Le metteur en scène et marionnettiste Simon Delattre présente le 13 juillet au festival de la CCAS Contre courant « la Vie devant soi », en langue des signes française. Un spectacle plein d’humour et de tendresse, adapté du roman éponyme de Romain Gary, prix Goncourt 1975.
Que raconte le roman de Romain Gary, « la Vie devant soi » ?
C’est l’histoire de Momo, un jeune Arabe qui vit avec madame Rosa, une vieille femme juive qui l’a recueilli. Cette femme obèse, ancienne déportée et ancienne prostituée, est en train de mourir. Le livre raconte comment Momo va l’accompagner, avec toute la tendresse qu’il a pour elle, dans ce dernier grand voyage. Il raconte aussi comment une famille se construit en se choisissant et pose cette question centrale qui traverse également la pièce adaptée du roman : « Est-ce qu’on peut vivre sans amour ? »
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans ce récit ?
C’est un roman que j’ai lu à 15 ans. Aujourd’hui, j’en ai 33. C’est un roman refuge, un livre ami, un livre de chevet, que j’ai lu et relu. Et à chaque fois, il m’a touché. Il brasse plein de thématiques qui me sont chères : le multiculturalisme, le vivre ensemble, la prostitution, la Shoah, l’euthanasie…
L’histoire de Momo et de madame Rosa est une histoire universelle qui peut toucher tout le monde et qui défend cette valeur qu’on appelle la fraternité. C’est aussi une histoire de violence sociale racontée à travers la voix d’un enfant, poète malgré lui : Momo réinvente les mots des adultes à partir de son propre filtre. Par exemple, au lieu de parler des personnes âgées, il parle des personnes « usagées »…
Dans le spectacle, un médecin dit à Momo : « Tu es un garçon trop sensible. » L’art est-il un refuge pour les gens « pas comme les autres » ?
Votre question pose la question de la norme. Pour moi, le théâtre est le lieu où se rejoignent des singularités. C’est l’endroit et le moment où l’on se met au diapason, où un silence se remplit d’une émotion. Une émotion à la fois collective et vécue différemment par chaque spectateur. C’est ce qui fait que le théâtre survit au cinéma et à d’autres arts : c’est l’art du présent. Aucune représentation ne ressemble à une autre.
Momo est-il la preuve qu’on peut s’émanciper de sa condition sociale à travers l’art ?
Je m’identifie forcément à Momo. J’estime très intimement que le théâtre a changé ma vie. J’ai commencé à y aller dès l’âge de 13 ou 14 ans, à Auray [Morbihan, ndlr], avec mon argent de poche. Ça m’a donné de l’autonomie, et une pensée. Ça m’a aidé à trouver mon ancrage, ma place. Et quand on trouve sa place, celle des autres est plus claire aussi.
Quand avez-vous pris goût à la marionnette ?
J’ai découvert cet art à l’adolescence, toujours à Auray, où il y a un festival de marionnettes, Méliscènes. J’ai trouvé ça génial parce que ça mélangeait un peu tout : il faut construire, écrire, manipuler, mettre en scène, jouer… À l’époque, je pensais pouvoir devenir un artiste capable de tout faire. Ensuite, j’ai suivi une formation d’acteur à l’École des arts de la marionnette, à Charleville, et j’ai pris conscience que le théâtre, c’est avant tout l’art du collectif.
Qu’est-ce que la marionnette apporte au théâtre ?
Elle permet de mettre l’accent sur la fantaisie, le fantasme. Elle porte aussi des choses qui lui sont intrinsèques. Par exemple, raconter la mort d’un personnage avec une marionnette est beaucoup plus efficace qu’avec un acteur, selon moi. La marionnette permet aussi de varier les échelles : un médecin peut mesurer 2,50 m parce que du point de vue d’un enfant, c’est une grande personne.
« La Vie devant soi » sera présenté au festival Contre courant de la CCAS avec une traduction simultanée en langue des signes. Pourquoi ce choix ?
Quand l’association Accès culture m’a proposé d’adapter ce spectacle en LSF [langue des signes française, ndlr], j’ai dit oui immédiatement. D’abord parce que j’adore cette langue : je la trouve belle, poétique et puissante. Elle répond à une logique visuelle : au lieu de faire une phrase, on va parfois utiliser un seul signe avec une certaine vitesse, un certain déplacement dans l’espace.
À Contre courant, c’est un acteur qui va jouer tous les rôles du spectacle en LSF. On a pris le parti de le faire entrer dans l’image afin qu’il puisse interagir avec les autres acteurs. Ça donne un spectacle vraiment différent. Personnellement, j’adore cette version en LSF : même pour le public qui n’est pas sourd, cela apporte une plus-value poétique.
Vos questions
« Comment amener les jeunes vers le théâtre ? »
Jean-Pierre Pique, 71 ans, agent EDF-GDF en inactivité, Eslettes (Seine-Maritime)
Simon Delattre – Avec « la Vie devant soi », j’ai eu des retours bouleversants de la part de certains spectateurs. Je me souviens en particulier de ce jeune de 15 ans qui regardait sans arrêt son portable au début du spectacle. Alors, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Tente le coup ! Mets ton portable dans ta poche pendant une heure et demie, et tu verras ce qui se passe. »
Après la pièce, il est venu vers moi avec des litres de larmes sur les joues et il m’a dit : « C’est le plus beau spectacle que j’ai vu de ma vie. » Pour moi, c’est la plus belle des récompenses ! Je fais du théâtre parce que j’ai quelque chose à transmettre. Le théâtre ne va pas sauver le monde, mais il sauvera peut-être une personne.
Infos pratiques
« La Vie devant soi », de Romain Gary
Mise en scène Simon Delattre
Durée : 1 h 35 – Tout public à partir de 14 ans.
Spectacle adapté en LSF (langue des signes française).
À voir le samedi 13 juillet au festival Contre courant, sur l’île de la Barthelasse à Avignon (Vaucluse).
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