Plongée dans Paris d’août 1944, alors que la population attend les Alliés. L’électricité n’est distribuée que quelques demi-heures par jour. C’est dans cet extrême rationnement qu’explose la joie de la Libération… mais aussi ses combats, durant lesquels sont tués trois électriciens et gaziers. C’est le premier épisode de notre chronique sur la Libération.
Tous ceux qui l’ont connu s’en souviennent comme le plus beau moment de leur vie. Après quatre années d’occupation, la Libération de Paris les 24 et 25 août 1944 résonne comme une extraordinaire délivrance. Mais si les témoins en ont gardé un souvenir émerveillé, leur quotidien fut bien plus difficile.
Pas d’électricité entre 8 h 30 et 17 heures
On peine aujourd’hui à imaginer ce qu’étaient les conditions de vie des Parisiens à la fin de l’Occupation. Rares étaient ceux qui mangeaient à leur faim, et les pénuries d’énergie, liées tant aux réquisitions de charbon de l’occupant qu’aux effets des bombardements alliés (tel celui de la centrale électrique de Saint-Ouen en juin 1944), compliquaient un quotidien déjà impossible. Sauf à l’heure du repas, il n’y avait pas d’électricité entre 8 h 30 et 17 heures.
À ces restrictions s’ajoutait le manque d’information, la presse étant censurée. On savait que le débarquement de Normandie avait réussi, mais on ignorait quand les chars alliés atteindraient Paris. Surtout, on redoutait que les armées alliées n’évitent la capitale, qui n’était pas un objectif militaire en soi, pour foncer vers l’Allemagne. Paris aurait alors pu subir le sort de Varsovie, anéantie par les nazis en juillet 1944, ou devenir une poche occupée, comme le furent Dunkerque, Saint-Nazaire ou Royan (qui restèrent occupés par les Allemands jusqu’à la cessation des hostilités le 8 mai 1945).
Édith Thomas, chroniqueuse des dernières heures
Pour se replonger dans l’incertitude de l’époque, rien ne vaut un journal tenu par une des contemporains. L’écrivaine et historienne Édith Thomas en tint un, la guerre durant (« Pages de journal 1939-1944 », Viviane Hamy, 1995). Membre du Comité national des écrivains, organe de la résistance littéraire, Édith Thomas connaissait de près l’activité clandestine de la Résistance, et sa force croissante. Il est d’autant plus impressionnant de lire combien elle est inquiète, aux jours décisifs de l’insurrection parisienne déclenchée le 19 août 1944.
Dès le 10 août, les cheminots, les salariés du métro et les postiers s’étaient mis en grève, à l’appel du Comité national de la Résistance (dont étaient membres la CGT et la CFTC, alors seules confédérations syndicales). Trois jours plus tard, Édith Thomas note dans son journal : « Les bruits : Laval à Matignon. Pétain à l’Élysée accueillant les Américains. » Le gouvernement de l’État français vichyste parviendra-t-il à se tirer d’affaire ?
Le 19 août, les policiers de Paris rejoignent la Résistance et se rendent maîtres de la préfecture de police et de l’Hôtel de Ville. C’est là le signal de l’insurrection armée, dans le sillage de celles de 1830, 1848 et 1871 qui ont marqué l’histoire de France. « Sur la place de la Concorde pendent des drapeaux à croix gammées. Sur Notre-Dame, la préfecture de police, l’Hôtel de Ville flotte le drapeau tricolore », écrit Édith Thomas dans son journal.
« On construit des barricades »
Les jours suivants voient le début de rudes combats opposant les unités allemandes en retraite et les forces de la Résistance, mal armées, mais d’une détermination à toute épreuve. « On construit des barricades », note Édith Thomas dans son journal. Le sort des armes reste incertain. Et l’inquiétude des Parisiens n’en est que plus forte. « La radio de Londres nous annonce que nous sommes libérés. Elle fait bien de nous l’apprendre, car nous l’ignorions », s’amuse Édith Thomas le 23 août 1944.
L’incertitude est totale, et l’angoisse à la mesure. Les combats sont omniprésents dans Paris. Trois salariés de la Compagnie parisienne de distribution de l’électricité (CPDE) y laissent leurs vies : Marcel Martin, Robert Kalman et François Quintin, respectivement premier commis principal, ouvrier stagiaire à l’usine sud-ouest et électricien de première classe, selon les archives de la CPDE*.
L’effervescence patriotique… et après ?
Le 24 août, les premiers chars de la division Leclerc, dans laquelle combattent nombre de républicains espagnols, entrent dans Paris par la Porte d’Orléans. Le lendemain, la 4e division d’infanterie américaine les suit. Le 25 août à 14 h 22, le commandant de la garnison allemande de Paris, le général von Choltitz, signe sa reddition devant les officiers des armées alliées et les dirigeants de la Résistance, le colonel Rol-Tanguy et Maurice Kriegel-Valrimont.
Le lendemain, le général de Gaulle descend les Champs-Élysées dans une ambiance de liesse générale. Édith Thomas note dans son journal : « Il faudrait faire maintenant la mobilisation générale avant que l’enthousiasme ne soit refroidi. » Pour elle, l’effervescence patriotique doit se traduire sur le terrain social.
C’est ce qui sera fait en partie au cours de l’automne 1944, comme le raconte le second volet de cette série : 1944-1946, une brève expérience autogestionnaire.
*Si des lecteurs avaient des informations sur ces électriciens morts pour la France, et dont on ne sait presque rien, qu’ils contactent la rédaction en envoyant un mail à lejournaldes.as@asmeg.org ou via notre page contact.
Pour aller plus loin
« Pages de journal 1939-1944 », d’Édith Thomas
Viviane Hamy, 1995, 450 p., 25,50 euros.
Journaliste, Édith Thomas fait des reportages sur la guerre d’Espagne, l’Autriche et diverses questions sociales. De 1948 à sa mort le 7 décembre 1970, elle est conservateure aux Archives nationales. Son journal et ses Mémoires, témoignages fondamentaux sur la Résistance intellectuelle et les années de l’immédiat après-guerre, étaient jusqu’alors inédits.
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