Être une mère libérée, pas si facile ? Dans un texte incisif et plein d’humour, Amandine Dhée déconstruit une certaine idée de la maternité et déjoue les pièges de la mère parfaite, saturée de normes sociales et d’injonctions. Déculpabilisant, « la Femme brouillon » donne quelques clés pour renaître à soi-même. Un essai à retrouver en musique cet été dans vos centres de vacances.
Le livre. Les femmes ont-elles le droit d’être ravies d’enfanter et en même temps de le vivre difficilement ? Comment se dépatouiller de cette pseudo-contradiction ? Depuis quand le statut de femme enceinte leur confère-t-il automatiquement béatitude et perfection ? Avec « la Femme brouillon », Amandine Dhée dresse un réquisitoire contre le discours dominant et ses postulats sur la maternité. Elle donne à voir une future mère, percluse de doutes et d’interrogations, qui tente de s’affranchir des pressions sociétales pour apprécier au mieux cette période intime troublante.
Bio express. Jeune auteure féministe, Amandine Dhée a commencé par le slam. Elle publie son premier roman, « Du bulgom et des hommes », en 2010. Elle propose des lectures musicales, notamment avec son roman « la Femme brouillon ».
À qui s’adresse votre livre ?
À tout le monde. Aux mères, aux pères, à ceux qui ne sont pas parents. À toutes les personnes qui s’intéressent au féminisme. Certes, il y a forcément un effet miroir avec les femmes. Car avoir un enfant aujourd’hui, c’est se retrouver très vite dans des contradictions et des injonctions sociales que l’on subit, qui que l’on soit, parent ou pas, homme ou femme.
De quelles injonctions parlez-vous ?
Une pression morale forte s’exerce sur les femmes dès qu’elles sont enceintes. On présume ce qu’elles sont censées être, ce qu’elles sont censées désirer, ce qu’elles devraient être. Elles ont forcément des envies, des attitudes propres à leur état : faire ceci et pas cela, manger tel aliment ou pas… Elles doivent se comporter d’une certaine façon et notamment dans l’espace public. Et gare à celles qui y dérogent !
Les femmes sont enfermées dans des représentations normatives.
En plus, s’ajoutent les mythes qui pèsent sur elles : le fameux mythe de l’instinct maternel, celui de la fusion avec son enfant, etc. Une femme doit forcément savoir comment se comporter avec son nourrisson. Ces exigences ont des répercussions négatives sur elles. Les femmes sont enfermées dans des représentations normatives, des stéréotypes dont elles ont du mal à s’échapper. Mon texte ne dénonce pas mais il donne à voir ce qui peut se passer dans la tête d’une femme pendant sa maternité puis à la naissance de l’enfant.
La femme se définit-elle essentiellement par sa fonction de génitrice ? N’atteint-elle sa complétude qu’à partir du moment où elle devient mère ?
Oui, bien sûr… (rire). Non, évidemment que non ! Le non-désir de maternité est encore un sujet tabou. Une femme qui n’a pas d’enfant ou qui n’en veut pas est, aujourd’hui encore, suspecte. Elle est forcément envisagée comme inaccomplie ; elle souffre forcément d’un manque… Car la maternité est érigée comme l’accomplissement ultime pour une femme. C’est une expérience bien plus belle et complexe qu’on ne veut le dire. Ce n’est ni tout blanc ni tout noir, ni merveilleux ni nul. Mais la pression sociétale ne laisse pas de place à l’ambivalence.
C’est trop violent d’entendre et d’admettre que la maternité n’est pas forcément une source de bonheur.
Pourquoi la société refuse-t-elle d’entendre que maternité ne rime pas forcément avec félicité ?
C’est trop violent d’entendre et d’admettre que la maternité n’est pas forcément une source de bonheur. En période de crise, la société a besoin de s’agripper à une norme bien définie, à des rôles dévolus aux hommes et aux femmes. Ça sécurise tout le monde d’enfermer chacun dans des clichés. Les femmes n’ont pas le droit de s’exprimer sur la place publique. Ce sujet n’est pas légitime, ça reste un « truc de bonnes femmes ». C’est pourtant une expérience personnelle intense qui révèle beaucoup de notre intimité et bouscule des choses en vous. Cela ne se réduit pas seulement à être heureuse ou pas. C’est bien plus compliqué. C’est important de dépasser ce stade.
Qui génère l’injonction d’être une mère parfaite ? Les médias, la publicité, les stars et les politiques qui mettent en scène leur maternité ou les femmes elles-mêmes… ?
Encore faudrait-il définir ce qu’on entend par perfection. Qu’est-ce qu’une mère parfaite ? Une mère heureuse ? Le cliché a varié selon les époques. C’est une valeur refuge dans une période de crise. Je me réfugie dans ma progéniture ; je compense mes manques sur eux. Aujourd’hui, la mère dite parfaite allaite, mange bio, élève son enfant au bio. Elle est non-violente. Surtout, elle réussit à concilier vie sociale, professionnelle et affective. Elle est sexy, bien entendu. Etc.
Aujourd’hui, on parle de parentalité positive, une charge supplémentaire qui met les femmes – mais aussi les hommes – face à leur limite.
C’est une autre forme de morale que dans les années 1950 mais ces représentations sont tout aussi opprimantes. Car les femmes elles-mêmes intériorisent toutes ces obligations et ont envie d’y répondre. C’est normal, elles souhaitent bien faire, bien élever leur enfant, être une bonne mère. Aujourd’hui, on parle de parentalité positive, une charge supplémentaire qui met les femmes – mais aussi les hommes – face à leur limite. Cela crée plus de solitude, de mal-être que ça ne les aide à élever leurs enfants.
Comment combattre cela ?
Il faut décapiter la mère parfaite ! S’abstraire de ces lieux communs. C’est la bataille à mener. Se garder de faire de la mère une victime. C’est aussi un appel à la glandouille, à accepter toutes les identités, les personnalités. Simplement être soi, lâcher prise, pour soi-même mais aussi pour laisser tranquilles ses enfants. Car qui dit mère parfaite, dit enfants parfaits. La pression retombe du coup sur eux.
J’espère que cette expérience intime fera écho, qu’elle trouvera une résonance, y compris chez les hommes.
Dorénavant êtes-vous une « femme brouillon » épanouie ?
(Rires) Je suis une femme brouillon en mouvement, en devenir, comme tout le monde, parfois épanouie, parfois moins. Je suis contente d’avoir pu identifier et dénoncer ce qui m’enferme en tant que femme. Je n’ai pas tout réglé, mais mon livre m’a permis de libérer ma parole, de faire le point, d’avancer. J’espère que cette expérience intime fera écho, qu’elle trouvera une résonance, y compris chez les hommes.
Désobéir aux injonctions. Oser ne pas correspondre à ce qu’on attend de vous.
Quelle est votre recette ?
Désobéir aux injonctions. Oser ne pas correspondre à ce qu’on attend de vous. Et toujours avec humour. Savoir se moquer de soi-même. Lorsque l’on réussit à rire de soi, c’est déjà un premier pas. Ouvrir des portes, trouver des familles de substitution et créer des liens qui nous tiennent chaud, qui nous tiennent debout, parfois même au-delà des liens familiaux traditionnels.
A lire
« La Femme brouillon », d’Amandine Dhée
Ed. La Contre Allée, 2017, 96 p., 13 euros.
Cet été, retrouvez les lectures musicales d’Amandine Dhée, accompagnée du contrebassiste Timothée Couteaux : ils seront du 23 au 27 juillet aux Saisies, à Beaufort, à Val d’Isère, à Aussois et au Sauze, dans le cadre des rencontres culturelles de la CCAS.
Son livre également fait partie de la dotation lecture CCAS : retrouvez-le dans les bibliothèques de vos centres de vacances dès cet été.
Pendant vos vacances : cet été, 1200 rencontres culturelles vous attendent dans les centres de vacances et les colos de la CCAS
Programme complet à découvrir sur ccas.fr, rubrique Culture et Loisirs, et dans la brochure ci-dessous.
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