Une sculptrice à Serre-Ponçon : les agents redécouvrent le barrage avec Suska Bastian

L'artiste Suska Bastian a été choisie parmi 50 artistes pour une résidence à Serre-Ponçon par un jury composé d'élus et de bénéficiaires de la CMCAS Gap-Avignon, de représentants d’EDF, de la CCAS et du Frac-Sud.

L’artiste Suska Bastian a été choisie parmi 50 artistes pour une résidence à Serre-Ponçon par un jury composé d’élus et de bénéficiaires de la CMCAS Gap-Avignon, de représentants d’EDF, de la CCAS et du Frac-Sud. ©Étienne Mehr/CCAS

Permettre aux agents de revisiter leur lieu de travail au travers d’un regard artistique : lors de la restitution de sa résidence au barrage de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), le 6 novembre dernier, la sculptrice Suska Bastian a présenté les œuvres qu’elle y a réalisées à l’automne aux équipes du groupement d’usines.

Le 6 novembre 2025, le barrage de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), surnommé le « château d’eau de la Provence », ouvrait ses portes de manière exceptionnelle pour clôturer la résidence de création de la plasticienne Suska Bastian, organisée par la CCAS et le Fonds régional d’art contemporain de la région Paca (Frac Sud).

Une quarantaine de personnes, dont des bénéficiaires de la CMCAS Gap-Avignon et une dizaine d’agents de la centrale, ont ainsi suivi l’artiste dans un parcours de quarante-cinq minutes à l’intérieur de la centrale. Ils y ont découvert plus d’une vingtaine d’œuvres, placées dans différents espaces du barrage (galeries, atelier, couloirs, etc.) pour l’événement : des dessins, des sculptures et des installations à base de matériaux détournés intégrées dans le lieu.

Au travers de cette déambulation, l’artiste souhaitait partager les sensations et les impressions qu’elle a éprouvées dans le barrage, où elle s’est sentie parfois comme projetée « dans un monde fantastique ». L’expérience a enrichi sa recherche personnelle autour de la rencontre entre la nature et le monde industriel, dont l’ambition est de « raviver un lien intime avec le vivant ».

Bio express : Suska Bastian

Une sculptrice à Serre-Ponçon : les agents redécouvrent le barrage avec Suska Bastian | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 163388 Residence artiste Suska Bastian Serre Poncon 2025Née en 1994 en Allemagne, Suska Bastian vit et travaille à Nice, où elle a suivi l’école d’art de la Villa Arson. En 2024, elle a inauguré sa première exposition personnelle (« Protective Shells », ou « coquilles protectrices »), à l’Espace de l’Art concret, à Mouans-Sartoux, dans le cadre du prix « Écho des Cimes ».

Dans ce contexte, elle a réalisé des sculptures monumentales pour la montagne de l’Audibergue. Depuis 2018, elle a exposé à Paris, Berlin, Francfort, Athènes et Monaco, au sein d’expositions collectives. Elle est membre de La Station, espace fondé et géré par des artistes, à Nice.

Site web : www.suskabastian.com

Dans l’atelier technique, de fascinantes « Pierres maillées »

Des sculptures intitulées « Pierres maillées », roches arrondies recouvertes de dentelles métalliques, étaient présentées dans l’atelier de l’usine. C’est dans cet espace que Suska Bastian les a réalisées durant sa résidence, utilisant les instruments et les machines-outils des agents pour travailler le métal.

Elle a notamment découpé en tranches des barres de profilé aluminium pour faire apparaître de curieux carrés ajourés. Après avoir assemblé ces pièces avec du fil de cuivre et des baguettes de soudure, elle en a recouvert des pierres de la Durance employées pour le barrage, construit en remblai.

« En arrivant ici, je me suis dit que je voulais faire un travail sur la rivière, confie-t-elle. En allemand, ma langue natale, on appelle les cours d’eau des ‘natures mortes’. Cela ne correspond pas à la réalité : comme je l’ai constaté ici, chaque jour, la rivière change de hauteur et de couleur, en fonction de la météo. C’est un être vivant. En détournant des matériaux industriels pour en faire des ornements de la pierre, où la lumière peut se refléter, j’ai voulu transformer une chose brute en un élément sensible. »

Des mille-pattes (« Tausendfüßler ») dans les galeries souterraines

Coiffés d’un casque de sécurité, les participants à la visite ont emprunté des galeries sombres et humides, à l’intérieur même du barrage. À la lueur d’une lampe de poche, chacun a pu découvrir des dessins sur papier représentant des mille-pattes, des « Tausendfüßler », créatures « cousines » des innombrables tuyaux qui courent le long des murs.

Suska Bastian tenait tout particulièrement à immerger les visiteurs dans ces espaces étranges, qui font penser à l’intérieur d’un organisme vivant. Au cours de sa résidence, elle a elle-même été marquée par l’expérience de descendre à l’intérieur d’une roue de turbine.

« C’était à l’usine de Curbans [Alpes-de-haute-Provence], raconte-t-elle. Les agents ont dû vider l’eau et descendre à l’intérieur de la roue pour enlever à la main une branche d’arbre qui la bloquait. Ils m’ont proposé de venir avec eux et je me suis retrouvée dans cet élément immense en forme d’escargot. J’ai eu l’impression d’être à l’intérieur d’un organe mécanique gigantesque. C’était une émotion viscérale ! »

Dans les couloirs de l’usine, une étrange « Pierre percée »

Le passage dans la monumentale usine a permis de découvrir les murs, où le béton voisine avec des pans entiers de schiste marneux laissés à découvert – une manière de rappeler que l’usine est construite dans la montagne.

Suska Bastian a préféré investir les couloirs peints en blanc pour y exposer d’autres pièces, délicates comme des bijoux, sur une série de billots de bois. Dans ces assemblages, le minéral se marie au métal. Des pierres rouges veinées qui ressemblent beaucoup à de la viande de bœuf sont traversées de mèches métalliques en spirale.

Ce rapprochement renvoie à différentes images, notamment le symbole de la flèche de l’Amour transperçant un cœur. Ces mèches métalliques, Suska Bastian les a glanées dans l’usine, parfois jusque dans la benne : elle a l’habitude de collecter des matériaux dans son environnement direct. Dans d’autres œuvres, elle a utilisé des vieux boulons de toutes tailles ou encore une vieille citerne rouillée.

C’est vous qui le dites !

Témoignages d’agents du barrage EDF de Serre-Ponçon, présents lors de la restitution de Saska Bastian. 

Jean-Claude Bonaïti, 57 ans, responsable d’exploitation du groupement d’usines de Serre-Ponçon« Le regard de Suska nous a rappelé que ce que nous faisons au quotidien est exceptionnel »

Jean-Claude Bonaïti, 57 ans, responsable d’exploitation du groupement d’usines de Serre-Ponçon

« Les architectes Jean de Mailly et Jean Prouvé, qui ont dessiné le barrage à la fin des années 1950, ont apporté un soin particulier à son esthétique, jusque dans certains détails architecturaux. De ce fait, je trouve que la présence d’une artiste comme Suska Bastian est une forme de continuité de l’histoire du lieu. Son installation dans l’atelier a obligé l’équipe à partager ses outils et changer ses habitudes : ce genre de petites perturbations peut apporter quelque chose de positif au collectif, qui doit s’adapter.

Le fait de pouvoir observer un processus de création apporte aussi une ouverture. À titre personnel, j’ai découvert, par exemple, que Suska se sert énormément de ses mains. Enfin, son regard sur notre travail nous a rappelé que ce que nous faisons au quotidien est exceptionnel : nous avons tendance à ne plus le voir… »

Nicolas Dupont, 40 ans, technicien d’exploitation chargé d’affaires au barrage EDF de Serre-Ponçon « J’ai trouvé que Suska avait une sacrée patience pour fabriquer ses sculptures »

Nicolas Dupont, 40 ans, technicien d’exploitation chargé d’affaires

« Cette résidence ouvre le milieu du travail et fait connaître nos métiers à des gens qui en ignorent tout. Au début, Suska n’avait pas du tout conscience des risques électriques, par exemple. Elle a reçu une formation obligatoire comme tous ceux qui viennent sur le site. Elle nous a montré des livres d’art intéressants, notamment un livre sur le designer qui a imaginé la créature du film « Alien » [le Suisse Hans Ruedi Giger] et un ouvrage de photographies sur l’architecture des châteaux d’eau en Allemagne [par les artistes Bernd et Hilla Becher].

L’architecture industrielle, on est en plein dedans avec le barrage ! J’ai apprécié sa façon de travailler le métal. Je suis tourneur-fraiseur à la base, donc je connais un peu le domaine. Et j’ai trouvé qu’elle avait une sacrée patience pour fabriquer ses sculptures. »

Bertrand Aimar, 49 ans, technicien principal d’exploitation au barrage EDF de Serre-Ponçon« J’ai apprécié la grande curiosité de Suska pour notre lieu de travail et notre métier »

Bertrand Aimar, 49 ans, technicien principal d’exploitation

« Je suis attaché à ce barrage : de mon point de vue, c’est l’un des plus beaux sites de l’hydraulique en France. J’ai apprécié la grande curiosité de Suska pour notre lieu de travail et notre métier. De mon côté, j’ai trouvé intéressant de la regarder fabriquer ses œuvres, d’autant que l’on voit généralement peu de femmes travailler le métal. Elle faisait preuve de beaucoup de minutie et d’un grand sens du détail. J’ai bien aimé ses pierres rouges percées de mèches métalliques comme des flèches de Cupidon.

Je ne suis pas le plus artiste dans l’âme de l’équipe, mais j’ai accompagné Suska pour choisir des cailloux au pied du barrage : ils vont lui servir à réaliser une sculpture qui va rester sur le site, comme une trace de son passage à Serre-Ponçon. »


Une longue complicité entre les Activités Sociales et le Frac Sud

Une sculptrice à Serre-Ponçon : les agents redécouvrent le barrage avec Suska Bastian | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 163378 Residence artiste Suska Bastian Serre Poncon 2025La résidence de création de Suska Bastian s’est déroulée en deux temps, d’abord du 6 au 17 octobre puis du 27 octobre au 7 novembre. Elle est le fruit d’un long partenariat, d’une longue complicité entre la CCAS et le Fonds régional d’art contemporain de la région Paca (Frac Sud).

Pour Cécile Coudreau (ci-contre), responsable des programmations hors-les-murs du Frac Sud, l’objectif de ce projet était de « rapprocher l’art contemporain du quotidien, de questionner le rôle de l’artiste dans la société mais aussi de mettre en lumière les agents invisibles qui font tourner cette grosse machine qu’est le barrage ». Il a fallu un an et demi pour préparer cette résidence.

Un jury composé d’élus de la CMCAS Gap-Avignon, de bénéficiaires, de représentants d’EDF, en plus de personnes de la CCAS (dont Geoffrey Cousin, ci-contre) et du Frac-Sud, a choisi Suska Bastian parmi la cinquantaine d’artistes de la région Paca qui avaient répondu à l’appel à projets.

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