Hélène Luc, sénatrice honoraire, présidente d’honneur de l’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV) revient sur son engagement personnel et celui de l’association afin de cultiver et développer des liens privilégiés avec le Vietnam sur le plan culturel, de la coopération et de la solidarité.
Comment avez-vous embrassé la lutte contre la guerre du Vietnam ?
Je suis stéphanoise, fille d’un immigré italien mineur. En 1947, lors de la grève des mineurs, deux d’entre eux sont tués, beaucoup sont blessés. J’ai 15 ans et je participe aux manifestations de la place de la Bourse, à Saint-Etienne, et vais porter des colis aux blessés avec le Secours populaire. Je crée ensuite un foyer de l’Union des jeunes filles de France (UJFF) dans mon lycée pour le droit des jeunes filles et la solidarité avec les enfants vietnamiens, pour qui nous collections du lait. Secrétaire départementale de l’UJFF, je monte à Paris pour en devenir plus tard secrétaire nationale. Je marche alors dans les pas de résistantes telles que Danielle Casanova, Rose Blanc, qui font mon admiration… En 1950, la militante Raymonde Dien se couche sous un train pour éviter que soient envoyées des armes au Vietnam. Henri Martin est alors emprisonné pour son refus de partir y faire la guerre. C’est tout naturellement que j’ai été sensible à ce combat pour la paix.
En 1962, je suis élue secrétaire de section du Parti communiste et deviens membre du bureau fédéral du Val-de-Marne. Cinq ans plus tard, je suis élue conseillère générale de Choisy-le-Roi [son mari, résistant et journaliste à « l’Humanité » était alors adjoint au maire de la commune. Il en deviendra l’édile en 1979, ndlr]. L’année suivante, en plein mouvement de Mai 68, et alors que toutes les entreprises de Choisy-le-Roi sont en grève, je vais porter chaque jour 500 repas aux grévistes. Chez Prestil notamment, où 1 000 femmes vivent leur première grève. Dans le même temps, 20 000 manifestants, dont Jane Fonda et Joan Baez (qui a composé « Sous les bombes » à Hanoï), disent leur refus de la guerre du Vietnam devant la Maison-Blanche à Washington. D’autres défilent un peu partout en Europe, avec le portrait de Hô Chi Minh qui symbolise alors leur désir de paix.
C’est aussi en mai 1968 que la délégation nord-vietnamienne arrive en France pour négocier les Accords de Paris devant mettre un terme à la guerre du Vietnam. Elle sera logée dans l’ancienne maison de Maurice Thorez à Choisy-le-Roi, devenue l’école de formation des cadres du Parti communiste. Durant cinq ans, jusqu’à la signature des Accords, nous veillons aux conditions matérielles de leur séjour et, surtout, nous organisons des rencontres avec des délégations du monde entier, avec des responsables politiques, des militants pour la paix. Adhérente depuis de longues années à l’AAFV, on m’en confie la présidence en 2008, après ma démission du Sénat.
Quels sont l’histoire et l’objet de l’AAFV ?
L’association est créée en 1961 par Charles Fourniau, Alice Kahn et Elie Mignot. Elle est l’une des premières à intervenir au Vietnam avec l’Association médicale franco-vietnamienne. De nombreuses personnalités de toutes sensibilités, de toutes opinions politiques et religieuses, participent à son activité : le pasteur Voge, la sœur Vandermeersch, Henri Martin, Raymonde Dien, ainsi que Raymond Aubrac, Alain Le Léap, Hervé Bazin, Jean Ferrat, Frédéric Joliot-Curie… En 1966, l’AAFV organise un colloque pionnier, qui rassemble des savants du monde entier, sur la terrible guerre chimique menée par les Américains au Vietnam, avec l’agent orange Monsanto.
Une des actions fortes de l’association est la reconstruction du laboratoire BCG de l’Institut Pasteur à Hô-Chi Minh-Ville. L’objectif numéro un de notre association est d’aider les populations vietnamiennes les plus pauvres, et de contribuer à la connaissance mutuelle entre nos peuples. La solidarité se traduit par une aide aux victimes de l’agent orange qui, après quatre générations, fait encore naître des enfants lourdement handicapés – souvent à la charge du village. Nous menons également des actions sanitaires, de construction d’écoles, de microcrédit, de financement de troupeaux… Notamment grâce à Alain Dussarps, vice-président de l’AAFV et également président de l’Acotec (Association d’électriciens et gaziers pour les coopérations technique et culturelle), qui est en lien avec la Croix-Rouge vietnamienne. Alain a, entre autres, patiemment acquis des costumes traditionnels vietnamiens au cours de la cinquantaine de missions de solidarité qu’il a menées. Ils ont été présentés lors d’une grande exposition à l’Orangerie du Sénat en 2014, en parallèle de photographies de Sébastien Laval et Lê Vuong. Inaugurée par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, et l’ambassadeur du Vietnam à Paris, l’exposition a connu un succès phénoménal, avec plus de 16 000 visiteurs en dix jours ! Nous éditons également la revue trimestrielle « Perspectives France-Vietnam », qui permet de faire connaître le Vietnam, de tisser des liens, et d’informer sur nos actions et la situation entre nos deux pays.
La CCAS est très impliquée à nos côtés. Nous avons par exemple, en 1994, contribué ensemble à la rénovation d’une léproserie. Il y a également eu des projets d’adduction d’eau, de construction d’établissements scolaires, d’aide aux femmes ou aux victimes de l’agent orange… Et des voyages solidaires, organisés à la rencontre du peuple vietnamien, des ethnies minoritaires. Il est important que la CCAS et les CMCAS perpétuent ces liens, continuent de financer des projets d’aide au développement.
Et à l’avenir ?
Depuis la fin de la guerre, deux chefs d’Etat français – François Mitterrand et Jacques Chirac – se sont rendus au Vietnam. François Hollande doit y aller début septembre. Nous souhaitons que cette visite soit le signal d’un développement nouveau de la coopération entre nos deux pays. Et que le président apporte son soutien au Vietnam, qui veut régler le différend qui l’oppose à la Chine concernant la mer de Chine par des moyens pacifiques, dans le respect des accords internationaux.
Distancée par de nombreux pays comme l’Allemagne ou le Japon pour les investissements au Vietnam, la France doit considérer la coopération et les échanges bilatéraux comme mutuellement avantageux et développer les liens si précieux et uniques qui existent entre nos deux pays. Le Vietnam est devenu une grande nation du Sud-Est asiatique, comme l’avait bien compris Charles Fourniau dès 1961. Avec l’AAFV, nous poursuivons donc cette volonté, ces actions, avec des « Journées Vietnam » tenues à Paris, à Lyon et à Toulouse en partenariat avec la CCI, les collectivités territoriales, les universités, l’Union générale des Vietnamiens en France et l’ambassade du Vietnam à Paris. Un colloque important est prévu le 18 novembre au Sénat avec le soutien du groupe d’amitié France-Vietnam du palais du Luxembourg.
Aujourd’hui, le Vietnam a accompli d’énormes progrès, les Vietnamiens ayant mis autant d’énergie à construire leur économie qu’ils en ont mis à conquérir leur indépendance. Malgré cela, il subsiste des poches de pauvreté, ce qui nous incite à poursuivre notre aide. Le Vietnam est également devenu une destination touristique prisée, ce qui constitue une nouvelle forme d’échanges. Enfin, nous apportons notre soutien à Tran To Nga (auteur de Ma terre empoisonnée), qui intente un procès contre 26 compagnies pétrochimiques américaines, dont Monsanto et Dow Chemical, qui ont fabriqué et fourni l’agent orange à l’armée américaine.
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