À Savines-le-Lac, on interroge les migrations avec art

À Savines-le-Lac, on interroge les migrations avec art | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 114941 Residence dartiste

Hura Mirshekari (à g.), artiste en exil, et Sandrine Pareilleux, responsable principale de Savines-le-Lac, le jour du vernissage de la fresque collective réalisée durant la résidence artistique au centre de vacances du 13 au 19 février 2022. ©Stéphanie Boillon/CCAS

Mi-février, les familles en vacances à Savines-le-Lac ont pu donner chair et couleurs au thème des migrations. Que ce soit au travers de la réalisation d’une fresque collective avec l’artiste iranienne Hura Mirshekari, de leur rencontre avec les associations SOS Méditerranée et Tous migrants, ou de la projection d’un film sur les parcours de migration :  les liens entre art, migration et sens du collectif étaient au premier plan.

Un partage. Une connexion. Un « nous » sur toile. C’est par ces mots que l’artiste Hura Mirshekari évoque la fresque qu’elle a créée avec les agents et leur famille en vacances à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), à la mi-février. Cette plasticienne iranienne réfugiée en France depuis 2016 travaille avec la CCAS dans le cadre d’un partenariat avec l’Atelier des artistes en exil, association qui permet aux réfugiés de continuer à exercer leur discipline. Bien plus que la création d’une œuvre d’art, la réalisation de cette fresque fut une expérience humaine collective. Un acte qui fait chaud au cœur par ces temps de repli sur soi, de discours identitaires, où le bruit des bottes a tendance à couvrir les appels à la solidarité envers tous les réfugiés.



En cette fin de semaine hivernale, un soleil éclatant verse ses rayons dans les eaux turquoise du lac de Serre-Ponçon. On imagine aisément le plaisir des vacanciers à sillonner la montagne dans ces conditions. D’autres « promeneurs » arpentent eux aussi ces chemins escarpés, par des températures moins clémentes, et de nuit de préférence : les migrants qui traversent la frontière franco-italienne à proximité, souvent au péril de leur vie, dans l’espoir d’un avenir meilleur.

La migration est un thème cher à Sandrine Pareilleux, directrice du village vacances de Savines, aussi a-t-elle accueilli avec enthousiasme la résidence artistique de Hura Mirshekari, qui s’est clôturée par la projection du film « Cartas mojadas » de Paula Palacios (« Lettres à la mer », primé lors de l’édition 2021 du Festival international du grand reportage d’actualité), dans le cadre des rencontres culturelles d’hiver. « Le projet est né à la fin de l’été 2021, explique-t-elle. Dans la région, nous sommes très engagés dans les actions de sensibilisation à l’accueil des migrants, notamment en relation avec l’association locale Tous migrants, que nous avons déjà fait intervenir dans les centres du Monêtier-les-Bains et de Menton. Sachant cela, Juliette Amariat, médiatrice culturelle de la CCAS, m’a proposé d’accueillir Hura Mirshekari en résidence. »

Sensibiliser les jeunes aux enjeux de l’époque

Une grande toile de 10 mètres de long occupe toute la largeur d’un couloir. La moitié de la fresque est recouverte d’un drap blanc, dissimulant aux regards les premières créations des vacanciers. « J’ai conçu cette œuvre sur le principe du cadavre exquis, de sorte que les personnes qui viennent peindre ne puissent voir les motifs choisis par leurs prédécesseurs, explique Hura Mirshekari. L’intégralité de la fresque sera dévoilée au public en fin de semaine lors d’un vernissage. »

Les familles en vacances à Savines, rejointes par les enfants et ados de la colo voisine, travaillent dans la bonne humeur à la création de la fresque collective proposée par Hura Mirshekari. ©Stéphanie Boillon/CCAS

Des rires d’enfants et des cavalcades se font entendre. Deux petites bouilles réjouies font leur apparition. Le regard doux de l’artiste s’éclaire lorsqu’elle accueille Éleanor et Élias, 6 ans, en les serrant dans ses bras. « Nous étions déjà là en début de semaine, et les enfants ont insisté pour que l’on revienne poursuivre la fresque ! raconte leur mère, Anaëlle Montel, en souriant. C’est vraiment formidable que l’Atelier des artistes en exil puisse aider des personnes telles que Hura, elle en vaut vraiment la peine ! »

La jeune femme, par sa gentillesse et sa sincérité, émeut en effet tous les vacanciers qu’elle croise dans le centre. Y compris les enfants et les ados des colos installées de l’autre côté du lac, venus eux aussi participer à la fresque. Dans un joyeux brouhaha, tout ce petit monde travaille côte à côte. « Au début, les 15-17 ans n’étaient pas très motivés, mais Hura a si bien su s’y prendre avec eux qu’ils se sont éclatés », raconte la directrice du centre de vacances. « Hé, on va pouvoir poster ça sur Instagram ! », s’exclament les ados, les réflexes n’étant jamais loin.

De l’environnement aux migrations, les enjeux contemporaines sont abordés de manière ludique à Savines avec l’équipe du centre et l’artiste en résidence. ©Stéphanie Boillon/CCAS

De fait, les jeunes générations se révèlent particulièrement sensibles aux thèmes de la protection de la nature ou de l’accueil des étrangers. Pour Alice Nicolas, jeune animatrice de la colo des 6-11 ans, ce type d’activité est une occasion rêvée pour échanger avec eux sur le sujet. « Nous les avons fait travailler cette semaine sur le personnage de Totoro [personnage d’animation, protecteur de la nature, créé par le réalisateur japonais Hayao Miyazaki, ndlr]. Et cette fresque collective est aussi l’occasion d’expérimenter ce que nous essayons de leur apprendre en colo : le vivre-ensemble. »

Vivre ensemble, y compris avec des personnes que l’on ne connaît pas, qui sont différentes de soi ou encore dont le parcours peut inquiéter de prime abord. C’est d’ailleurs un thème que les jeunes ont déjà travaillé dans le cadre de leur colo : « Les enfants ont également réalisé un petit film sur le thème du monstre, c’est-à-dire celui que l’on rejette d’abord, parce qu’il vient d’ailleurs et ne nous ressemble pas, puis que l’on apprend à connaître… », poursuit l’animatrice. La petite vidéo se conclut d’ailleurs en voix off par cette phrase : « Rencontrer l’inconnu et s’en faire un ami. »

De l’art à l’action

Le jour tant attendu du vernissage de la fresque est enfin arrivé. Les plus jeunes ont confectionné des amuse-bouche et, dans le bar qui accueille l’événement, c’est l’effervescence. Les intervenantes des associations SOS Méditerranée et Tous Migrants, invitées pour l’occasion, soutiennent des échanges nourris avec les visiteurs. « Notre association aide les migrants qui passent la frontière à travers les montagnes », explique Monique Bonnafous-Lefèvre, trésorière de Tous migrants. « Nous les hébergeons car c’est la loi. L’État y contrevient, en pourchassant ces personnes pour les refouler. Le dispositif policier déployé dans la région est hallucinant ! »

Francine et Martine, bénévoles de l’antenne marseillaise de SOS Méditerranée, ne disent pas autre chose lorsqu’elles évoquent avec les ados en colo les déboires de l’Ocean Viking, le bateau de l’association qui sillonne la Grande Bleue pour porter secours aux réfugiés : « Ces jeunes sont incroyables, ils nous ont posé beaucoup de questions. « Les raisons des départs, la notion d’appel d’air que constituerait, selon certains, la décision gouvernementale d’accueillir les migrants, la notion de « port sûr », c’est-à-dire un endroit où la vie des migrants ne serait plus menacée… : ce sont autant de sujets complexes qui sont souvent abordés de façon caricaturale par les médias et peuvent ainsi être déminés. « [Les ados] comprennent qu’il n’existe pas de solution simple, mais cette situation les révolte. »

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Martine et Francine, bénévoles de l’antenne marseillaise de SOS Méditerranée, ont apporté un éclairage précieux au débat qui a suivi la projection du film « Cartas Mojadas »

La projection du documentaire « Cartas mojadas » de Paula Palacios, qui raconte le périple des réfugiés venus d’Afrique, pris en tenaille entre les garde-côtes libyens et les dangers mortels de la mer, et qui s’échouent ensuite sur les trottoirs de Paris, suscite un vif et passionnant débat. Charlotte Duquet, bénéficiaire de la CMCAS de La Rochelle, témoigne, admirative : « J’ignorais que la CCAS était partenaire de SOS Méditerranée et avait accueilli des réfugiés dans ses centres en 2015. » Elle ajoute : « Ces personnes, ce pourrait être nous. Comment peut-on les traiter ainsi ? » Citant l’auteur italien Erri De Luca, Francine conclut : « ‘Le mal du siècle, c’est l’indifférence’ : c’est donc bien d’être ému par le sort des exilés. Mais l’émotion doit mener à l’action. »


L’Atelier des artistes en exil (AA-E)

L’Atelier des artistes en exil se propose d’identifier des artistes en exil de toutes origines, toutes disciplines confondues, de les accompagner en fonction de leur situation et de leurs besoins, de leur offrir des espaces de travail et de les mettre en relation avec des professionnels (réseaux français et européen), afin de leur donner les moyens d’éprouver leur pratique et de se restructurer.

Site internet : aa-e.org

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