Ancien rugbyman victime de viols à l’adolescence, Sébastien Boueilh a fondé une association de prévention des violences sexuelles dans le milieu sportif, Colosse aux pieds d’argile. ©Association Colosse aux pieds d’argile.
Partenaire de la CCAS depuis 2022, l’association Colosse aux pieds d’argile est intervenue dans 24 colos cet été pour sensibiliser les jeunes aux risques de violences sexuelles. Son fondateur, Sébastien Boueilh, un ancien joueur de rugby lui-même victime, explique sa démarche.
Cet été, votre équipe est intervenue auprès de jeunes de 9 à 17 ans accueillis par la CCAS. Comment a-t-elle abordé le sujet des violences sexuelles ?
Sébastien Boueilh – De façon ludique, avec un vocabulaire adapté à la tranche d’âge du public et des supports validés par des experts. Pour commencer, nos intervenants nomment les parties intimes du corps, et les personnes qui ont le droit de les toucher dans un cadre précis. Avec les plus grands, on parle de consentement.
Il est important de dire à un enfant que, dans toute situation qui le met mal à l’aise, il a le droit de dire non à un adulte. Il doit savoir que, si quelque chose arrive, il lui faut parler à un adulte de confiance. L’important est aussi de libérer la parole pour que le traumatisme ne s’installe pas et que la victime ne reproduise pas ce qu’elle a subi, car les violences sexuelles de mineurs sur d’autres mineurs existent aussi.
Dans la méthode de sensibilisation de Colosse aux pieds d’argile, votre histoire personnelle est mise en avant. Pourquoi ?
Un homme avec une carrure de rugbyman n’a pas le physique d’une victime telle qu’on l’imagine. Du coup, lorsque je prends la parole pour raconter que j’ai subi des viols à répétition de 12 à 16 ans, commis par un ami de la famille, c’est percutant. Je suis aussi une victime résiliente : après ce traumatisme, j’ai retrouvé une forme d’équilibre de vie.
Par ailleurs, avoir eu la chance d’être reconnu comme victime par la justice m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je suis capable d’intervenir face à des magistrats en formation, ou devant des pédocriminels incarcérés.
Dans nos actions de sensibilisation, le récit de mon parcours suscite souvent la parole de victimes qui n’avaient jamais témoigné. Voilà pourquoi je suis visible. Mon message est le suivant : pour que la honte change de camp, il faut parler. Je suis la preuve que l’on peut s’en sortir malgré quatre années de viols subis et dix-huit années de silence.
« La place centrale accordée à la performance sportive peut aussi faire croire que tout est permis au nom du résultat. »
L’association est spécialisée dans les risques de violences sexuelles, de bizutage et de harcèlement dans le sport. Ce milieu est-il propice à ces agressions ?
Dans certaines disciplines, on est dénudé, ce qui peut favoriser les violences sexuelles. La place centrale accordée à la performance sportive peut aussi faire croire que tout est permis au nom du résultat. Ensuite, l’enfant peut être fasciné par son entraîneur, surtout si c’est un ancien athlète. C’est un facteur de risque de relation d’emprise – relation qui peut s’étendre aux parents.
Colosse aux pieds d’argile accompagne aussi les victimes. Comment ?
S’il ne peut y avoir de procès, nous encourageons la personne à faire un signalement au procureur. Cela peut rester sans effet mais parfois cela relance une enquête. Dans tous les cas, cela peut aider la victime à se reconstruire. Nous proposons également un accompagnement thérapeutique professionnel au travers d’un programme de résilience par le sport, avec le karaté, l’escalade, l’équithérapie ou la psychoboxe [dispositif thérapeutique qui vise à explorer sa violence, avec un partenaire en face de soi et un observateur extérieur, ndlr]. Cette approche aide les victimes à retrouver une confiance en elles et une confiance en l’adulte. C’est aussi un cadre où elles peuvent s’entraider.
« Pendant longtemps, une fois adultes, les hommes se sont tus en raison d’un modèle patriarcal qui impose d’être fort et viril. »
Que sait-on aujourd’hui de l’étendue des violences sexuelles sur mineurs ?
Une enquête de l’association Mémoire traumatique et victimologie montre que 80 % des violences sexuelles ont lieu avant que la victime ait atteint l’âge de 18 ans. Pour 50 % d’entre elles, l’agression survient avant l’âge de 11 ans. Dans 94 % des cas, les jeunes victimes connaissent leur agresseur. Si les filles sont davantage concernées, les garçons le sont aussi. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église l’a montré.
Pendant longtemps, une fois adultes, les hommes se sont tus en raison d’un modèle patriarcal qui impose d’être fort et viril. Aujourd’hui, ils sortent du silence – nous recevons de plus en plus de témoignages. L’enjeu est énorme car on sait qu’un enfant victime de violence risque, une fois adulte, d’exercer cette violence sur d’autres.
L’association Colosse aux pieds d’argile
Reconnue d’utilité publique, l’association Colosse aux pieds d’argile a pour missions la sensibilisation et la formation aux risques de violences sexuelles, de bizutage et de harcèlement en milieu sportif ainsi que l’accompagnement des victimes. Le site internet de l’association permet de signaler en ligne des faits de violences sexuelles, qu’on soit témoin ou victime. Il comporte des témoignages, et des outils d’aide à la prise de conscience des faits de violences sexuelles, harcèlement et bizutage, notamment dans le milieu sportif.
L’association mène également une enquête sur les hommes victimes de violences sexuelles. L’enquête est destinée à recenser les hommes adultes victimes de violences sexuelles dans l’enfance ou en tant qu’adulte, quel que soit le milieu (scolaire, religieux, familial, sportif, animation, culture). ► Répondre à l’enquête.
Site internet de l’association : colosse.fr
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