Peut-on guérir de l’exil ? Avec « Des ailes au loin », Jadd Hilal scrute la blessure sourde de l’itinérance, en restituant le chemin de vie de quatre femmes d’une même lignée. À travers elles, de génération en génération, c’est aussi l’histoire du Liban, des années 1930 à l’an 2000, qui défile.
« Des ailes au loin », de Jadd Hilal, Elyzad, 2018, 216 p.
De 1930 aux années 2000, de Haïfa à Genève, de mère en fille, quatre femmes palestiniennes tenaces, déterminées, attachantes, nous racontent la panique des départs dus à la guerre et leur exigence de liberté.
Un livre à retrouver dans les bibliothèques des villages vacances.
Un auteur en tournée dans les villages vacances :
« Je suis très intrigué et curieux. Ce qui m’enthousiasme, c’est la pluralité sociologique de ce public. J’adore discuter avec des personnes qui ne sont pas d’emblée conquises. Dans ces rencontres, ce qui est génial, c’est lorsque j’arrête de parler de mon livre et que les gens se livrent et racontent ce qui, dans mon texte, fait écho à leur vie, à leur histoire personnelle. On constate que l’on n’est pas si éloignés. »
Qu’ont en commun les quatre femmes de votre roman, hormis leur lien de parenté ?
Tout d’abord, elles portent toutes, en elles, l’exil. Elles font le même déplacement géographique au Moyen-Orient. Ce qui m’intéressait, c’est ce phénomène de répétition. Quand dans une même famille, les gens ont souffert d’itinérance, ils éprouvent alors toujours une difficulté à s’ancrer quelque part, à s’installer réellement.
Autre point commun : elles ont chacune une maternité assez spéciale, non souhaitée, imposée. Ce sont donc les filles qui, psychologiquement, jouent le rôle de chef de famille, dévolu normalement à leur mère. Naïma, mariée de force à 12 ans, est mère sans le vouloir. Du coup, c’est sa fille, Ema, qui assume ce rôle à sa place. Elle-même refuse que sa propre fille, Dara, l’appelle maman…
Dernier point commun : elles voient toutes la liberté et le bonheur comme un horizon temporel. Et c’est tout le sens du titre, le bonheur comme des ailes au loin… Chacune abrite une forme de nostalgie, une forme d’insouciance liée à l’enfance. Naïma pleure son enfance en Palestine ; sa fille Ema, les amies de sa jeunesse. Quant à Dara, la petite-fille, elle regrette le Liban de son enfance.
Que se transmettent-elles de génération en génération ?
Se transmettent-elles quelque chose à leur insu ou non, telle est la question. Ce qui fédère ces personnages, c’est qu’ils ne sont pas résignés. Ces femmes ont malgré tout la tête levée ; elles ont toujours en tête un horizon qui les élève, qui les empêche de tomber. Pour elles, chacune à leur façon, le Liban est synonyme d’insouciance et de liberté.
Les rapports entre les hommes et les femmes ne sont pas tendres, voire très violents, en tout cas compliqués.
Ces sociétés-là ne sont tendres avec personne ; la violence des rapports entre les hommes et les femmes est contextuelle. L’idée n’est pas de dire les hommes sont méchants, les femmes sont gentilles. Mais plutôt de comprendre les facteurs et les mécanismes qui mènent à cette violence. Comment et sur quelle base se sont construits et développés ces rapports ?
Si Naïma est mariée de force à l’âge de 12 ans, son mari ne l’a pas vraiment choisie non plus. Les hommes eux aussi subissent : leur rôle de père, de chef de famille leur est imposé. Néanmoins, les filles s’autorisent à dire des choses à leur père que les épouses ne pourraient pas se permettre de dire.
Il est toujours question de partir dans votre roman… Les femmes fuient la guerre mais aussi leur mari, non ?
Je crois que les femmes fuient avant tout la guerre pour protéger leurs enfants, tandis que les maris ont plutôt tendance à rester pour défendre la terre. Il y a une forme de patriotisme chez eux : le pays est en guerre, il est normal de le défendre. Dans ces sociétés-là, les femmes refusent de mettre leurs enfants en danger, de les sacrifier.
Le roman se déroule principalement au Liban sur fond de guerre. Comment expliquez-vous cet attachement viscéral à ce pays ?
La douleur de l’exil est proportionnelle à l’attachement ressenti pour le pays que l’on a dû quitter. Ma grand-mère, à qui j’ai dédié mon livre, me disait toujours : « Je suis partie mais je suis toujours restée ! » Lorsque quelqu’un quitte son pays, il l’a toujours dans les tripes, c’est certain.
Le Liban était un pays multiconfessionnel, francophone, où régnait une effervescence culturelle intense. C’était un haut lieu de réflexion intellectuelle dans les années 1960-70. Il a toujours représenté un lieu d’insouciance et de liberté dans le chaos ; cela a coïncidé avec les événements de 1968. À partir de 1975, la guerre reprenait tous les ans. C’était très difficile de vivre dans le tumulte perpétuel, dans ces sociétés extrêmement bordéliques, avec l’angoisse permanente de la guerre. Néanmoins, mes héroïnes regrettent cet endroit dans lequel tout se fait dans le désordre.
Comment interpréter le sourire de Naïma, la grand-mère ?
Naïma est le personnage que je préfère. Elle est mal équipée pour vivre dans ce monde. Elle reste une enfant dans un corps d’adulte. Elle aborde la vie, le monde, par le prisme de l’enfance. D’ailleurs, elle se reconnaît beaucoup dans ses petits-enfants ; elle est leur amie. Dans son sourire, il y a cette espèce de candeur qui désarçonne, comme un gamin que l’on gronde et qui vous regarde avec ses grands yeux. Naïma est au-delà de l’espoir.
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