Repéré par le Jamel Comedy Club, habitué des d’émissions de télévision grand public et désormais chroniqueur dans l’émission « Par Jupiter » sur France Inter, Waly Dia a offert un spectacle en livestreaming aux bénéficiaires des Activités Sociales le samedi 10 avril. Rencontre avec un humoriste aussi décapant qu’engagé, qui ne mâche jamais ses mots.
Vous venez de vivre un an de pandémie sans jouer de spectacle, sans public, en bénéficiant de l’année blanche octroyée par le gouvernement… Comment occupez-vous votre temps ?
Waly Dia – (rires) Heureusement pour moi, j’ai eu la chance de pouvoir travailler cette année sur d’autres chantiers que des spectacles : l’écriture de scénarios, de chroniques radio, les tournages de séries ou de films au cours des périodes où ils ont été possibles. Mais c’est beaucoup plus difficile pour des artistes qui n’ont pas ma notoriété.
Car ce qu’on ne dit pas au sujet de l’intermittence, c’est que le versement de ces allocations ne nous tombe pas tout cuit dans le bec ! Les artistes cotisent pour alimenter ce système. Ces allocations sont même plus difficiles à obtenir que celles du régime général, puisqu’il faut déclarer un minimum de 507 heures de travail (tournages, représentations…).
Et pour un artiste, ces 507 heures de « travail » reconnu comme tel nécessitent en fait des milliers d’heures d’essais, de recherche documentaire, d’écriture, de répétition : c’est un véritable travail d’artisan dont le public n’a pas toujours conscience. Pour certains, ce système représente même un privilège. Mais aux yeux des artistes du monde entier, le système français est un filet de sécurité précieux. Et cette garantie, nous devons aller la chercher à la sueur de notre front.
Comment en êtes-vous arrivé à « l’humour professionnel » ?
W. D. – Quand j’étais petit, devenir humoriste n’était pas du tout une vocation ! Dans les soirées, je ne me considérais pas comme le boute-en-train de l’équipe. Et par la suite, je me suis d’ailleurs bien rendu compte que « faire des blagues » en soirée et exercer le métier d’humoriste étaient deux choses très différentes.
Pour un humoriste, l’écriture est à destination d’un public qui ne te connait pas, qui n’a pas d’affinités particulière avec ce que tu proposes, tout au moins au début. Pour résumer, j’ai l’habitude de dire : « si tu arrives à faire rire les gens dans une chambre froide, tu peux devenir humoriste ».
Vous avez d’abord été danseur, vous aviez donc déjà choisi une voie artistique…
W. D. – Pas vraiment, c’est la vie qui m’y a amené. J’habitais dans un quartier où tout le monde pratiquait le hip-hop, et on s’y mettait sans se poser de questions. Plus on progressait, plus on parvenait à proposer de petites performances, mais je n’avais aucune intention de faire carrière dans cette discipline ! Gagner sa vie en tant que danseur est encore plus difficile qu’en tant qu’humoriste.
Mais dans ces spectacles de danse, j’essayais déjà d’intégrer certains effets comiques, pour pouvoir communier avec la salle par le rire. Et de fait, j’ai commencé à écrire des sketchs, toujours sans me projeter… et ça a fini par fonctionner. Le problème, c’est que lorsqu’on met le doigt dans l’engrenage, on n’a plus envie d’arrêter !
J’ai débarqué dans le métier juste au moment où l’on cherchait des humoristes pour alimenter des programmes télé.
J’ai débarqué dans le métier juste au moment où l’on cherchait des humoristes pour alimenter des programmes télé. En 2012, j’ai eu la chance d’être recruté par Laurent Ruquier pour l’émission « On n’demande qu’à en rire ». La même année, le Jamel Comedy Club a été relancé après trois ans d’interruption, ce qui m’a permis également d’intégrer l’équipe. Mes sketches ont suffisamment bien marché pour que j’en fasse un spectacle par la suite. Cela s’est fait pratiquement sans que je m’en rende compte. Je suis ce qu’on appelle un miraculé, puisque tous les humoristes de cette époque n’ont pas réussi à percer.
En fait, ce n’est qu’aujourd’hui que je commence à me poser des questions à propos de choix de carrière. Pendant 10 ans, je me suis longtemps laissé porter par les événements, avec l’angoisse qu’un jour, on vienne sonner à ma porte pour me dire que c’est terminé.
Le fameux « syndrome de l’imposteur »…
W. D. – C’est ça. Et en fait, il ne nous quitte jamais, parce qu’on enchaine les projets avec l’impression de ne jamais les mener au bout. Et on oublie facilement tout le travail que nous a demandé la réalisation de ces projets. C’est une remise en question permanente.
Quelle est votre méthode d’écriture ?
W. D. – Je réfléchis d’abord aux sujets que j’ai envie d’aborder, et à ce que je veux en dire. Ensuite, j’essaie de tordre l’idée avec les techniques de l’humour que je connais. Ce n’est pas une science exacte : on utilise l’absurdité, le décalage pour déclencher le rire. Et toute la virtuosité de ce métier consiste à ne laisser transparaître aucune technique. Je travaille aussi avec un co-auteur, Mickaël Quiroga. Nous confrontons nos idées, nous avons des séances de ping-pong verbal. Travailler avec un regard extérieur est primordial pour un humoriste.
Comment choisissez-vous les thèmes de vos textes ?
W. D. – Cela dépend du support. Si j’écris une chronique pour la radio, je vais me baser sur l’actualité immédiate. Je choisis ce qui m’indigne le plus, ce à quoi j’ai envie de répondre par la dérision, ou même simplement par la logique : il suffit parfois juste de déconstruire une réalité absurde par le raisonnement. Tout le problème de notre époque, c’est qu’on peut faire de l’humour en étant simplement logique, alors que ce devrait être l’inverse !
Dans mes spectacles, je traite plutôt de phénomènes de fond, déconnectés d’une actualité chaude, qui me touchent. Par exemple, en ce moment, on a l’impression que les gens ne sont plus capables de se mettre d’accord sur rien, qu’il n’y a plus de majorité, sur aucun sujet. Ce qui est faux. Dans mon spectacle « Ensemble ou rien », j’essaie de déconstruire tous ces mécanismes de division qui nous sont imposés, journal après journal, discours après discours.
Prenons le cas de la loi sur le séparatisme. Je viens de découvrir qu’un sénateur se focalise en ce moment sur les prières dans les couloirs des universités ! N’ont-ils pas d’autres priorités, alors que les universités sont fermées depuis un an, et que les étudiants font la queue à la soupe populaire pour pouvoir manger ? C’est ce genre de choses que je trouve inadmissibles. N’ayant pas de fonction politique, je l’exprime dans mon spectacle. Mais il faudrait que les citoyens réagissent et cessent de laisser les hommes et femmes politiques dérouler ce type de discours, qui ne change absolument rien à notre réalité, et fait l’impasse sur les priorités.
Pourquoi avoir choisi d’être un humoriste engagé, et sur des thèmes très sensibles qui plus est, comme les réunions non mixtes, l’utilisation politique du corps des femmes ?
W. D. – Je n’ai pas vraiment l’impression de « m’engager ». D’ailleurs, je n’aime pas ce mot. Je ne suis pas « engagé », je suis concerné par des choses qui touchent mes proches et les gens en général. Je suis moins intéressé par des sujets dits légers, comme celui du couple par exemple, qui ont déjà été traités mille fois.
Ce qui me motive, c’est de « jouer à la marelle à côté de la lave ». Si je déborde, je me ferai peut-être rappeler à l’ordre par le public ; mais de toutes façons, je n’irai jamais aussi loin qu’un homme politique ! Aujourd’hui, un humoriste qui trébuche va provoquer une polémique, qui va enfler dans des proportions incroyables. Un ministre qui « déconne » va s’empresser de lancer un autre sujet le lendemain, pour faire diversion, ce que ne fera pas un humoriste : il ne fera pas « d’affaire dans l’affaire », comme disait Charles Pasqua.
Ça ne me dérange pas d’être pris pour cible par l’extrême droite ou par le gouvernement. De toute façon, nous sommes en désaccord.
L’une de vos chroniques récentes était intitulée « la journée internationale des balles perdues« , et effectivement, tout le monde en prenait pour son grade. Ne craignez-vous pas de prendre vous-même une balle perdue un de ces jours ?
W. D. – Ça arrivera sûrement, mais ce n’est pas grave. Je ne suis pas parfait. Je ne suis qu’un observateur, un commentateur. J’ai fait le choix de ne pas occuper un poste de pouvoir, ce qui me protège. Mais je sais de qui viendra le retour de flamme, et ça ne me dérange pas d’être pris pour cible par l’extrême droite ou par le gouvernement. De toute façon, nous sommes en désaccord.
Par ailleurs, j’ai fait ce choix car le pouvoir aujourd’hui ne permet pas d’agir pour les gens. Les personnes qui occupent des postes de pouvoir ont dû accepter énormément de compromis face à des forces qui sont plus puissantes qu’eux. Lorsqu’ils arrivent au pouvoir, même avec les meilleures intentions du monde, ils ont les mains liées. Je préfère participer à la vie démocratique en tant que citoyen, à mon niveau : agir au service des gens que je côtoie, de petites associations de quartier, promouvoir de jeunes artistes.
Bref, agir sur des choses que je maîtrise. Et je n’ai pas la prétention de maîtriser la France ! Par exemple, je participe à toutes les émissions dont les recettes vont à des associations, comme « Le meilleur pâtissier » par exemple, même si ces programmes n’ont rien à voir avec mon métier. Ce sont des actions plus concrètes que des discours.
Je ne lutte pas, je divertis les vrais combattants, et je leur montre qu’ils ne sont pas seuls à défendre leurs idées.
Vos spectacles peuvent pourtant être comparés à des discours. Pensez-vous pouvoir faire évoluer les mentalités ?
W. D. – Je n’aurai pas cette prétention. Quelques personnes peuvent évoluer à la marge… mais la plupart des gens qui viennent à mes spectacles sont des convaincus. En fait, je ne lutte pas, je divertis les vrais combattants, et je leur montre qu’ils ne sont pas seuls à défendre leurs idées.
Tenir des propos qui vont à l’encontre du discours dominant relève tout de même d’une certaine forme d’engagement…
W. D. – Oui, je m’expose. Mais je n’ai pas l’impression de risquer ma vie en disant qu’il y a des nazis dans l’armée, et que ce n’est pas peut être une bonne idée ! En résumé, je dis que « le racisme, c’est pas bien », que « les discriminations, c’est pas bien », que « la violence, c’est pas bien » : en fait je ne suis pas plus subversif qu’une Miss France ! Je suis même très consensuel.
Le problème, c’est plutôt que le discours dominant n’aille pas dans ce sens-là. Des choses qui paraissaient évidentes ne le sont plus. En attendant, certains éditorialistes comme Éric Zemmour ont micro ouvert sur des chaînes de grande écoute comme CNews ; quant à moi, j’attends toujours ma condamnation pour incitation à la haine raciale !
Et si les Français préfèrent confier le pouvoir à l’extrême droite, que va-t-il se passer ? En ce qui me concerne, je me ferai contrôler plus souvent par la police, j’aurai des problèmes pour trouver un travail ou un appartement, ce qui ne changera pas grand-chose à ma vie actuelle ! Par contre, le quotidien des Blancs pauvres risque d’être passablement bouleversé.
Vous faites partie de la joyeuse bande d' »islamo-gauchistes » de l’émission « Par Jupiter » sur France inter… Vous le vivez bien (rires) ? Plus sérieusement, que pensez-vous de cette terminologie ?
W. D. – Oh, ça se passe bien, puisque j’utilise ce terme pour les insulter au début de chacune de mes chroniques (rires) ! Mon objectif est évidemment de tourner en dérision ce nouveau vocabulaire, qui désigne un phénomène qui n’existe pas, parce que personne n’arrive à le conceptualiser. Chacun en donne sa propre définition, mais ça n’a aucun sens. Aujourd’hui, on accole le mot « islamo » à tout et n’importe quoi. Cela rappelle l' »insulte » « judéobolchévik » des années 1930.
Or dans chaque communauté, il existe des choses à améliorer, mais utiliser ces termes revient à essentialiser une population pour en faire un bouc-émissaire. On a vu ce que cela a pu donner… Je ne ferai pas partie de ceux qui voudront jouer ce jeu-là. Cette dérive va faire beaucoup de mal : certains enfants grandissent actuellement en pensant être persécutés. Quels adultes vont-ils devenir ? Je ne suis même pas musulman, mais je me sens concerné. Et je réagirais de la même façon s’il s’agissait d’une autre religion. Autant m’approprier ce champ lexical et le tourner en dérision, pour le retourner contre ceux qui l’utilisent.
Vous avez déclaré au journal « Libération » que « le rire ensemble, ça ne se télécharge pas ». Qu’entendiez-vous par là ?
W. D. – Les spectacles en streaming ne remplaceront jamais les spectacles en salle : il n’existe rien de plus fort que de communier et de rire ensemble. En salle, le spectacle crée une sorte de connexion mentale entre les spectateurs, qui rient et vivent les mêmes choses au même moment. Alors qu’ils ne se connaissent pas, ils vivent une expérience commune, par une sorte de mécanisme inconscient. Le spectacle vivant résistera toujours à la numérisation.
Le public apprécie également davantage la qualité de la performance de l’artiste, reçoit toute son énergie, et la lui renvoie. Avec la crise du Covid, qui nous prive de ces moments, nous prenons davantage conscience de leur importance et de leur essence. Le spectacle vivant n’est peut-être pas « essentiel », mais il est précieux.
Suivre Waly Dia…
…sur ses réseaux sociaux :
Tags: Humour Médias Numérique