Le 10 juillet dernier, une vingtaine de bénéficiaires de la CMCAS Valence ont profité de leur week-end au festival Les Déferlantes pour visiter le Mémorial du camp d’Argelès, où 220 000 personnes ont été internées, et rencontrer des survivant·es ou des descendant·es des réfugié·es espagnol·es.
En empruntant les rues du village d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), beaucoup pensent certainement à ces milliers de personnes forcées de fuir leur pays, en 1939. Et voilà qu’au détour d’une ruelle, dans un dédale de maisons traditionnelles, le groupe se retrouve devant le Mémorial du camp, une bâtisse faite de pierres angulaires et de vieilles charpentes, qui vise tout à la fois à sauvegarder la mémoire de ces Espagnol·es déraciné·es et à leur rendre hommage. Elvia, petite-fille de réfugié, accueille avec beaucoup de gentillesse ces festivaliers pas comme les autres. Une main posée sur le cœur, elle invite le petit groupe à entrer. « L’espace dans lequel nous nous trouvons est divisé en deux zones symbolisant l’Espagne et la France. Une cloison matérialise la frontière pyrénéenne », explique-t-elle.
De la guerre civile à la Retirada
C’est un peu comme un voyage dans le temps. Le groupe de festivaliers s’échappe l’espace d’un moment pour se retrouver au cœur de la guerre civile espagnole, que retrace chronologiquement le musée, documents à l’appui. La République espagnole est attaquée par les troupes du Caudillo, le général Franco. Un fasciste qui n’a rien à envier à ses homologues italien et allemand, Mussolini et Hitler, qui d’ailleurs le soutiennent politiquement et militairement. Les républicains, eux, ne comptent que sur eux-mêmes – la France, on le sait, a choisi de ne pas leur venir en aide – et sur la bravoure des Brigades internationales, composées de combattants venus de tous les pays. Cet héroïsme ne sera pas suffisant. Les hordes de Franco massacrent à Guernica comme à Madrid.
En 1939, après trois ans de durs combats, c’est la Retirada, la « retraite » en castillan comme en catalan. Elle marque l’exode de plus de 450 000 républicains espagnols vers la France. Ils ne sont pas accueillis à bras ouverts dans ce pays qui a préféré l’occupation allemande et la collaboration du gouvernement de Vichy. Une grande partie de ces réfugié·es est envoyée vers le littoral où des camps d’internement sont installés.
La partie française du musée s’attache, elle, à retracer l’installation et la vie au sein du camp d’Argelès-sur-Mer. La scénographie interactive, complétée par des films, des documents d’époque, des témoignages audiovisuels et des éléments sonores, projette le visiteur dans cet épisode marquant de l’histoire. Établi dès février 1939 sur les plages de la commune d’Argelès-sur-Mer par le gouvernement Pétain et Dormoy (ministre de l’Intérieur), ce camp a été le premier à recevoir des réfugié·es espagnol·es. Près de 220 000 personnes y ont transité. Hommes, femmes et enfants ont été séparé·es. Et puis, très vite sont venus s’ajouter les Juifs et les Tsiganes. Fermé à la fin de l’année 1941, il a ensuite été transformé en chantier de la jeunesse par Pétain.
« Mon père n’en a jamais parlé »
À l’issue de la visite, le groupe rejoint la galerie Marianne, où l’y attendent des membres de l’association FFREEE (Fils et filles de républicains espagnols et enfants de l’exode). Après un voyage dans le temps, c’est la réalité qui s’offre désormais à eux.
« Mon père était combattant dans l’armée républicaine, raconte Anita. Il est arrivé ici blessé. Recherché pendant très longtemps, il n’a jamais rien dit, et a même changé de nom pour éviter les représailles des années plus tard. Il n’est jamais retourné en Espagne. » Jacqueline Payrot, présidente de l’association FFREEE, explique : « Étant d’Argelès-sur-Mer, j’ai vu le camp se développer. Ma partie maternelle était catalane, je me devais d’en connaître l’histoire. J’ai grandi autour des enfants réfugié·es ; il était important de transmettre notre histoire et de recueillir la mémoire des réfugié·es sous toutes ses formes. Et puis, nous nous retrouvons dans les valeurs républicaines. »
Face à une salle attentive, les membres de l’association racontent leur histoire. Nardo Sedo assure avoir été apatride jusqu’à ses 10 ans. Rosario Gomez, fille d’un commandant de l’armée républicaine, explique que son père a vécu dans le camp de son inauguration à sa fermeture, avant d’être déporté en Allemagne. Tous et toutes l’assurent : « Ils voulaient oublier ce moment. Ils restaient silencieux, le regard dans le vide. Aucun n’a voulu retourner en Espagne » ; « Mon père n’a jamais parlé. Mais l’État français comme l’État espagnol n’ont pas fait grand-chose non plus ».
« Certains sont entrés à EDF-GDF »
Éric, bénéficiaire de la CMCAS Valence et soucieux de voir son fils participer au débat, demande quelle vie ont eu les enfants de déporté·es. « Pour te donner un exemple, raconte Elios, mon père n’a jamais voulu qu’on apprenne le latin parce qu’on leur enseignait à l’école chez les curés sous Franco, ce qui les avait traumatisé ! » Plus grave, Rosario insiste : « Certains ont changé de nom, et leurs enfants, né·es par la suite, ne l’ont appris qu’à leur mort. D’autres se sont intégré·es par le travail, et notamment certains sont entrés à EDF-GDF. »
Gabriel Manchiero, petit-fils de réfugié espagnol et organisateur du séjour, fait remarquer que, « à la CMCAS, chaque fois que nous organisons un séjour, nous l’accompagnons d’une visite culturelle pour faire découvrir d’autres horizons aux salarié·es, dans un esprit de solidarité. Aujourd’hui, l’actualité nous le rappelle : les migrant·es sont, elles et eux aussi, refoulé·es et rejeté·es par une grande partie de la population. Mon père est né sans connaître le sien. Mon grand-père n’est jamais retourné en Espagne. »
En savoir plus
Créée en 1999, l’association des Fils et filles de républicains espagnols et enfants de l’exode milite pour sauvegarder l’héritage historique et culturel des républicains espagnols, et la mémoire vivante de leur combat et de leur exil. Elle apporte son soutien à toutes les victimes de l’exode.
Site internet : ffreee-retirada.blogspot.com / Page Facebook : @ffreee.argeles
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