulente, notamment de la part de certains députés, de l’Église catholique et de mouvements conservateurs.

Adopté en décembre 1974 par le Parlement à l’issue de vingt-cinq heures de débats, le texte est définitivement promulgué le 17 janvier 1975. Il fixe un délai légal de dix semaines pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG), qui sera par la suite allongé à douze semaines à l’aube des années 2000, puis à quatorze semaines en 2022.

En 1993, le délit d’entrave à l’IVG est instauré pour protéger les femmes des pressions exercées par des militants anti-avortement. L’accès à l’IVG est également simplifié grâce à des mesures comme la prise en charge financière intégrale par la Sécurité sociale en 2013, ou encore la suppression de l’obligation de justification pour les mineures. Enfin, la loi supprime en 2014 la notion de « détresse » nécessaire pour accéder à l’IVG, et en 2016 le délai de réflexion.

Les dates marquantes de l’IVG en France

  • 1920 : L’avortement est interdit par la loi et passible de sanctions pénales.
  • 1942 : L’avortement devient un crime contre l’État, puni de la peine de mort.
  • 1971 : Le « Manifeste des 343 », signé par des personnalités déclarant avoir avorté, relance le débat sur la dépénalisation.
  • 1972 : L’affaire de Bobigny met en lumière les risques liés à l’avortement clandestin.
  • 1975 : Promulgation de la loi Veil.
  • 1993 : Instauration du délit d’entrave à l’IVG.
  • 2001 : Le délai légal pour avorter passe de dix à douze semaines de grossesse.
  • 2013 : L’IVG est désormais entièrement remboursée par la Sécurité sociale.
  • 2022 : Le délai légal est allongé à quatorze semaines.
  • 2024 : La « liberté garantie » d’avorter est inscrite dans la Constitution française.

À droite, d’une opposition ferme à une frilosité assumée

Actuellement, 85 % des Français·es se déclarent favorables à l’IVG. Mais ce droit, qui divisait autrefois largement, connaît encore des oppositions plus ou moins discrètes. À l’extrême droite, l’opposition traditionnelle à l’IVG persiste au niveau local et même parlementaire – par exemple, en 2020, Hervé de Lépinau, député RN du Vaucluse, comparait l’avortement à un génocide –, mais les personnalités politiques de premier plan comme Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée, ou Jordan Bardella, président du RN, ne s’opposent plus directement au droit à l’IVG. Stratégie de dédiabolisation ou réel revirement idéologique ? La stratégie d’ouverture électorale du parti d’extrême droite au-delà de sa base traditionnaliste et conservatrice y est en tout cas pour quelque chose.

En 2012, lors de sa première candidature à l’élection présidentielle, Marine Le Pen proposait le déremboursement des « avortements de confort », expression sur laquelle elle est revenue lors de la campagne de 2022. « Il n’y aura aucune modification, ni du périmètre, ni de l’accès, ni du remboursement de l’IVG », déclarait-elle sur lemonde.fr. Toujours est-il que, la même année, elle s’opposait à l’allongement du délai de douze à quatorze semaines de grossesse, et que les députés RN n’ont pas participé au vote. Idem en 2024, au niveau européen cette fois : les eurodéputés RN n’ont pas soutenu la résolution d’inscription du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Délai pour avorter, nombre d’avortements pratiqués, clause de conscience médicale, financement du Planning familial, remboursement par la Sécurité sociale… au-delà du droit ou non d’avorter, les sujets relatifs à l’IVG sont nombreux. Ce sont autant de terrains sur lesquels culpabiliser les femmes et compliquer leur parcours d’IVG.

Sur ces questions, l’extrême droite est au pire réactionnaire, au mieux très frileuse et prompte à limiter le recours à l’IVG, soutenue en cela par des mouvements militants anti-choix extrêmement bien organisés. Le droit à l’IVG est remis en cause jusque dans l’espace public, chaque année en France, par ces mêmes mouvements réactionnaires anti-avortement, anti-contraception et contre l’aide à mourir.



La constitutionnalisation de la « liberté garantie » d’avorter

Près de cinquante ans après la loi Veil, la France est devenue le premier pays à garantir dans sa Constitution la liberté d’avorter. Le débat sur la nécessité de protéger le droit à l’IVG a sans doute été relancé après la révocation surprise du droit constitutionnel à l’avortement par la Cour suprême des États-Unis en juin 2022, qui a entraîné une interdiction totale ou partielle de l’IVG dans plusieurs États américains.

Fin 2022, un texte déposé par La France insoumise est voté à l’Assemblée. Modifié puis voté par le Sénat début 2023, il est finalement retiré par LFI suite à l’annonce par le gouvernement d’un calendrier législatif. C’est le texte déposé par l’exécutif qui est approuvé par le Conseil d’État avant d’être définitivement adopté le 8 mars 2024. Il stipule que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

L’un des aspects du débat a porté sur la nécessité, ou non, de garantir ce droit, et donc sur l’opportunité même de constitutionnaliser le droit à l’IVG : le président du Sénat Gérard Larcher, par exemple, estimait qu’il n’était « pas menacé » en France. Mais la majeure partie des dissensions politiques ont concerné une expression en particulier : la proposition de loi initialement votée par l’Assemblée garantissait « l’effectivité et l’égal accès au droit » à l’IVG, tandis que le projet de loi du gouvernement garantit « la liberté de recourir à l’IVG ».



La nuance est notable. Au-delà des débats juridiques sur la nuance entre droit et liberté, que le Conseil d’État a finalement balayée en estimant que le texte « n’aurait pas une portée différente » dans l’un ou l’autre cas, les raisons pour lesquelles cet aspect du texte a crispé à droite sont éloquentes : la garantie d’un « droit à l’IVG » en ferait un droit opposable, rendant l’État responsable des difficultés d’accès à l’IVG, mais pourrait aussi fragiliser la liberté des médecins et des sage-femmes à ne pas le pratiquer. Accusée d’être offensive et militante, la notion de « droit garanti » a donc disparu du texte, et il n’est plus fait mention de « l’accès à l’IVG ».

En l’état, le texte empêche, à moins d’une révision constitutionnelle, de supprimer le droit à l’IVG ou d’y porter gravement atteinte, et c’est une victoire saluée par les associations féministes. Mais il ne garantit pas que son accès ne sera pas restreint, empêché ou compliqué. Ce texte de concessions a certes permis une « unanimité rare sur l’échiquier politique », mais qui « reste un texte a minima », résume la professeure de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez dans Télérama. « Ce choix de formule, qui revient à dire que le législateur est compétent pour faire quelque chose qu’il fait déjà, est un recul indéniable par rapport à celui de l’Assemblée nationale », poursuit la juriste. Et dans les faits, il existe toujours des disparités territoriales dans l’accès à l’IVG, qui sont le reflet des politiques de santé publique… de gauche comme de droite.

L’IVG clandestin, troisième cause de mortalité maternelle dans le monde

Chaque année, selon l’OMS, 47 000 femmes meurent encore des suites d’avortements clandestins, en immense majorité dans des pays où l’IVG est illégale ou son accès restreint. Ces pratiques représentent la troisième cause de mortalité maternelle dans le monde.

Pourtant, les données montrent que son interdiction n’entraîne pas une baisse du nombre d’avortements : selon l’Institut Guttmacher, le taux d’IVG est de 37 pour 1 000 femmes dans les pays où elle est interdite, contre 34 pour 1 000 dans les pays qui l’autorisent.

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