La Haute école de formation en soudage (Hefaïs) forme les futurs soudeurs de l’industrie, notamment nucléaire. ©Charles Crié/CCAS
Pour faire face à la pénurie de soudeurs, notamment dans le nucléaire, EDF et trois autres entreprises ont créé, à La Hague (Manche), une école d’excellence qui forme ses stagiaires sur des maquettes industrielles à taille réelle. Objectif : les rendre opérationnels dès la certification acquise. Un enjeu de taille face aux défis de recrutement dans la filière. Reportage.
« C’est nickel, impeccable. » Dans le box de soudage isolé du reste de l’atelier par un rideau de plastique rouge, l’œil expert de Benjamin Holley, formateur venu d’Orano, valide l’exercice réalisé par Guillaume Galvez, originaire de Dieppe et stagiaire depuis trois semaines à la Haute école de formation en soudage (Hefaïs).
Le jeune homme de 32 ans enchaîne les formations dans le soudage. En avril dernier, il obtenait une première certification « sur tube horizontal » via l’Agence nationale pour la formation des adultes (Afpa). Désormais, il s’attaque aux « tubes à 45 degrés » et aux positions plus délicates. « Hefaïs, c’est un autre niveau », atteste-t-il, à la hauteur des exigences de la filière qu’il souhaite intégrer : « le nucléaire, c’est vraiment le nec plus ultra. C’est très réputé pour la sûreté et la conformité des structures. Les tubes doivent résister à des contraintes particulièrement exigeantes ».
Guillaume Galvez, en cours de formation au soudage à la Haute école de soudage Hefaïs. ©Charles Crié/CCAS
1 500 soudeurs à recruter en 10 ans
Fondée en 2021 par EDF, Naval group, Orano, et les Constructions mécaniques de Normandie, la Haute école de formation en soudage a posé ses machines, ses box et ses maquettes industrielles à La Hague, près de Cherbourg. Hefaïs est une référence au Dieu grec du feu, de la forge et de la métallurgie (Héphaïstos).
L’aide d’une divinité antique ne sera sans doute pas de trop pour relever les défis qui vont se présenter aux DRH de la filière nucléaire : trouver au moins 10 000 nouvelles recrues par an dans la prochaine décennie. Dont bon nombre de techniciens soudeurs, que les centrales peinent à recruter, en quantité comme en qualité.
L’école de soudage Hefaïs permet aux stagiaires de travailler au sein d’environnements reproduisant leur futur travail dans les centrales nucléaires. ©Charles Crié/CCAS
« Selon le rapport Match, il y a environ 1 500 soudeurs à recruter [dans le nucléaire] d’ici à 2033. C’est colossal », reconnaît Corentin Lelièvre. Le directeur de l’école sait de quoi il parle, lui qui est ingénieur-soudeur de formation et qui a quinze ans d’expérience dans le domaine. Dans l’atelier, il nous montre l’une des particularités du dispositif proposé à ses stagiaires : des maquettes à taille réelle qui reconstituent fidèlement l’environnement professionnel des entreprises, notamment celui des centrales nucléaires.
« Les maquettes industrielles, c’est le cœur de l’école, détaille le directeur. Ce sont des cellules avec quatre murs, équipés de rails Halfen qui permettent de venir fixer des éléments de tuyauterie. On vient y mettre tout un tas d’éléments de décor pour renforcer la complexité et la gêne opératoire. » Car dans une centrale, il faut savoir souder dans les positions les plus inconfortables : en utilisant à la fois la main droite et la main gauche, en faisant passer la torche entre deux tuyaux espacés de quelques centimètres, ou même en ayant la tête à l’envers.
« Dans le nucléaire, on n’a pas le droit à l’erreur »
Les six stagiaires présents dans l’atelier en cette deuxième semaine de novembre n’en sont pas encore là. Caché derrière le rideau rouge de son box, Julien Motte, masque baissé, se concentre sur des gestes techniques plus simples, à l’établi. Après 20 ans dans l’automobile, il effectue un virage professionnel à 90 degrés pour entamer sa deuxième partie de carrière. Entrer dans le nucléaire, c’est presque un rêve pour celui qui a grandi tout près de la centrale de Penly (Seine-Maritime).
Hefaïs accueille des actifs de tous âges, demandeurs d’emplois ou déjà salariés. Quasiment sans prérequis. Et quasiment sans limite d’expérience, comme le prouve la présence de Thierry Eusèbe, qui a réalisé ses premières soudures en 1983. Que peut-il bien avoir à apprendre encore ? De nouvelles contraintes techniques et de nouvelles exigences, explique-t-il. Bref, un nouveau défi : « Dans le nucléaire, on n’a pas le droit à l’erreur. »
« Hefaïs, c’est aussi un savoir-être »
Corentin Lelièvre, directeur d’Hefaïs, dans l’environnement reconstitué d’Orano (retraitement des déchets nucléaires). ©Charles Crié/CCAS
Thierry, Julien et Guillaume termineront leur apprentissage en avril prochain. Ils devraient ensuite travailler dans les centrales de Penly, Paluel et Flamanville pour Monteiro, une entreprise prestataire spécialisée dans la tuyauterie et la chaudronnerie. Ils vont quitter le Cotentin avec un solide bagage technique entre les mains. Mais pas seulement, insiste Corentin Lelièvre. « Hefaïs, c’est aussi un savoir-être : entrer dans une centrale nucléaire, ça nécessite des comportements exemplaires, de la ponctualité, de l’assiduité, de la traçabilité, pour répondre aux enjeux de la sûreté et de la qualité de demain. »
L’esprit d’Hefaïs rappelle un peu, toutes proportions gardées, celui des anciennes écoles de métiers d’EDF qui ont été fermées dans les années 1980 et 1990. Mais nous sommes bien loin de l’époque où EDF enseignait à des milliers de jeunes les métiers de la production et de la maintenance électrique. La Haute école de formation en soudage, qui a formé à ce jour 150 personnes, ne pourra pas les remplacer. Même si dans quelques mois, elle déménagera à Cherbourg pour investir un bâtiment trois fois plus grand, avec pour objectif de rendre opérationnels 200 soudeurs par an.
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