Pour Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation à Lyon 2, les inégalités existant entre les élèves, renforcées durant le confinement, ont des causes et des solutions économiques et pédagogiques.
Bio express
Né le 29 novembre 1949 à Alès (Gard), Philippe Meirieu a très tôt milité dans des mouvements d’éducation populaire. Après des études de philosophie et de lettres et un CAP d’instituteur, il devient professeur de français et de philosophie, avant de prendre des responsabilités pédagogiques et administratives dans plusieurs instituts.
Parmi ses engagements militants et professionnels, il fut responsable pédagogique d’un collège expérimental de 1976 à 1986 et rédacteur en chef des « Cahiers pédagogiques » de 1980 à 1986.
De 2010 à 2015, il a été vice-président de la région Rhône-Alpes, délégué à la formation tout au long de sa vie. Depuis juin dernier, il préside le mouvement d’éducation populaire des Ceméa (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active).
Qu’avez-vous pensé des dispositifs proposés par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, et notamment celui des « vacances apprenantes » ?
Il y a eu quelques belles initiatives, mais c’était celles qui ont d’abord considéré que les enfants avaient le droit d’avoir de vraies vacances. Ce qui ne signifie pas qu’on n’apprend rien pendant ce temps, mais qu’on apprend autrement et d’autres choses. Vouloir transformer les vacances en une sorte d’ »école au rabais » n’est pas une bonne solution.
Lire aussi
“Vacances apprenantes” : les colos au renfort de l’Éducation nationale ?
Selon vous, dans quelles conditions s’est préparée la rentrée de septembre pour les enfants ?
Il me semble qu’il aurait été sage de retarder la rentrée d’une semaine pour laisser aux enseignants le temps de la préparer en équipe. Car, même si les questions sanitaires sont résolues en amont – et je doute fort que ce soit le cas – cette rentrée a été être très exceptionnelle : certains enfants ne sont pas retournés à l’école depuis six mois, des écarts considérables se sont creusés entre ceux qui ont continué à travailler et ceux qui ont décroché, les relations avec les parents ont été profondément modifiées, etc. Tout cela aurait exigé un travail pédagogique collectif pour préparer des dispositifs et des méthodes adaptés, organiser des groupes en fonction des besoins, mettre en place une entraide systématique entre élèves…
Dans quel état esprit, côté corps enseignant ?
Les enseignants se sont fortement mobilisés pendant le confinement, mais ils ont eu à gérer des situations très difficiles et un pilotage erratique. Je crains que beaucoup d’entre eux aient le sentiment aujourd’hui de n’être pas considérés comme des acteurs à part entière de l’école. Je suis convaincu qu’il faudrait mieux les accompagner et s’efforcer de les comprendre : ils veulent le mieux pour nos enfants, ils souffrent de voir se pérenniser des injustices insupportables. Il faudrait leur proposer plus de formations adaptées et moins de contrôles technocratiques.
À lire sur la médiathèque (accès libre)
« L’Éducation peut-elle être encore au coeur d’un projet de société ? », de Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak, 2011.
Comment les dynamiques collectives vont-elles pouvoir se recréer ?
Les enseignants ne sont pas suffisamment formés et encouragés à travailler en équipe. Et ils souffrent de solitude… Paradoxalement, le confinement a fait émerger des formes de solidarité, d’échanges, de mutualisation des pratiques qu’il faudrait poursuivre. Je crois que, plus que jamais, il faut promouvoir la dimension collective de ce métier : même si chaque enseignant se retrouve seul devant ses élèves, il est beaucoup plus efficace s’il s’est nourri de toute une réflexion avec ses collègues.
De quoi les élèves ont-ils besoin en premier lieu pour apprendre ?
D’une transmission des savoirs rigoureuse, mais qui s’effectue dans une relation tout à la fois de bienveillance et d’exigence. Il faut de la bienveillance car si l’enfant ne sent pas que l’adulte croit en lui et le considère comme capable, il perd ses moyens.
Mais il faut aussi de l’exigence, car c’est cette exigence qui lui permet de progresser, de faire mieux à chaque fois et d’être finalement fier d’avoir pu se dépasser.
À mes yeux, faire intérioriser l’exigence par l’enfant pour que ce dernier devienne exigeant à l’égard de lui-même, y compris quand l’adulte n’est plus là, voilà l’ambition fondatrice de toute éducation.
Cette crise sanitaire est un révélateur d’inégalités. Comment lutter contre l’injustice en matière éducative ?
Il y a d’abord, évidemment, des mesures à prendre pour lutter contre les injustices sociales et permettre à tous les enfants d’avoir un logement décent, un équipement informatique suffisant, un meilleur accès aux ressources culturelles, etc. Il y a aussi à travailler sur les moyens de donner enfin, vraiment, « plus et mieux à ceux qui ont moins ».
L’argent va encore trop aux riches : un élève de classe préparatoire aux grandes écoles coûte infiniment plus cher qu’un étudiant ordinaire ; et les enfants des réseaux d’éducation prioritaire coûtent moins cher que les enfants des collèges de centre-ville où les professeurs sont plus diplômés et plus expérimentés, où il n’y a pas de vacataires et où les options sont plus nombreuses.
Et puis, il y a la dimension proprement pédagogique : il ne suffit pas de « distribuer » des savoirs pour que les élèves apprennent ; il faut transmettre à chacune et à chacun le désir et le plaisir d’apprendre, il faut permettre à toutes et à tous de découvrir que les savoirs sont des outils formidables d’émancipation et qu’on ne doit pas travailler à l’école « pour faire plaisir à ses parents et à ses enseignants », mais pour devenir plus libre, heureux et solidaire dans un monde meilleur.
Pour aller plus loin
« Ce que l’école peut encore pour la démocratie »
éd. Autrement, août 2020, 280 p., 19,90 euros.
Tags: À la une Éducation