Le concept est né dans les années 1990 aux États-Unis. Contraction de l’anglais « fabrication laboratory », le FabLab favorise l’émergence et l’accélération de projets innovants. En 2013, le laboratoire Design Lab l2R a ouvert ses portes au sein du site R&D des Renardières. Plongez dans la troisième dimension !
Il y a design et design. Vous pensez que le terme est synonyme de mode, de tendance, de recherche esthétique ? Détrompez-vous, le design peut être tout autre chose. « Nous entendons le terme dans son acception anglaise, qui signifie « concevoir », en l’occurrence concevoir pour des usagers », annonce Guillaume Foissac, chercheur et ingénieur au centre de R&D EDF des Renardières, en Seine-et-Marne, et responsable depuis 2013 de son laboratoire Design Lab l2R (Incubateur d’innovations de rupture). « Mais nous sommes des bêtes curieuses au sein du centre », souligne-t-il aussitôt, précisant qu’il n’y a que trois designers de formation parmi les 650 ingénieurs et techniciens du centre. Des bêtes curieuses qui intéressent de plus en plus leurs collègues, attirés par l’esprit créatif qui règne sur leur laboratoire.
Dans l’immense centre de recherche dédié à la R&D d’EDF, le petit bâtiment qui accueille le FabLab des designers n’attire pas de prime abord l’attention. Il ressemble à tous les autres. Dès que l’on y pénètre, l’impression change. Quel est donc ce lieu, à mi-chemin entre l’atelier, la bibliothèque et la salle de réunion ? Sur les étagères murales, des livres d’art, de design, de technologie, de sémiologie ou encore de sociologie dans un joyeux désordre. « Il faut encore que nous réfléchissions au classement, reconnaît Guillaume Foissac, qui semble ne pas mettre cette tâche au sommet de ses priorités. Je suis convaincu des vertus de la sérendipité, ce concept qui place le hasard au cœur de la créativité. Il nous est souvent arrivé de trouver, par association d’esprit et en feuilletant un des livres de la bibliothèque, une idée innovante pour un de nos projets. »
Juste en dessous de la bibliothèque, en vrac et tout aussi peu classés que ne le sont les livres, la matériauthèque. Guillaume Foissac en extrait un morceau de plastique rotomoulé. « Nous étions à la recherche d’alternatives à la construction des ballons d’eau chaude en métal qu’une directive européenne condamne à terme pour des raisons environnementales. Nous avons donc essayé le rotomoulage des ballons. » L’expérience s’est avérée infructueuse, les ballons de plastique ne tenant pas suffisamment bien la combinaison de la température et de la pression après plusieurs années de cycle.
Toujours dans la matériauthèque, on trouve une sorte de cotte de maille en graphite, noire, légère et luisante. « Les films de graphite sont utilisés pour diffuser la chaleur sur des équipements comme les écrans de télévision. Mais on n’avait jamais pensé à les utiliser pour les pompes à chaleur, parce qu’il y avait là deux domaines de cultures industrielles différents qui ne communiquaient pas entre eux. » La curiosité tous azimuts des designers a fait le reste : un brevet issu des travaux du laboratoire a été déposé. Il porte sur le remplacement de l’aluminium par le graphite, aux propriétés de conduction thermique trois fois supérieures, dans les ailettes des pompes à chaleur.
« La philosophie de notre laboratoire est issue de la culture du design : on essaye, et on teste très vite nos idées. » Au rez-de-chaussée du laboratoire, dans « l’espace d’innovation de rupture », on invente et on bricole. Il y a là des outils, un petit atelier d’électronique, deux imprimantes 3D, un scanner idoine, et tout ce qu’il faut pour construire très vite une maquette ou un prototype à partir d’une idée. C’est au sous-sol, dans « l’espace d’incubation » qu’ils seront testés devant leurs futurs usagers. Le vaste espace est conçu pour être mobile. Tables, bureaux, ordinateurs, projecteurs capables de créer une réalité augmentée… tout peut être déplacé. L’espace d’incubation comprend surtout une pièce équipée pour recevoir des pratiquants des nouvelles technologies.
Prenons l’exemple d’une nouvelle application permettant de programmer à distance, via son téléphone, son chauffage électrique, grâce à un microdispositif connecté actionnant la molette du radiateur. Un panel de « clients » sera invité à utiliser l’application sous le regard vigilant des chercheurs, dissimulés derrière une glace sans tain, qui pourront ainsi découvrir tout ce qui ne fonctionne pas immédiatement pour l’utilisateur lambda. « Nous avons aussi des équipements qui permettent de suivre le mouvement oculaire des usagers, et les décisions qu’ils prennent, de manière à pouvoir analyser ce qui n’est pas immédiatement intelligible à un usager », souligne Étienne Vallet, l’autre chercheur permanent du laboratoire, lui aussi designer de formation.
Une troisième designeuse a rejoint l’équipe à la mi-juillet. À ce noyau structurant s’ajoutent une dizaine de stagiaires, étudiants, apprentis, thésards et partenaires aux formations les plus diverses. Ingénieurs, développeurs, codeurs et designers se côtoient dans les deux étages du Design Lab l2R. L’ambiance est partout à l’innovation. Au sous-sol, les murs sont aimantés, de manière à ce que chacun puisse y apposer ses idées. Et une « armurerie », où sont entreposés les différents modèles de téléphones intelligents et de tablettes, permet de maquetter instantanément et de tester la compatibilité des applications. Comme dans les start-up, chaque salarié dispose d’une fraction de son temps de travail pour développer ses projets propres. « Environ 5 % de notre activité », détaille Étienne Vallet, qui précise : « Mais il y a aussi un tiers de notre temps de travail qui n’est pas fléché a priori, de manière à être prêt à répondre à toute demande d’autres équipes d’EDF R&D en cours d’année. Nous fonctionnons ainsi comme une sorte de banc d’essai pour les projets de recherche du groupe, mais aussi de l’extérieur. »
Un des sujets qui tient à cœur l’équipe du Design Lab l2R est la précarité énergétique, et la manière d’y remédier. « Notre approche relève souvent de l’innovation frugale », annonce Guillaume Foissac. De quoi s’agit-il ? D’une théorie de l’ingénierie, développée notamment en Inde, qui vise à obtenir 75 % de résultats en y consacrant seulement 25 % des coûts. En d’autres termes, de faire presque aussi bien pour beaucoup moins cher, cette diminution drastique des coûts étant garante de la diffusion de l’innovation au plus grand nombre. En 2016, l’équipe du Design Lab l2R a tenu un séminaire sur la précarité énergétique, associant ingénieurs, designers, énergéticiens et représentants des associations de défense du droit à l’énergie. « Car, souligne Guillaume Foissac, toute notre approche repose sur l’idée de placer l’usager au centre de l’innovation. »
Plusieurs idées en sont sorties. Citons l’enveloppe didacticielle pour chèque énergie, qui a rapidement été mise en œuvre par EDF ; les dispositifs low-tech de suivi-consommation par usage, qui permettent à tout consommateur d’évaluer en temps réel la consommation énergétique et le coût afférent de la machine à laver, du réfrigérateur ou des différents écrans (ces inventions ont fait l’objet de dépôts de brevets) ; ou encore les lampes chauffantes, conçues pour fournir tout à la fois éclairage et chauffage du domicile. « Nous travaillons aussi sur des afficheurs capables de fournir en temps réel à l’usager sa consommation énergétique », précise Guillaume Foissac.
Le Design Lab l2R n’est au fond que la déclinaison locale d’une évolution propre aux grands groupes industriels, qui ont tous constaté que la rigidité hiérarchique propre à leurs divisions R&D était souvent un frein à la dynamique d’innovation et en particulier « à l’innovation de rupture, qui consiste à changer de regard », comme le dit Guillaume Foissac. Airbus avec son BizLab, Renault avec son Square ou Air Liquide avec son i-Lab : on ne compte plus les grandes entreprises industrielles qui se sont dotées de laboratoires d’innovation, à la fois reliés à leurs puissantes directions de R&D et situés à leur marge. Le Design Lab l2R d’EDF participe à ce mouvement.
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