Un record de participation, un deuxième sacre pour Etienne Bacrot dans le trophée Karpov, un « blitz fou », etc. Et toujours cette même fluidité dans les échanges. La 14e édition de CapEchecs, du 21 au 29 octobre, a encore accéléré la cadence. En toute maîtrise !
Etre maître du temps, « le suspendre » un instant et surtout l’utiliser à bon escient. Sans sorcellerie ou autre magie, depuis plus de vingt ans, les organisateurs de l’événement échiquéen du Cap d’Agde (Hérault) jonglent non sans dextérité avec cette notion. Et la parenthèse hebdomadaire en devient réjouissante. Au-delà des chiffres (969 inscrits, record de participation), des pléonasmes sur les vertus multiples et essentielles de ces rencontres, cette 14e édition a mis en exergue, dans les différents tournois et en dehors des cases, la tactique du tic-tac… Aux échecs, tout comme dans la vie, le temps, c’est de l’argent ! Et éviter les temps morts vaut en quelque sorte de l’or.
Qu’est-ce qu’on fait du temps qui nous est dévolu ? Comment on l’utilise ? C’est quelque chose qui est pratiquement intuitif chez moi. Car la perte de temps, on ne la récupère pas.
Bachar Kouatly, grand maître international
A ses dépens, Romain Edouard, pourtant stratège en la matière, en a perdu le fil (ou l’aiguille) et du coup la médaille. Dans une finale inédite (100% française) du trophée Karpov, l’opposant à Etienne Bacrot, le champion de France 2012, laissera, lors du premier acte de la partie, inexorablement filer le chronomètre pour ne jamais rattraper les minutes assassines malgré le système de « cadence Fischer ». Reflet de la manifestation en général, la finale fut donc très tactique. A l’usure… Exigeant mentalement, le jeu des rois, au centre de toutes les attentions durant cette semaine agathoise, est aussi très éprouvant physiquement. Et s’il a fédéré, toutes catégories, générations et sexes confondus, une fois de plus, c’est aussi et surtout grâce à un ensemble de « bonne volonté ». Car un roi tout seul sans le peuple n’est rien !
Sans le soutien matériel et humain de Pascal Chivet (président de la CMCAS de Picardie), nous n’aurions jamais pu vivre cet événement.
Daniel Plet, CMCAS de Picardie, première participation à CapEchecs
Alors pour que le ballet permanent de la « bulle du Cap », composé de sourires, d’échanges, de tête-à-tête, de suspense puisse s’exprimer, les incontournables se sont, comme à l’accoutumée, activés. Que ce soit l’efficacité et la patience du personnel d’accueil, la constance et l’endurance de l’équipe de restauration (12000 repas servis) pour respecter la pause chronométrée des joueurs, ou encore la ponctualité des bénévoles, la synchronisation fut sans faille. Et dans ce mouvement perpétuel, c’est souvent au clap de fin que les réminiscences jaillissent. Sans forcément respecter l’ordre chronologique de ces instantanés, à saisir sur le vif à défaut d’être dépassé. Parmi lesquels, ce blitz final où quelque 200 joueurs déchaînés, dans un brouhaha stupéfiant, se sont acharnés sur la pendule pour du grand spectacle ! Et cette jeunesse omniprésente durant toute la semaine et de plus en plus nombreuse à « pousser du bois » alors que le cuir du ballon rond occupe ostensiblement l’espace médiatique.
Si l’altruisme, la convivialité, l’intergénérationnel ne sont pas de vains et vilains mots au Cap, ces rencontres sont la preuve qu’elles peuvent et doivent être des notions intemporelles et non temporaires. Si la générosité se partage et se propage, celle des musiciens présents sur le centre de vacances CCAS en aura été un exemple. Ils ont égayé tous les soirs la salle Molière d’un jazz savoureux, une musique où les contretemps se multiplient. A en perdre la boussole ou en oublier la pendule ! Ces mêmes musiciens, joueurs d’échecs émérites, participants au deuxième tournoi du Monde des artistes, au cours duquel personne ne sera en mesure de suivre le tempo et la cadence de Milan Ollier, brillant vainqueur et auteur d’une partition parfaite gratifiée de la note maximale. Un véritable métronome !
Je n’attends pas dix ans pour me rappeler des bons moments. Je les vis au présent ! Et je peux dire que j’ai passé une semaine formidable ici !
René Urtreger, pianiste
Côté opens, si, cette année, aucun agent des IEG n’est parvenu à glaner un titre et que la CMCAS Essonne a perdu sa finale par équipe contre le CE du ministère des Finances, nul doute que pour les éditions futures, des vocations vont surgir… Car, à la CCAS, les échecs s’étendent. Et, pour la première fois, CapEchecs s’est déplacé. C’était le 26 octobre à midi. Malgré un agenda chargé, Bachar Kouatly, « adepte de la discipline », était en démonstration dans le restaurant méridien CCAS de Montpellier pour une partie à l’aveugle toujours aussi éclairante de la part du grand maître. Devant 120 personnes, dont une bonne trentaine activée à « déstabiliser » le GMI, la gageure était réussie.
Si pour beaucoup d’entre vous, CapEchecs, c’est Pascal (Lazarre) et Bob (Textoris), pour la CCAS, les échecs, c’est Bachar Kouatly !
Michaël Fieschi, président de la CCAS
Novateur, précurseur ou hors du temps, d’années en années, les superlatifs abondent pour définir CapEchecs. Et si cette alchimie est palpable pour les participants, la rationalité en est patente. Faire se côtoyer trente-six maîtres et grands maîtres de la discipline avec des débutants, des passionnés relève, certes au départ, de l’improbable. Et pourtant… En osant et en ouvrant un peu plus le champ des possibles, les frontières cèdent inévitablement.
Avec Mathéo, mon fils, on vient depuis quatre ans pour ça, cette facilité dans l’échange, dans la discussion, avec qui que ce soit !
Eric Alquier, CMCAS Toulouse
Mais le Cap, c’est aussi ses anecdotes. De celles qui restent dans les annales d’un crû. Et celui de 2016 est un millésime ! Authentique, ubuesque et absurde à la fois, l’histoire de ce joueur coincé dans les toilettes (pour cause de verrou cassé) pendant des heures, exclu du tournoi puis réintégré sur bonne foi, relève du tragicomique. Ou comment un instant furtif de soulagement peut vite se transformer en abysse nauséabond. Mais, quelque part, il était dit que cette édition aurait un parfum particulier. Car « la sphère des échéphiles » n’échappe pas non plus à l’actualité, au présent et à ce qui s’est passé. Aussi, lors de son allocution, Michaël Fieschi, président de la CCAS, remettra, avec fermeté, les pendules à l’heure. En prenant le temps (beaucoup) pour dénoncer les actes odieux ayant visé les institutions de la CCAS susceptibles d’accueillir des réfugiés. Dans un centre de vacances qui accueille un événement qui prône le respect, à travers un jeu qui s’affranchit des barrières sociales, raciales, sexistes, et où étaient représentées plus de 23 nationalités, la piqûre de rappel a fait mouche. Elle était sans doute nécessaire, pour ne pas oublier que le temps ne doit pas tout effacer…
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