Toute l’œuvre du cinéaste, mort dimanche 4 janvier à 86 ans, est marquée du sceau de l’engagement.
Celui qui avait pour habitude de couvrir sa crinière d’une casquette rouge et revendiquait le titre de « cinéaste français le plus censuré » avait su s’emparer de toutes les causes justes de son siècle pour les porter à l’écran.
Il était le réalisateur d’Afrique 50, un court-métrage documentaire réalisé à 21 ans et devenu le premier film anticolonialiste du cinéma français, alors qu’il s’agissait au départ d’une commande destinée à promouvoir la mission éducative des Français dans les colonies. Le brûlot, qui dénonce le manque de professeurs et les crimes commis par l’armée française, est censuré pendant quarante ans, et vaut à son auteur une condamnation à un an de prison. « Amis, la colonisation c’est le règne des vautours », y lance d’une voix rageuse René Vautier, qui s’est ensuite caché dans le pays Dogon (Mali), pour sauver les bobines du film de la censure, avant d’être emprisonné.
Hommages en série
Michèle Decaster, la secrétaire générale de l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA), une association partenaire de la CCAS dont René Vautier a été un fidèle compagnon de lutte et de combats, lui rend ainsi hommage en rappelant son indéfectible engagement aux côtés des opprimés pour la paix et la justice.
Très jeune, Vautier marque aussi sa sensibilité à la condition ouvrière et son irrésistible aversion pour l’injustice. Ainsi, le 17 avril 1950, tandis que les ouvriers de l’Arsenal manifestent à Brest pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail, la police tire sur la foule, tuant Édouard Mazé, ouvrier et militant CGT, et blessant plus de vingt personnes. Le lendemain, appelé par la CGT pour tourner un film sur le mouvement, René Vautier débarque clandestinement à Brest (il est alors recherché par la police suite à Afrique 50). René arrive dans une ville en état de siège et réalise clandestinement Un homme est mort, dont la pellicule a aujourd’hui disparu.
Dès les tous débuts de l’insurrection algérienne en 1954, le réalisateur breton, résistant à 15 ans, défend ardemment l’Algérie indépendante, avec le documentaire Une nation, l’Algérie (1954). Mais bien avant l’indépendance, Vautier a eu maille à partir avec le pouvoir algérien : alors qu’il est le premier cinéaste français à rendre compte dès 1957 de la guerre du côté des maquisards algériens avec son film, L’Algérie en flamme (1958), il est emprisonné pendant plus de deux ans par le FLN en Tunisie, jusqu’en 1960.
Pour le cinéma algérien indépendant
Comme le souligne Michèle Decaster, Vautier « a aussi été à l’origine de la formation de toute une génération de cinéastes algériens et du cinéma algérien indépendant. »
Dès l’indépendance en 1962, il part en effet s’installer à Alger où il dirige pendant trois ans le Centre Audiovisuel d’Alger, destiné à former cinéastes et techniciens. Il épaule ensuite de jeunes cinéastes algériens et devient conseiller à la production pour le premier grand film algérien sur la guerre, Le vent des Aurès (1966). Son réalisateur, Mohamed Lakhdar-Hamina, obtiendra la Palme d’or à Cannes dix ans plus tard, en 1975, avec Chroniques des années de braise.
De retour en France en 1966, Vautier s’attelle, parmi de nombreux autres projets, à son premier long métrage, Avoir vingt ans dans les Aurès (1972), qui raconte la vie d’un commando de jeunes appelés français en Algérie en 1961. Pour cette fiction réalisée à partir de multiples témoignages et dont chaque scène peut être authentifiée, il obtiendra le Prix de la Critique au Festival de Cannes en 1972.
Vautier a également porté son regard sur la lutte des femmes, s’intéressant notamment dans Transmission d’expérience ouvrière (1973) aux ouvrières licenciées des forges d’Hennebont (Morbihan), ou abordant la condition des femmes dans Quand tu disais, Valery (1975) et Quand les femmes ont pris la colère (1977).
Les chemins qu’empruntait René Vautier ont souvent croisé ceux de la CCAS, notamment lors de projections de ses films dans les centres de vacances. Le cinéaste aimait participer aux rencontres avec les bénéficiaires, filmant parfois ces débats, s’enthousiasmant à chaque fois de la démarche de la CCAS d’aborder avec des vacanciers des thématiques comme l’eau, le respect des différences, les luttes sociales, et de l’intérêt des bénéficiaires à débattre de ces questions.
Rendez-vous
Le mercredi 11 février à 20h, au cinéma La Clef (Paris 5) : dans le cadre des Mercredi Cinéma de l’AFASPA, en partenariat avec la CCAS, sera projeté « De sable et de sang », réalisé en 2013 avec René Vautier en présence du réalisateur Michel Le Thomas.
À lire
« Un homme est mort » une bande dessinée de Kris et Étienne Davodeau, parue chez Futuropolis en 2006, qui retrace l’épopée du film éponyme, aujourd’hui détruit, de René Vautier.
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