Marches pour le climat, décrochages de portraits du président de la République, « Block Friday »… Depuis quelques années, la jeunesse est en première ligne dans le combat contre les causes du dérèglement climatique. À la veille d’une nouvelle journée d’action, rencontre avec Sandy Olivar Calvo, la porte-parole du mouvement citoyen Action non-violente COP21 né il y a cinq ans, quelques mois avant la conférence de Paris.
Vous préparez des actions ce vendredi 14 février pour interpeller les candidats aux élections municipales sur l’omniprésence de la publicité dans l’espace public. Quel est votre objectif ?
L’idée est de les interpeller sur le fait que la publicité est beaucoup trop présente et très agressive, ce qui nous pousse à surconsommer et à surproduire. L’objectif est de réduire la place de la publicité en ville. Sur le fond et sur le long terme, il s’agit de transformer nos villes, nos territoires et nos moyens de produire et de consommer pour rendre nos vies plus saines, moins polluantes, moins « climaticides » et plus justes socialement.
Il y a un débat au sein des mouvements pour le climat sur la stratégie à adopter. ANV-COP21 prône la non-violence tandis que d’autres estiment qu’elle ne permet pas de s’attaquer aux racines du problème. Que leur répondez-vous ?
Notre mot d’ordre est clair : « Changeons le système, pas le climat. » On le dit continuellement : il faut changer nos modes de production, nos modes de société, nos modes de consommation. Nos actions, nos campagnes et nos revendications sont très radicales, très précises et impliquent d’impulser des changements systémiques profonds. Prenons Amazon : nous revendiquons l’arrêt de l’extension des entrepôts de e-commerce et des centres commerciaux en périphérie des villes. Ça peut sembler une petite mesure réformiste mais cela pourrait avoir un réel impact pour la planète si on arrivait à mettre en place une loi dans ce sens.
Le 28 novembre dernier, vous avez en effet bloqué un centre de distribution d’Amazon dans l’Essonne à l’occasion du Black Friday. Était-ce un message adressé au gouvernement ?
Oui. On avait fait un gros travail de plaidoyer auprès du gouvernement auparavant. C’est là que la désobéissance civile est intéressante : elle se place à un moment stratégique et politiquement intéressant pour augmenter le rapport de force. En l’occurrence, on interpellait le gouvernement peu de temps avant l’examen à l’Assemblée nationale de la loi sur le gaspillage et l’économie circulaire. Ce qu’on demandait, c’était un moratoire pour geler la construction et le développement des centres de e-commerce et des centres commerciaux. Les entrepôts Amazon poussent comme des champignons partout sur le territoire, dévitalisent les centres-villes et les commerces de proximité, et détruisent les emplois. La visibilité médiatique du Black Friday est un autre moyen pour nous de mettre en lumière la menace que représente Amazon.
Est-ce que des députés de la majorité vous ont entendus ?
Oui, dix-huit députés de La République en marche étaient d’accord pour porter notre proposition de moratoire, même si elle n’a finalement pas été retenue dans la loi. Par ailleurs, nous avons énormément avancé sur la bataille culturelle en dénonçant le fait qu’Amazon était un acteur climaticide et qu’on ne pouvait pas le laisser s’implanter impunément sur notre territoire, sans consultation des habitants ni des élus locaux.
Comment ce blocage d’un entrepôt Amazon a-t-il été vécu par les salariés de ce site ?
L’action s’est passée en deux temps. Nous avons bloqué cet entrepôt sans empêcher les salariés d’entrer car cela aurait été en contradiction avec nos revendications sociales. Nous soutenons ces salariés qui sont dans une grande précarité et qui travaillent dans de très mauvaises conditions. Nous avons donc simplement bloqué l’entrée et la sortie des camions et leur circulation sur le site. Certains salariés ont mal pris notre intervention, ce qui est tout à fait compréhensible. Mais après avoir discuté avec certains d’entre eux, les choses se sont plutôt bien passées. Il y a même des salariés qui nous ont soutenus et qui essayent de faire bouger les choses en interne.
En France, beaucoup de gens travaillent dans des entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre. Comment concilier protection de l’environnement et préservation de l’emploi ?
S’il y avait de réels engagements de la part d’Emmanuel Macron et de son gouvernement en faveur d’une réelle politique écologique, on pourrait mettre en place la transition écologique et créer énormément d’emplois. Pour cette transition, on va avoir besoin de gens qui travaillent dans cette économie moins carbonée. On pourrait ainsi créer des emplois beaucoup plus soutenables socialement, bien rémunérés, avec de bonnes conditions de travail. Pour nous, l’écologie est forcément sociale : elle implique par exemple d’en finir avec les inégalités au travail.
À quoi ressemble le militant type d’ANV-COP21 ? Y a-t-il chez vous des jeunes issus des milieux populaires ?
Ce sont essentiellement des jeunes qui ont à la fois le temps et les moyens de se poser des questions de société, dans le sens où ils n’ont pas le souci de savoir comment ils vont pouvoir se nourrir ce mois-ci ou nourrir leurs enfants. Les gens qui sont dans des situations précaires ne peuvent évidemment pas se permettre de se poser ces questions-là. Mais nous travaillons à un rapprochement avec ces personnes éloignées de nos luttes, avec les syndicats, avec les gilets jaunes. Ça prend énormément de temps de se rapprocher et d’essayer de trouver des revendications communes. Notre objectif est de rendre le mouvement encore plus social. Même si, pour l’instant, il est difficile de demander à des gilets jaunes de se mobiliser pour le climat, il faut qu’on continue à montrer en quoi les enjeux écologiques, les enjeux de production, les enjeux d’alimentation sont des enjeux sociaux.
Si le mouvement pour le climat peine encore à se populariser, il est en revanche très féminisé.
Effectivement, ANV-COP21 est composé d’une majorité de femmes qui ont des rôles très importants. Nous avons créé beaucoup d’espaces favorables aux femmes : parité dans la prise de parole, dans l’organisation des réunions, dans la répartition des rôles. Du coup, les femmes se sentent plus à l’aise et prennent une place plus importante. On peut dire que le mouvement climat est aussi un mouvement féministe.
Depuis la COP21, il y a eu de nombreuses marches pour le climat. La prochaine aura lieu le 14 mars. Mais ces mobilisations ne semblent pas faire peur aux décideurs économiques et politiques.
Les marches sont très importantes. Ce sont des espaces populaires relayés médiatiquement. La veille d’un vote au Parlement, ça peut avoir son importance. On peut également les voir comme un parcours d’engagement : il y a beaucoup de gens qui commencent par marcher, puis qui décident de désobéir, d’aller décrocher des portraits d’Emmanuel Macron. Ces décrochages sont des actes très forts qui nous ont permis de faire émerger les questions de désobéissance civile et de montrer au grand public le désengagement d’Emmanuel Macron par rapport à l’accord de Paris (COP21). Il y a aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas prêtes à désobéir, à transgresser la loi, mais qui veulent quand même montrer leur engagement. Les marches pour le climat sont des espaces non violents où les plus vulnérables (personnes handicapées, précaires…) peuvent s’exprimer.
Quel bilan faites-vous de l’opération de décrochage des portraits d’Emmanuel Macron lancée il y a un an ?
Ces actions sont une très belle victoire. Grâce à elles, nous avons porté la désobéissance civile aux yeux de toutes et tous et montré qu’il y avait une urgence. Elles nous ont offert une tribune médiatique, juridique et politique très importante. Elles ont aussi montré qu’il existait d’autres modes d’action que les marches pour le climat. D’autre part, ces décrochages de portraits ont permis de déconstruire le discours d’Emmanuel Macron qui se fait passer pour le champion du climat à l’échelle internationale. Il est très important que les gens ne se laissent pas enfumer par ce discours mensonger.
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