Dans « Électrique », 28 agent.es d’EDF vous racontent leur travail au quotidien en 28 « miniatures », ciselées et pleines d’humanité. Sobrement sous-titré « Les hommes et les femmes d’EDF », ce recueil de témoignages de Blandine Bricka vient de paraître aux Éditions de l’Atelier. Rare et précieux.
« À EDF, on n’est pas seulement électricien mais chaudronnier, chimiste, médecin du travail, secrétaire, agent de conduite de centrale nucléaire, technicien de maintenance qui répare les machines, agent de sécurité qui surveille les sites, ingénieur qui les sécurise… »
« Électrique » est une descente dans les coulisses de la plus grande entreprise d’énergie au monde, où chaque barreau de l’échelle serait l’histoire de 28 agent·es au travail. Un livre dans lequel ils et elles racontent, les yeux dans les yeux, et sous la plume de l’auteure Blandine Bricka, la mission qui mobilise chaque jour, chaque nuit parfois, leur intelligence, leur force mentale ou physique. Un livre qui nous plonge dans l’intimité de leur face-à-face avec le travail, au travers de récits courts, passionnants, parfois haletants, toujours humains, « quasiment romanesques », confie l’auteure.
Absente des espaces de représentation, la parole du travail en deviendrait presque inaudible, sinon comme l’illustration « corporate » d’un projet managérial, vignette formatée à visée publicitaire. La dévoiler, comme dans ce livre, c’est montrer qu’il n’y a pas de grandes entreprises, a fortiori de service public, qui plus est de l’énergie électrique, sans la communauté humaine des êtres au travail, intelligents, engagés, conscients et experts : ceux qui font le boulot. À lire absolument.
Blandine Bricka, auteure et rédactrice indépendante, accompagne des projets d’écriture dans des domaines divers, notamment celui de l’entreprise. Elle est membre du collectif Étonnants Travailleurs.
Comment s’est fabriqué ce livre ?
C’est une idée du comité central d’entreprise d’EDF. Son secrétaire, Jean-Luc Magnaval, m’a emmenée à Cordemais, Tours ou Lyon, en Alsace, à Chinon, à Paris et même en Martinique (certes par téléphone !) pour rencontrer des agent·es issu·es des métiers d’EDF, d’âges et de qualifications très différents, qui seraient volontaires pour l’exercice.
À partir de ces entretiens, j’ai réalisé 28 textes de trois à quatre pages chacun. Deux personnes seulement n’ont pas souhaité que leur entretien soit publié, même si elles l’avaient complètement réécrit dans un style très « com’ » et langue de bois, tandis que moi je cherchais à capter « la petite musique » de la personne qui raconte son travail. Tous les autres ont joué le jeu, même ceux qui occupent un poste hiérarchique assez élevé, comme Fabien, de la direction Formation. Et ni le CCE ni aucun de ses membres ne sont intervenus dans les textes.
Très concrètement, comment avez-vous procédé pour réaliser ces entretiens ?
Les entretiens individuels ont duré de trente minutes à une heure. J’ai demandé à chacun de me raconter son parcours, de me décrire avec précision sa mission puis, une fois cela posé, de me dire en quoi réside sa spécificité, quels sont les choix auxquels il était confronté pour surmonter un problème, trouver une solution originale ou le chemin vers le règlement d’une situation, bref, sa part de créativité. Mon rôle, dans la discussion, était de les ramener à ma position d’ignorance pour qu’ils s’efforcent de préciser toujours, et d’expliquer ce qu’ils font. Évidemment, tous et toutes ont relu leur entretien et ont pu intervenir dessus. Je pense par exemple à ce passage dans lequel un agent me racontait enlever son casque pour écouter ses machines, ce qui est formellement interdit. Mais le travail, justement, c’est jouer en permanence avec des contraintes, des processus, dont on doit parfois se décaler pour trouver des compromis afin que ça marche !
En tous les cas, j’ai eu le sentiment que tou.tes celles et ceux qui ont participé à l’exercice étaient contents de le faire. Parler de son travail, se raconter dans ce qui nous occupe le corps et l’esprit pendant une grande part de notre vie, ne va pas de soi. Je ne sais pas s’ils avaient déjà eu l’occasion de le faire, après tout ce n’est pas si fréquent. Mais je tiens à leur dire : chapeau bas pour la clarté de vos propos !
On suppose que parmi ces témoignages, certains vous ont touché plus que d’autres ?
Oui. Par exemple Richard, le pilote de centrale nucléaire, est extraordinaire. Ou Bastien qui raconte comment il pilote quant à lui les écluses lors des crues, c’est magnifique ! Enfin, tou.tes celles et ceux qui sont parvenus à « partager leur activité » – comme on dit à Étonnants Travailleurs – c’est-à-dire comment ils et elles ont fait face aux aléas, et comment ils et elles sont parvenus à décrire de façon presque microscopique ces moments d’intensité de leur relation au travail. C’est aussi vrai dans les tâches administratives ou commerciales, bien sûr. Je pense à Cécile, qui est assistante de direction, et confie qu’elle se voit comme une tour de contrôle, une « aiguilleuse du ciel » de l’agenda et des déplacements de son directeur. Ou à Coralie, gestionnaire de contrat, qui a su restituer avec sensibilité le détail de son activité avec la clientèle. Il y a là des personnages qui ont une dimension romanesque, finalement.
Et Marie, qui semble un peu s’ennuyer parfois, éloignée dans son labo ?
C’est que le rapport au temps est aussi très présent dans les récits. Il y a ceux qui sont en quête d’adrénaline, comme Richard, du nucléaire, et qui vivent ce qu’ils appellent le « temps réel », comme en musique, dans l’urgence du caprice de la machine. Et puis, ceux qui sont dans le temps long, voire très long, comme celui des études, de la déconstruction de centrales par exemple, ou de l’observation d’une courbe sur un écran. Ce sont des rapports au temps très différents alors qu’ils travaillent dans la même entreprise.
Tous vos personnages, issus de métiers et de secteurs d’activité si divers justement, ont-ils conscience qu’ils font partie d’une entreprise particulière ?
Oui, ça, ils me l’ont tous dit. Il y a un « imaginaire EDF » très fort. Je ne l’ai malheureusement pas beaucoup approfondi dans les textes, faute de place. Mais tous et toutes ont vraiment conscience d’appartenir à une communauté. Concernant, par exemple, la sécurité, on les sent responsables les uns des autres. Cette solidarité m’a fascinée, dans un univers si dangereux, on ne peut pas faire n’importe quoi dans son travail sans engager la responsabilité de ses collègues : ça, c’est un élément très fort.
Pour aller plus loin
« Électrique. Les femmes et les hommes d’EDF », de Blandine Bricka, 2018, les Éditions de l’Atelier, 176 p., 15 euros (version numérique : 8,99 euros).
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