Elle a imaginé et érigé une œuvre monumentale en mémoire aux victimes de l’amiante sur l’ancien site minier EDF d’Arjuzanx, dans les Landes. L’artiste Valérie Rauchbach décrit la conception de ses Trois Flamboyantes et le sens qu’elle leur donne.
Lors de l’inauguration de votre œuvre Les Trois Flamboyantes, le 28 septembre dernier, à Arjuzanx, vous avez à plusieurs reprises utilisé dans votre discours de présentation les termes « fierté » et « travail collectif ».
Valérie Rauchbach – J’ai écrit mon discours d’un trait, en deux minutes, et le mot « fier » m’est immédiatement venu. Je suis avant tout fière des gens qui m’ont accompagnée. Je dis éprouver de la fierté parce que ç’a été tellement émouvant de travailler pour eux ! Je suis fière que l’on parle d’eux.
Je suis la conceptrice de l’œuvre mais je n’y serais pas arrivée si je n’avais pas été entourée de tous ces hommes, près d’une quinzaine, qui m’ont aidé à toutes les étapes du projet. C’est aussi leur œuvre. Voilà pourquoi je n’ai pas voulu parler uniquement de moi et que je leur ai dit : « C’est à vous d’être fiers. »
- Lire aussi
Après l’amiante, la renaissance d’Arjuzanx
Pourquoi et comment votre projet a-t-il été retenu ?
J’ai rencontré Jacques Ducout : il est retraité de l’usine et membre de l’Union locale des syndicats CGT de la Haute-Lande, qui a porté ce projet artistique auquel la CMCAS Bayonne et la CCAS ont participé financièrement. Il s’était renseigné sur mes travaux, sur ceux réalisés en sable volcanique notamment, et il m’a proposé de créer une œuvre à la mémoire des victimes de l’amiante d’Arjuzanx. Je connaissais l’histoire de ce site [mine de lignite à ciel ouvert exploitée par EDF de 1958 à 1992 afin d’alimenter une centrale thermique, ndlr] mais Jacques m’en a appris davantage, jusqu’à me convaincre de me lancer dans une création.
Quand j’ai présenté mon projet devant une dizaine de personnes de la CGT, je leur ai expliqué qu’on allait honorer la mémoire d’une quarantaine de morts et celle de centaines d’ouvriers. Qu’on ne pouvait donc pas se contenter d’une œuvre à exposer sur un bureau ou à accrocher au mur d’une salle. J’ai proposé d’exécuter une œuvre imposante pour l’extérieur, qui serait vue par tous et devrait durer.
Ils ont été stupéfiés quand je leur ai dit qu’elle ferait 6 mètres de haut. Ils ont pris le temps de réfléchir et m’ont finalement suivie.
Le choix du matériau, le Cofalit, est audacieux.
L’idée d’utiliser du Cofalit s’est imposée à moi. Cela n’a pas été un choix. Le Cofalit, c’est de l’amiante transformée jusqu’à ce qu’elle devienne inerte et inoffensive. Les trois colonnes [des Trois Flamboyantes, ndlr] représentent les trois cheminées de l’ancienne usine où des dizaines de personnes ont été contaminées par le poison mortel que constitue l’amiante.
J’ai retenu des pierres de Colafit noires, vertes, bleues, sur lesquelles on a travaillé. J’ai réalisé plusieurs essais dans mon atelier pour, finalement, choisir un état assez brut. Je ne voulais pas qu’on sente la main humaine. On a ensuite assemblé ces pierres dans des coffrets de plusieurs tonnes. Et enfin, j’ai intégré des leds pour animer doucement le Cofalit, comme une respiration.
« Il fallait qu’il y ait de l’humain. Des mots. Quand on traverse l’œuvre, on entend parler les travailleurs. Et on se dit « il y a des hommes là », ce n’est pas uniquement de la pierre. »
L’œuvre est à la fois visuelle et sonore. Expliquez-nous…
Je voulais absolument que ce soit le cas. Mon voisin d’atelier, Jean-Marie Lavallée, est compositeur [par ailleurs inventeur d’un concept de musique interactive et lauréat du concours Lépine, ndlr]. Il a travaillé sur des enregistrements d’époque effectués dans l’usine, avec des sons d’ambiance, des bruits de machine mais aussi les voix des travailleurs. Il fallait qu’il y ait de l’humain. Des mots. Quand on traverse l’œuvre, on entend parler les travailleurs. Et on se dit « il y a des hommes là », ce n’est pas uniquement de la pierre.
Anciens travailleurs, familles de disparus, syndicalistes d’hier et d’aujourd’hui, personnalités politiques… 400 personnes se sont retrouvées pour l’inauguration de l’œuvre, faite de Cofalit, un matériau inoffensif issu de la fusion des déchets d’amiante. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
Qu’avez-vous mis de vous dans ces Trois Flamboyantes ?
Tout ! Vraiment tout. Mon père était médecin et ma mère communiste. J’ai été élevée dans ces deux univers et je pense les avoir mis dans les Trois Flamboyantes. C’est une œuvre d’émotion. Je suis heureuse aussi d’avoir convaincu les « gars » en leur disant : « On va en faire un bijou ! » On ne va créer ni une pierre tombale, ni une stèle. On va faire un bijou qui va miroiter avec le soleil. À midi, les colonnes prennent la pleine lumière et, au coucher, elles deviennent un peu rouges. J’aime bien l’idée que cette amiante terrible, fatale, revienne ici après avoir été transformée en une matière inoffensive.
« On devrait réussir à capter l’attention du public en ouvrant une page de l’histoire du site. Les visiteurs se demanderont : « Mais pourquoi ça ? » »
Quelle trace pensez-vous laisser dans le parc ?
Les trois colonnes sont hautes, solides, lourdes. Elles vont rester ici. Elles sont très bien placées, on les voit de loin. Et puis le son est intrigant. On devrait réussir à capter l’attention du public en ouvrant une page de l’histoire du site. Les visiteurs se demanderont : « Mais pourquoi ça ? »
Près de 400 personnes sont venues pour l’inauguration de l’œuvre, qui a pris aussi la forme d’une commémoration. Un moment intense en émotions…
Oui, même si ce n’est pas si simple. Je suis là pour parler d’art, pour dire aux gens que l’art est important. J’espère que cette œuvre pourra transmettre de façon ludique, même si le mot semble léger, toute l’histoire du site.
Ce que j’aime, c’est transformer par l’art une chose terrible. Transformer par l’art un problème terrible. Il y a beaucoup de passage ici, sur le chemin de la plage du lac. Si un visiteur sur dix s’arrête, regarde, écoute et comprend quels drames y ont eu lieu alors nous aurons gagné.
Tags: Article phare Arts commémoration