Le 21 février dernier, le verdict est tombé : absents de la liste des sports additionnels annoncée par le Comité d’organisation des Jeux olympiques, les échecs ne seront pas une discipline olympique aux Jeux de Paris 2024. Pour Bachar Kouatly, président de Fédération française d’échecs et président délégué de la Fédération internationale des échecs, ce choix est pourtant loin d’être un échec.
Selon vous, qu’est-ce qui a motivé le refus du Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) ?
Je ne sais pas. Mais nous n’attendions pas forcément d’explications. Car lorsqu’il y a un concours, les décisionnaires font preuve d’une vision extrêmement large. L’essence de notre candidature, portée par la Fédération internationale des échecs (Fide) et son président, Arkadi Dvorkovitch, reposait sur nos arguments : les échecs sont une discipline ancestrale et universelle, forte de 189 fédérations dans le monde, dont 118 font partie des comités nationaux et olympiques sportifs locaux. Actuellement, il y a 6 millions de parties jouées par jour, par différents publics. À partir du moment où nous avons pu exposer nos atouts, nous respectons ce choix.
Sans aucune amertume ni regrets ?
Non, pas du tout. Et il y a même une satisfaction, celle d’avoir obtenu l’accord du recteur de l’académie de Paris pour que les parties, en cas d’avis favorable du Cojo, se jouent à la Sorbonne, dans la salle Gréard, là où Pierre de Coubertin, en 1894, a annoncé la création des Jeux olympiques modernes. Il faut comprendre que nous ne nous situons pas dans un objectif immédiat, sinon nous ferions preuve d’une attitude consumériste qui mène d’ailleurs à la ruine de la société.
Notre but est de démontrer les vertus d’un outil formidable, d’une discipline qui a une réelle existence dans toutes les strates de la société et qui a fait ses preuves, notamment à la CCAS. De toute façon, nous serons présents en 2024 pour les 100 ans de la Fide, afin de démontrer que ce sport a toute sa place dans le monde du sport.
« Aujourd’hui déjà deux milliards de parties se jouent annuellement. »
Pourtant, cette médiatisation qui entoure les Jeux aurait sans doute été profitable au développement de la pratique, ou plutôt à sa reconnaissance sportive et à ses vertus ?
Mais aujourd’hui déjà deux milliards de parties se jouent annuellement. Le nombre de pratiquants est exponentiel ! Aussi, si la notoriété de ce jeu n’est plus à prouver, il faut cependant avoir une vision globale et à long terme de l’image qu’il peut renvoyer.
Pour permettre aux gens de considérer les échecs comme une pratique sportive, à part entière. Car tous les champions de haut niveau, comme Magnus Carlsen [grand maître international et numéro 1 mondial au classement Elo, ndlr] par exemple, sont en permanence dans une intensité comparable aux autres sports.
C’est ce que nous avons pu démontrer auprès des organisateurs. Et c’est déjà une première étape. Nous avons sans doute auparavant manqué de pédagogie auprès du public, en laissant s’installer le cliché d’une discipline inaccessible. Or, pour prendre le contrepied, aujourd’hui, dans le monde dans lequel nous vivons où tout est exacerbé en permanence, où la violence des images, notamment à travers les jeux vidéo, réduit le temps de conscience de chacun, attelé à s’abrutir devant l’écran, les échecs, qui appellent à la réflexion, à la concentration, sont à mon sens, un outil universel nécessaire !
« Dans notre discipline certains grands maîtres ont 12 ans ! »
Depuis leur création, et d’autant plus avec la retransmission télévisée, les JO proposent un spectacle et des prouesses athlétiques sensationnelles. Les échecs ne sont-ils pas anachroniques par rapport au breakdance, qui a été retenu pour Paris 2024 aux côtés de l’escalade, du surf et du skateboard ?
Dans notre discipline certains grands maîtres ont 12 ans… ce qui veut dire qu’un gamin est capable de surpasser un adulte, car il n’a besoin ni de force physique ni d’expérience, mais juste de comprendre les mécanismes du jeu.
Cela dit, en Norvège, les événements échiquéens retransmis à la télé atteignent 30 % d’audience. Ce qui prouve que les échecs peuvent être générateurs d’émotions et pourvoyeurs de spectacle, y compris pour les néophytes qui peuvent, devant leur écran, en saisir la dramaturgie, les codes. Il suffit pour cela de vulgariser la discipline.
Comme je l’avais écrit dans « l’Échiquier célèbre », le hip-hop, le breakdance fédèrent, comme nous, beaucoup de jeunes, parmi lesquels de nombreux joueurs d’échecs. Et je respecte cette discipline avec laquel nous n’étions d’ailleurs pas en concurrence, mais plutôt en harmonie…
En 2007, les échecs « investissaient timidement » les centres de vacances de la CCAS. Aujourd’hui, c’est l’une des disciplines les plus prisées des semaines multiactivités. Quels enseignements en tirez-vous ?
Je me dis que la CCAS, comme souvent, a fait partie de mon éveil… dans le sens où elle favorise les « pratiques différentes ». Aujourd’hui, si la nôtre a autant de succès c’est parce qu’elle est inclusive et s’affranchit de toutes les barrières, qu’elles soient sociales, raciales, de genre… Personnellement, l’expérience de la CCAS m’a beaucoup apporté quant à la propagation possible de cette discipline. Et celui qui a perçu cela, au départ, c’est Pascal Lazarre [ancien président de l’association CapÉchecs, ndlr] ! C’est lui qui a impulsé ce travail collectif qui donne des résultats probants et fabuleux, à travers des moments privilégiés d’échanges intergénérationnels intenses.
Les Rencontres d’échecs au Cap fêtent leurs 25 ans
Du 24 octobre au 2 novembre 2019, les Rencontres nationales et internationales d’échecs au Cap d’Agde, organisées par l’association CapÉchecs, fêteront leurs 25 ans au centre de vacances CCAS de l’Hérault.
Plus d’infos prochainement sur le site Internet de CapÉchecs : capechecs.com.
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