À l’invitation du PCF de l’Isère, syndicats, élus et citoyens se sont retrouvés, le 8 avril dernier – anniversaire de la loi de nationalisation du gaz et de l’électricité – sur le barrage du Sautet, en Isère, pour dire non à la privatisation des barrages hydrauliques en constituant une chaîne humaine, joyeuse, spectaculaire et citoyenne.
Après la journée du 13 mars et la mobilisation inédite de l’ensemble des salariés de la chaîne de compétence de l’hydroélectricité française, de nombreux élus de l’Isère de toutes sensibilités politiques, des salariés d’EDF et des centaines de citoyens ont manifesté leur refus de voir une partie de la production hydraulique ouverte à la concurrence.
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À l’initiative de la fédération PCF de l’Isère, tous et toutes ont ainsi tenu à alerter sur les dangers et les incohérences du projet gouvernemental de livrer aux opérateurs privés 150 des 400 barrages français, soit 20% des 25000 mégawatts du parc, aujourd’hui géré à plus de 80% par EDF, et par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société hydroélectrique du Midi (Shem), filiales d’Engie.
La date, évidemment, n’a pas été choisie au hasard : ce 8 avril 2018 fait écho à celui de 1946, qui vit le vote de la nationalisation des Industries électriques et gazières, élaborée sous la direction de Marcel Paul, ministre communiste d’un gouvernement présidé par le Général de Gaulle. Un rassemblement semblable s’est tenu au même moment dans l’Indre, sur le barrage d’Éguzon.
« En 1946, certains ont eu l’audace de construire un grand service public de l’énergie en France, a déclaré Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français. À l’heure de la nécessaire transition énergétique, on est obligé de constater la progression de la précarité énergétique, qui touche 13 millions de personnes en France, et combien d’autres en Europe. Ce défi, ce n’est pas la loi du profit qui pourra le relever, mais la modernité de l’idée même de service public », a encore affirmé le sénateur de Paris.
Renouvelable, disponible en 3 minutes chrono, l’énergie hydroélectrique est la moins chère de toutes (entre 20 et 30 euros le mégawatt), ce qui rapporte au service public près de 1,25 milliards d’euros par an : telle est l’arme de précision du système électrique national pour faire face aux pointes de consommation, en hiver comme en été, pics réguliers où les prix de l’énergie peuvent en quelques minutes atteindre des culbutes impressionnantes sur les marchés spot de l’électricité.
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Des élus inquiets
Pour le sénateur écologiste de l’Isère Guillaume Gontard pour qui, « il n’existe aucune obligation d’ouvrir les barrages à la concurrence, et d’ailleurs aucun argument pour nous en montrer les aspects positifs. Le ministre Hulot a été absent sur le dossier de Ge Hydro à Grenoble [dont l’usine de Grenoble, qui fabrique des turbines hydrauliques, est menacée par un plan social depuis l’été 2017, ndlr]. Il l’est encore sur celui des barrages, alors que c’est toute la stratégie énergétique du pays qui est en cause, et donc une grande partie de la transition énergétique », a conclu le vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au sénat. Parmi les élus , se trouvait également Émilie Marche, conseillère régionale de la France Insoumise.
Marie-Noëlle Battistel, députée socialiste Nouvelle gauche de l’Isère, ne voulait pas rater le rendez-vous de ce dimanche. « Le barrage du Lac Mort et celui où nous sommes, sont les premiers de la liste proposée par le gouvernement pour une privatisation, a indiqué la présidente de l’Association nationale des élus de montagne. C’est un sujet majeur au moment où la France veut réussir sa transition énergétique. » Auteure en 2013 d’un rapport d’information sur l’hydroélectricité, la vice-présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, a ajouté : « Les barrages sont les seuls moyens de production d’une énergie propre, stockable, en mesure de pallier l’intermittence des autres sources de renouvelables, solaire et éolien. On imagine mal ce qu’il en adviendrait avec l’introduction de nouveaux opérateurs concurrents, aux objectifs de rentabilité divergents, dans une chaine d’exploitation hydraulique déjà très complexe ».
Pour la députée, « la plupart des pays européens ont su négocier avec la commission la conservation de leur parc hydraulique hors de la concurrence ». La commission visait plutôt, selon elle, « la position dominante d’EDF, mais depuis les choses ont bien changé, et il existe déjà des concurrents à l’entreprise publique. » Confirmé par la loi de transition énergétique d’août 2015, le principe de la mise en concurrence des concessions hydrauliques exigée par l’Union européenne n’a pas été suivi d’un calendrier. « Il y donc de quoi contester cette mise en demeure, a conclu la députée. Or non seulement le gouvernement a-t-il choisi de s’y plier, mais il vient de proposer à la commission un échéancier d’ouverture ».
Si, depuis une dizaine d’années, les syndicalistes se battent contre le pillage de ce bien public largement amorti, ils ont su élargir le périmètre de l’alerte aux multiples usages de l’eau, qui constituent une bonne partie de leurs activités. Les retenues hydroélectriques représentent ainsi 7 milliards de mètres cubes d’eau : alimentation en eau potable, irrigation agricole, bases d’activités sportives et de plein air, industries, préventions des crues. » L’eau est un bien commun, inaliénable et précieux. Nos missions, vont bien au-delà de la production électrique, a indiqué Dominique Pani, animateur des questions hydrauliques à la FNME CGT.
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C’est aussi l’avis de Fabien Mulick, maire de Corps, village de 512 habitants niché juste au-dessus du Sautet, et qui compte parmi sa population une vingtaine d’agents EDF : « par convention avec EDF, l’opérateur assure un niveau d’eau sur notre base nautique l’été. C’est important pour nous. Demain, avec qui et dans quelles conditions négocierai-je cette convention ? Nous avons également trouvé ensemble un accord sur l’occupation d’une réserve foncière pour l’installation d’un équipement. Bref, l’opérateur public actuel est un partenaire ». Gilles Strapazzon, maire de Saint-Barthélemy, où se trouve le barrage du Lac Mort, a ainsi résumé l’état d’esprit des élus de la vallée : « Quand on affaiblit un opérateur public sur un territoire, on affaiblit le territoire ».
« Il faut, dans les semaines et les mois qui viennent, placer les installations hydroélectriques nationales, partout sur nos territoires, sous protection citoyenne des populations et des salariés, et expliquer à tous ce qui est en train de se passer », a conclu Pierre Laurent. La chaîne citoyenne du Sautet n’a donc pas fini de s’étendre dans les semaines à venir, dans d’autres vallées et sur d’autres barrages à travers la France.
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