Exploitant, distributeur, directeur du réseau de salles Europa-Cinéma, Claude-Éric Poiroux est aussi fondateur du festival Premiers plans d’Angers dont les Activités sociales sont partenaires depuis 20 ans. Il évoque pour nous l’expérience d’un festival virtuel et la situation actuelle de l’industrie du cinéma.
Comment avez-vous préparé Premiers plans 2021 ?
Claude-Éric Poiroux : En août dernier, les ateliers d’Angers s’étaient très bien déroulés dans le respect des mesures sanitaires préconisées. En septembre, nous étions confiants sur l’objectif de tenir le festival en présentiel en février 2021. L’équipe de programmation – qui visionne environ 2 500 films par an – s’est mise au travail.
Puis l’arrivée des couvre-feux a bouleversé les festivals Cinemed, à Montpellier et Lumière à Lyon. Nous avons réfléchi à la faisabilité de notre propre festival. Outre les salles, le centre des congrès d’Angers qui accueille le festival propose des salles de réunion, deux restaurants, une librairie, un bar, bref des lieux de rassemblement… Le 7 janvier, la situation s’est encore durcie, et nous avons pris la décision de mettre tout le festival en ligne en février, tout en programmant des séances y compris dans d’autres villes de la région dès que les salles rouvriront.
Nous avons la chance de pouvoir nous inscrire dans une dimension temporelle plus longue, d’être soutenus par la ville, la région et le département, et d’être en lien avec les exploitants et les professionnels.
En quoi un partenariat comme celui du festival avec les Activités sociales est-il important ?
Claude-Éric Poiroux : Un partenariat qui dure depuis 20 ans, c’est important ! Je me souviens des premières années lorsque je saluais la CCAS dans la salle, il y avait 100 mains qui se levaient, qui applaudissaient, ça faisait nombre.
Premiers plans est un festival très « public » même si ce n’est pas le plus « grand public » de la terre. Mais depuis le début, nous avons envie que le festival soit une fête ouverte à tout le monde. Depuis quelques années, c’est une bonne surprise pour nous d’avoir 80 000 spectateurs à chaque édition. Lorsque nous présentons des premiers films finlandais ou portugais dans la grande salle de 1 300 places, elle est pleine !
Il y a des personnes qui viennent au cinéma grâce à nous et ça fait du bien.
Au cœur de l’hiver, il y a une vraie dimension festive et dynamique : souvent les festivaliers finalement ne se préoccupent pas trop du film qu’ils vont voir, il y a un effet d’entraînement propre à Angers. C’est aussi un festival ouvert aux parents et aux adolescents pendant lequel on voit naître des réalisateurs et devenir célèbres 10 ans plus tard, comme Arnaud Desplechin, Thomas Winterberg, François Ozon, ou des actrices comme Anaïs Demoustier.
Je suis certain que parmi le public il y a des personnes qui viennent au cinéma grâce à nous et ça fait du bien. Car le cinéma proposé à Angers, c’est l’ouverture d’esprit, la découverte d’univers qui nous touchent d’assez près. Avec une patte de nouveauté très plaisante.
Comment s’est déroulé ce festival virtuel ? Comment l’avez-vous vécu ?
Claude-Éric Poiroux : Nous avons fait appel à trois plateformes. La première, destinée aux professionnels (producteurs, distributeurs, journalistes…), nous a donné par exemple une visibilité du nombre de vues de certains films que nous n’avons pas pendant le festival présentiel, car nous ignorons qui va voir les films.
Ensuite, avec la plateforme de LaCinetek, nous avons édité un pass (douze films, 7 euros). Il propose notamment un hommage à Chantal Akerman et se terminera le 24 février. Jusqu’ici 1200 pass ont été vendus, ce qui est un très bon résultat.
En regardant tous, de chez soi, le même film, à la même heure, l’esprit « festival » était bel et bien là.
Enfin sur la troisième plateforme, nous avons mis en place la Vingt-cinquième heure, un concept original de salle virtuelle. On peut y consulter le programme, choisir son horaire, visionner le film à l’heure fixée. Il y a une présentation avant le film et un débat après avec son réalisateur ou sa réalisatrice, qui étaient en direct par visioconférence depuis chez eux à Moscou, Istamboul, Bucarest ou Bruxelles. Un animateur et un traducteur étaient aussi présents à l’image. La dimension internationale de l’évènement était ainsi présente.
Le public était au rendez-vous et le succès de la Vingt-cinquième heure a même généré quelques frustrations puisque chaque séance était complète (l’inscription était gratuite dans la limite des 400 places disponibles). Les débats, vraiment intéressants, duraient une quarantaine de minutes et l’effet communautaire était là, avec possibilité d’écrire des messages qui s’affichaient à l’écran. En regardant tous, de chez soi, le même film, à la même heure, l’esprit « festival » était bel et bien là. Avec ce côté événementiel préservé, on a quand même eu l’impression de vivre un vrai festival. Maintenant on attend le moment où on se retrouver en salles.
Comment le jeune cinéma européen a-t-il traversé l’année 2020 ?
Claude-Éric Poiroux : Les premiers films qui n’étaient pas enclenchés au printemps 2020 auront sans doute beaucoup souffert, même s’ils se font souvent dans des conditions un peu « légères », sans grande mise en scène et que peut-être les réalisateurs et réalisatrices se seront débrouillés par eux-mêmes. Pas mal de films ont été tournés cet été, période de tournages.
Bien sûr la production aura été plus faible mais le plus grave aujourd’hui, c’est la diffusion. Les salles ont été fermées 162 jours. Sachant que ce sont habituellement 15 films qui sortent chaque semaine, il y a aujourd’hui 400 à 450 films qui attendent, qui n’arrêtent pas d’être décalés… La distribution est bouleversée et on ne sait pas comment ces films vont pouvoir trouver leur place et leur public en salle. Le marché de la diffusion va avoir des difficultés à se remettre en route.
Qu’attendez-vous des prochaines décisions prises par les pouvoirs publics pour le cinéma en particulier ?
Claude-Éric Poiroux : On voit bien que les décisions sont suspendues à la question de l’invasion des variants du coronavirus. Si on table sur une ouverture prochaine des musées, pour les salles de spectacles, c’est autre chose. En cas de réouverture dans plusieurs semaines, est-ce que la distanciation sanitaire en salles va être maintenue ? Si les couvre-feux sont maintenus à 18 heures ou 20 heures, les exploitants et les distributeurs n’auront pas vraiment envie d’ouvrir leurs salles.
D’autant que celles-ci dépendent de tout un marché : distribution, achats d’espace publicitaire, campagne de promotion avec disponibilité des acteurs et des distributeurs… cela ne se fait pas en un claquement de doigt. Faire entrer un film dans une salle, cela nécessite un temps de préparation.
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