Pourquoi la morue a-t-elle quasiment disparu de l’océan atlantique ? De passage au village vacances de Megève (Haute-Savoie) dans le cadre des Rencontres culturelles, la compagnie Vertical Détour dévoile avec humour les conclusions d’une passionnante enquête.
Frédéric Ferrer a presque réussi son pari : faire tenir en 1h15 une conférence qui, dit-il, dure en principe trois fois plus longtemps. Un pari un peu stupide qui fait écho à l’histoire non moins absurde que nous raconte le comédien, auteur et fondateur de la compagnie Vertical Détour. L’histoire de la morue. Ou plus exactement celle de sa disparition à l’issue de cinq siècles d’exploitation insensée par les Européens, les Canadiens et les Etats-Uniens.
Extrait du spectacle (2018) :
Un récit captivant et hilarant
Pour respecter son timing impossible, le conférencier met les bouchées doubles, au risque de transformer son discours en brandade. Il parle vite, multiplie les aller-retour entre l’ordinateur et le grand écran, utilise une gestuelle nerveuse et frénétique : la recette parfaite pour perdre un auditoire ! Or, c’est l’inverse qui se produit : ce 22 juillet, dans la salle d’activités du village vacances de Megève – Le Hameau, les bénéficiaires sont captivés. Frédéric Ferrer a du talent et son spectacle est passionnant. On passe du sourire au fou rire en observant le comédien-géographe enchaîner les raisonnements, multiplier les schémas explicatifs et – surtout – se perdre dans d’improbables et parfois hilarantes digressions. Des pas de côté qui sont autant de repères historiques cocasses et désopilants.
Mais au fait, pourquoi faire tout un spectacle sur l’histoire d’un poisson ? Parce qu’à travers la morue, c’est notre avenir qui se joue, assène le comédien. Rien de moins. Pour bien comprendre les enjeux, il faut revenir aux origines de cette pêche au grand large. « A l’époque, au Moyen-âge, on pêchait [au large de Terre-Neuve] des morues de 50 kg et de 2 mètres de long. C’était un endroit prodigieux pour la vie marine. » Que s’est-il donc passé ? Frédéric Ferrer identifie quatre grands responsables de la quasi-extinction des morues. D’abord, les chrétiens qui voyaient dans le poisson l’aliment idéal pour les jours saints, car non associé à la chair, au sang ou au sexe. Ensuite… Alexandre Dumas et Jules Michelet, qui ont accrédité la thèse (fausse) d’une morue menaçant l’homme et les autres espèces par une capacité reproductive hors du commun. Dernier responsable du massacre : la pêche au chalut développée dans les années 1960.
La morue, victime du libéralisme
Plus généralement, la « tragédie de la morue » est étroitement liée à l’histoire du capitalisme et du libéralisme économique. « Le capitalisme est né avec la pêche à la morue », explique le comédien. Et le libéralisme a accéléré la destruction de ce poisson prolifique qui a la mauvaise habitude de se balader en bancs serrés, devenant une proie facile pour des industriels sans scrupules. Vingt-huit ans après que sa pêche ait été interdite, l’ex-poule aux œufs d’or n’a toujours pas ramené le bout de ses nageoires autour de Terre-Neuve. Peut-elle un jour revenir ? Les scientifiques n’y croient guère, mais les pêcheurs continuent de l’espérer. Après tout, « si on est déjà au fond, il n’y a plus qu’à remonter, » conclut Frédéric Ferrer.
A l’issue du spectacle, malgré la gravité du sujet, les mines sont réjouies. « Ça m’a bien détendu, » sourit Philippe, chargé de projet Enedis à Tours (Indre-et-Loire). Sa compagne Christine a trouvé la conférence « super bien documentée. » Elle salue « l’effort de vulgarisation » fait par le comédien : « C’est très original de mêler des données scientifiques tout en apportant une touche humoristique. » Pascal, technicien Enedis à Bourges (Cher), a également apprécié cette « très bonne sensibilisation à l’écologie faite avec humour. » Ce qui a beaucoup amusé Marie-José, son épouse, c’est « le coté loufoque du scientifique fou qui reste sérieux jusqu’à la fin ». Bref, « De la morue » fait partie des spectacles qu’on n’oublie pas. Et qui nous font regarder la brandade sous un autre jour.
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