Alain Caro est breton pur beurre. Pourtant né à Neuilly-sur-Seine et expatrié à Rio de Janeiro depuis plus de vingt ans. Ancien agent commercial pour EDF-GDF, il a pris sa retraite au Brésil où il a ouvert un restaurant et s’est marié avec l’homme de sa vie. Au Blé noir, les Cariocas et quelques touristes français viennent manger galettes et crêpes, forcément. Rencontre très décontractée au pied du Pain de Sucre.
Itinéraires d’expatriés
Brésil, Portugal, Australie : la rédaction part à la rencontre d’agents expatriés aux quatre coins du monde. Des Industries électriques et gazières à leur vie quotidienne à l’étranger, ils reviennent sur leur choix de quitter la France, sans taire les doutes ni les galères, et tracent des itinéraires singuliers qui méritent chaque fois le détour.
Alain Caro vit la nuit. À Copacabana, son restaurant ne désemplit pas. Pourtant, chez lui, dans son appartement du 4e étage, la lumière est partout. Et le Pain de Sucre « encombre » toute la superbe vue sur la baie de Flamengo. Claquettes, bermuda, tee-shirt, lunettes et cigarette, il nous entraîne dans le fil de sa vie qui l’a mené jusqu’à Rio.
« Je suis né à Neuilly-sur-Seine d’une famille originaire de Bretagne. Mes parents étaient partis après-guerre habiter en région parisienne, pour trouver du boulot. » Enfant unique, Alain suit sa scolarité jusqu’à l’obtention d’un bac G3, en techniques commerciales. Il part à l’armée, puis entre en 1977 à GDF à Sèvres (Hauts-de-Seine), « dans la Distribution du gaz dans la proche banlieue parisienne (DGPBP), qui ne doit plus exister aujourd’hui, sourit-il. J’étais employé qualifié dans une agence clientèle, je faisais de la transcription. Tout ce qui se passait sur le terrain, on l’écrivait sur le papier pour ensuite établir des contrats. J’y suis resté trois ans ».
Un départ imprévu
Il demande une formation continue au sein de l’entreprise, est détaché pour passer un DUT de technique commerciale, puis une seconde formation lui permet de passer d’employé qualifié à cadre en l’espace de 36 mois. Il quitte Sèvres pour Albi, dans le Tarn, où il travaillera pendant dix ans dans une agence EDF-GDF.
En 1995, il est envoyé par la direction d’EDF à Rio de Janeiro pour installer un logiciel de gestion dans la société Light, une société d’utilité publique privée, et pour y former le personnel à son utilisation. « Ce n’est pas moi qui devais aller au Brésil, mais la personne recrutée s’est désistée au dernier moment, et on m’a proposé d’y aller pour deux ans, explique-t-il en riant. J’étais le véritable expatrié : travaillant au Brésil mais employé par EDF, qui s’étendait alors un peu partout dans le monde. »
« J’ai cru que je ne tiendrais pas plus de quelques jours »
Les premiers mois sont très durs. D’autant qu’il débarque en plein été. « Je dégoulinais dans mon costume. J’ai cru que je ne tiendrais pas plus de quelques jours, » se souvient-il. Alain ne parle pas un mot de portugais. « Je participais à des réunions où je ne pipais rien ! Il n’y avait pas de traducteur et très peu de Brésiliens parlaient anglais. Mais je ne l’ai pas regretté. »
Peu à peu, il se fait des amis. Apprend, comprend et maîtrise la langue. Les deux années de formation chez Light passent finalement trop vite. Il décide de rester au Brésil. « Je me mets en congé sans solde d’EDF durant près d’un an puis je décide de créer ma propre entreprise, raconte-t-il. Je n’ai pas pris trop de risques, sachant que j’avais cinq ans pour réussir, avec la garantie de revenir en France et d’y récupérer mon poste. »
Il quitte EDF pour ouvrir son restaurant
Il quitte Rio pour Bahia, au nord du pays, ouvre le Blé noir, une… crêperie bretonne. « Bahia n’était pas encore la station touristique qu’elle est aujourd’hui. L’affaire vivotait. J’ai préféré arrêter et aller ailleurs. » Il revient sur Rio, (re)monte la même affaire sur la célèbre plage de Copacabana. « Ça n’a pas été évident au début, les Brésiliens rejetaient d’emblée la couleur de la farine de sarrasin. Et puis, peu à peu, sans trop savoir pourquoi, ça a accroché. » Les touristes mais surtout les locaux affluent. La petite salle de 50 couverts est bondée.
Alain travaille seul, passe ses soirées derrière les fourneaux. Sans formation hôtelière aucune, ni lien avec la cuisine, « si ce n’est le goût des bonnes choses », le commercial a trouvé la clé de la réussite entrepreneuriale. Le concept marche mais il doit aussi « verser des pots-de-vin pour que la paperasserie ne soit pas un frein. C’est comme ça au Brésil, il faut donner de l’argent avant d’en gagner ».
Pauvreté et insécurité en hausse
Il faut aussi avoir le cœur bien accroché. Comme la samba, les plages, le carnaval et le football, la pauvreté et l’insécurité font partie des clichés sur le Brésil. À ceci près qu’Alain les juge en nette hausse depuis quelques années : « Le climat social a changé. Les gens sont toujours accueillants, aimables, attentionnés. Mais ils sont moins joyeux. » L’ambiance de fête permanente s’estompe avec la crise que connaît le pays auriverde.
« Ils ont séquestré les clients, dérobé tout, jusqu’aux clés de voitures et de maisons, vidé tous les portefeuilles. »
Son restaurant se fait braquer deux fois en quelques mois. « Ce n’était pas le petit loubard qui vient en fin de service pour te piquer la caisse mais à chaque fois un vrai commando avec mitraillettes et grenades. Ils ont séquestré les clients, dérobé tout, jusqu’aux clés de voitures et de maisons, vidé tous les portefeuilles. »
Depuis, Alain a posté un vigile armé pour se protéger. « C’est ça le Brésil d’aujourd’hui… » souffle-t-il, amer.
Un mariage blanc pour un passeport
Un Brésil dont il est ressortissant depuis 2001. Deux ans après son arrivée, il s’est marié à une Brésilienne, puis deux ans plus tard a obtenu la nationalité. « Je peux le dire aujourd’hui, c’était un mariage blanc, avoue-t-il. Nous l’avons fait pour que j’obtienne un passeport. J’ai payé mon ex-femme pour qu’elle se marie avec moi. On a eu des contrôles mais on était bien préparés aux questions habituelles sur l’un et l’autre. »
« À l’époque, ce n’était pas évident de vivre avec un homme. »
Nationalité officielle en poche, Alain attend deux autres années avant de divorcer. Pour se remarier en 2014, avec celui qui était depuis longtemps dans son cœur. « J’avais une relation homo affective qui s’est renforcée. À l’époque, ce n’était pas évident de vivre avec un homme. Mon premier mariage aura été pour avoir la nationalité brésilienne, le second pour l’homme que j’aime. »
45 degrés en été
Alain est officiellement à la retraite d’EDF depuis trois ans. Il vit convenablement. Habite dans un bel appartement à Flamengo, « un coin bien plus calme que Leblon, le quartier chic de Rio où j’ai longtemps résidé, mais qui ne me plaisait pas ». Trop bling-bling pour le Breton. Son immeuble résidentiel est accolé à un énorme rocher surmonté d’une végétation luxuriante. On y accède depuis le toit, par une passerelle. Vue sur la baie imprenable, piscine, jardin, cris des singes en fond sonore.
Le matin, après son café-clope, il va marcher avec ses trois chiens sur la promenade où les joggeurs vont et viennent en continu. Le week-end, c’est campagne, « à Teresopolis, à 80 km d’ici, dans la montagne. C’est agréable, surtout en été quand il fait trop chaud. En décembre-janvier, on suffoque à Rio, il fait jusqu’à 45 degrés, sans un souffle d’air ! »
Bientôt un nouveau départ
Ravi de vivre à Rio de Janeiro, il confie n’avoir « jamais eu le mal du pays », tout juste regrette-t-il « le bon vin et les fruits de mer ». « Quand ils étaient encore en vie, mes parents sont venus me voir, tout comme ma filleule et quelques amis. Et puis, on ne peut pas se plaindre quand on a tout ça ! » lance-t-il en écartant les bras face à la carte postale qui éclate derrière les baies vitrées.
Alain vient de fêter ses 62 ans. Il se dit heureux, rit souvent en parlant de sa vie. Il n’en demeure pas moins incertain quant à son avenir. « Je ne sais pas où je serai dans un an. Au Brésil, en France, ailleurs ? Je n’ai pas spécialement le mal du pays, ni l’amour du Brésil. » En bon Breton, il sait où sont ses racines et veut encore découvrir le monde. Le Portugal le tente. « Beaucoup de Brésiliens s’en vont là-bas. Je parle la langue, je m’y verrais bien. » On sent l’inéluctable vent d’un nouveau départ se lever.
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