Dans cette tragi-comédie de l’auteur et metteur en scène Alexandre Markoff, le monde de l’entreprise est dépeint comme un univers inquiétant où il ne fait pas bon être timide ou introverti. Reportage au camping Campéole de Saint-Antonin-Noble-Val, où la pièce était jouée dans le cadre des rencontres culturelles de la CCAS.
Jean-Claude Barbès est un homme ordinaire qui a tout pour être heureux. Un jour, on lui annonce son licenciement. L’entreprise où il travaille vient d’être rachetée par des Norvégiens. Ce n’est que la première étape d’un inexorable processus de désintégration sociale. Le pauvre Jean-Claude perd peu à peu tout ce qu’il possède et finit dans le dénuement le plus total.
Mais, contrairement à Job, personnage biblique frappé par un destin semblable, point de salut à l’arrivée pour notre héros des temps modernes. Épilogue d’une pièce qui va à cent à l’heure, Jean-Claude se lance dans une course effrénée avec toute la ville à ses trousses.
Longuement applaudis à l’issue du spectacle, les comédiens ont visiblement touché leur auditoire. « J’ai été assez surpris par la brutalité et le pessimisme de l’épilogue qui contrastent avec le côté loufoque du reste de la pièce », confie Olivier Beurtheret, gazier venu du Haut-Rhin avec sa famille. « En tout cas, c’est une belle découverte ! Le genre de spectacle qu’on n’aurait pas vu autrement. »
Les deux justices
Le titre de la pièce a de quoi intriguer. Difficile d’établir un lien entre Batman, chantre d’une justice expéditive, autoritaire et incarnée par lui seul, et Maximilien Robespierre, icône de la Révolution française, partisan d’une justice basée sur l’égalité entre tous et la Raison… Si Robespierre n’est pas à proprement parler présent sur scène (au contraire de Batman, cape et masque compris), la mention de l’Incorruptible dans le titre de la pièce est destinée à faire réfléchir le spectateur : l’idéologie libérale dominante, représentée par le justicier de Gotham City, est-elle réellement la seule valide ?
Ainsi, Batman fait-il remarquer à Jean-Claude qu’il ne se souciait guère des injustices quand tout roulait pour lui… et l’invite à se remettre en question plutôt que d’en vouloir à la société qui est à l’origine de ses malheurs.
Le choix de mise en scène – aucun décor ni costume, sauf pour l’homme chauve-souris – permet de se concentrer sur le jeu des acteurs.
L’intrigue tient autant du théâtre de l’absurde que du récit kafkaïen avec son (anti)héros qui se débat en vain contre le sort qui s’acharne sur lui. Des péripéties qui sont le prétexte à un défilé de personnages tous plus excentriques les uns que les autres : un sans-abri philosophe, un huissier de justice implacable qui dépouille notre anti-héros de tous ses vêtements au cours du spectacle…
Malgré la noirceur du récit, on rit du début à la fin. La qualité du texte et l’énergie déployée par les membres du Grand Colossal Théâtre n’y sont pas pour rien. Si l’intention de l’auteur était de susciter notre réflexion en débloquant nos zygomatiques, c’est réussi !
« La dimension politique du théâtre, c’est de créer quelque chose qui rassemble »
Trois questions à Alexandre Markoff, auteur et metteur en scène, fondateur du Grand Colossal Théâtre.
Comment est née cette pièce de théâtre ?
De l’envie de faire un spectacle aussi « léger » que possible, sans décor, sans accessoire, qui puisse être joué n’importe où. Nous avions la volonté d’en revenir à l’essence même du théâtre, à savoir le récit. La pièce a d’abord été jouée au Festival des arts de rue d’Aurillac, puis, de fil en aiguille, nous avons été amenés à jouer dans des tas d’endroits différents. Des cabarets, des caves ou des campings, comme cela a été le cas lors de notre tournée dans les centres de vacances CCAS cet été.
« Batman contre Robespierre » est inspiré d’un épisode biblique, celui de Job. Pourquoi ce choix ?
Quand on commence à écrire une pièce, on cherche le moyen de rallier le plus de gens possible. Et quoi de mieux pour cela que les mythes ? Ce sont des histoires qui nous racontent, qui forment une cartographie de notre inconscient. Il y a un autre mythe qu’il me tarde d’aborder, c’est celui de Noé, que je trouve particulièrement fascinant au regard des problématiques politiques et écologiques actuelles.
Comment expliquez-vous le succès de la pièce auprès des enfants ?
C’est quelque chose qui me fait vraiment plaisir. Je fais en sorte que mes pièces s’adressent à tous, aux enfants, aux parents, aux idiots, aux personnes intelligentes, aux riches, aux pauvres, etc. C’est ça, pour moi, la dimension « politique » du théâtre, et de toute création artistique : créer quelque chose qui rassemble. Pour moi, les œuvres les plus intéressantes sont celles qui sont universelles. Comme celle de Chaplin : ses films sont intemporels et son langage est universel. Chaplin est une star en Iran en dépit du caractère répressif de ce régime. Voilà un artiste qui fait de la politique sans prononcer un mot. Il se contente de montrer et de faire rire, et ça suffit. Il se tait et laisse le politique prendre la parole.
Pour aller plus loin
« Batman contre Robespierre », d’Alexandre Markoff
Interprété par la compagnie Le Grand Colossal Théâtre.
Le 25 janvier 2020, à 20 h 45, au théâtre Le Quai 3, Le Pecq (Yvelines).
Le 19 mars 2020, à 20 h 15, au Théâtre 100 Noms, Nantes (Loire-Atlantique).