Dans ce récit autobiographique écrit à la façon d’un poème, Joseph Ponthus, jeune intérimaire exilé en Bretagne pour suivre sa belle, révèle la condition des ouvriers des abattoirs et des conserveries de poissons. Un auteur à rencontrer cet été dans vos centres de vacances.
Bio express
Écrire est la passion de sa vie. Devenir écrivain, un rêve que Joseph Ponthus réalise à 40 ans. Après des études de littérature, il est éducateur spécialisé en région parisienne pendant dix ans. Exilé par amour en Bretagne, il se fait embaucher comme ouvrier manutentionnaire dans les usines de poisson et les abattoirs de Bretagne. Des boulots alimentaires et ingrats qui serviront de matrice à son premier roman, « À la ligne. Feuillets d’usine », dans lequel il dénonce les conditions de travail des ouvriers du XXIe siècle.
Comment est née l’idée de votre livre « À la ligne » ?
J’ai reçu une telle baffe en découvrant l’usine qu’il fallait que je raconte ce truc bouleversant, physiquement et moralement, auquel j’étais confronté. Lire et écrire sont les seules choses que je sache faire.
Chaque jour, après le boulot, je consignais ce que j’avais vécu sur mon compte Facebook. J’essayais de retranscrire les pensées telles qu’elles me venaient au moment où j’étais sur ma « ligne de production » – on ne dit plus « à la chaîne ». La forme du récit est venue très rapidement, naturellement. Je trouve qu’elle collait bien aux propos. Les éditions La Table ronde m’ont ensuite contacté pour en faire un roman.
Vous dites que paradoxalement l’usine vous a apaisé, que vos crises d’angoisse ont cessé. Que vous a apporté ce boulot « en attendant mieux » ?
D’abord, j’ai perçu un salaire pendant deux ans et demi. Et l’usine, c’est vrai, m’a libéré. C’est assez paradoxal et merveilleux en même temps : une part de moi, que j’ignorais, s’est révélée dans cette épreuve-là. Je ne m’imaginais pas aussi endurant. Puis, c’est ce boulot qui m’a poussé à écrire. L’usine a coïncidé avec le livre. Écrire l’indicible pour ne pas devenir fou, pour supporter l’insupportable. Car j’ai quand même participé à l’industrie de la mort animale.
Cette expérience a-t-elle changé votre regard sur le monde du travail ?
Je ne serai plus jamais le même ! C’est inscrit en moi. Je crois savoir maintenant ce qu’est un vrai travail ; même s’il n’y a pas vraiment de vrai ou de faux boulot. Huit heures non-stop avec quelques pauses : c’est exténuant. J’ai compris ce qu’est l’aliénation par le travail au sens marxiste du terme. Le salarié est seulement une force de travail qu’on prend, qu’on jette. Pire encore lorsqu’il est intérimaire. J’ai eu l’impression d’être revenu au XIXe siècle !
Malgré la dureté du boulot et son côté avilissant, vous évoquez de belles histoires de camaraderie.
À l’usine, où il y a pourtant peu de place pour les sentiments, j’ai découvert les ouvriers dans ce qu’ils ont de plus noble et de plus solidaire. On veut nous faire croire qu’il n’y a plus de classe ouvrière ni de lutte des classes. Je tire mon chapeau à toutes ces petites gens dont on ne parle jamais.
Ce sont des personnes dures au mal, qui s’expriment peu ou pas. À l’usine, on ne montre pas sa faiblesse, ni physique ni morale. Pourtant, quand un collègue est en difficulté, si c’est quelqu’un de réglo, il y a toujours une main tendue pour l’aider. Ce sont des moments de grâce !
Je pense souvent à mes anciens collègues. Ils ont toujours été là pour moi. Je ne suis pas le porte-parole de leur condition mais s’ils se reconnaissent dans ce que je dis, si je leur apporte la fierté d’être ouvrier, alors c’est une victoire pour moi. Je ne crois pas les avoir trahis, bien au contraire.
Il est beaucoup question d’amour dans votre livre…
Sans l’amour, je n’aurais pas poussé la porte de l’agence d’intérim. J’ai tout plaqué en région parisienne pour suivre mon épouse en Bretagne. Sans l’amour, je ne m’en serais pas sorti. Mon livre est un chant d’amour à la classe ouvrière. À la littérature, à ma femme et à ma mère aussi. Je voulais faire de ce truc glauque une jolie histoire malgré tout. Je n’ai pas raconté les trois quarts des trucs glauques que j’ai vus. Ces boulots sont inhumains. Il fallait que pousse une jolie fleur sur toute cette merde ! C’est ça, l’amour.
Vous évoquez souvent les chansons, la poésie, les écrivains… La littérature a-t-elle été une bouée de sauvetage ?
Complètement ! La littérature m’a sauvé ! Je me suis servi de mes ressources à moi – mes grands auteurs, comme je les appelle – pour tenir. Ils m’ont accompagné tous les jours, m’ont aidé à passer le temps devant la ligne de production. Je suis parvenu à me préserver. Parfois, j’ai cru devenir cinglé. La littérature, c’est la vie ! Je ne pourrais pas vivre sans !
D’où vous vient cet amour des livres ?
Je n’ai pas grandi dans un univers fait de livres. Je viens d’un milieu modeste. Ma mère m’a élevé seule et je n’ai ni frère ni sœur. Mes amis, c’étaient les livres. Ils m’ont permis de m’évader, d’avoir une autre vie, de m’inventer de belles histoires. C’est le miracle du livre ! J’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires.
Rencontres avec l’auteur
« À la ligne. Feuillets d’usine », de Joseph Ponthus
La Table ronde, 2019, 272 p., 18 euros (e-book : 12,99 euros).
Pendant vos vacances : retrouvez Joseph Ponthus du 20 au 25 juillet dans les centres de vacances de Saint-Antonin-Noble-Val, Gourdon, Leyme, Rivière-sur-Tarn et Ispagnac. Et retrouvez son livre dans les bibliothèques de tous les centres de vacances !
Pendant vos vacances
Cet été, 1200 rencontres culturelles vous attendent dans les centres de vacances et les colos de la CCAS
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