Électricité du Portugal (EDP), ancien monopole d’État, vient de tomber dans les mains d’investisseurs chinois. Derrière la perte de souveraineté d’un pays à la déroute se dissimule tout un système au service d’intérêts privés.
Le mois dernier, le géant asiatique China Three Gorges (CTG) a acquis les dernières parts que détenait encore l’État portugais dans la compagnie nationale Energias de Portugal (EDP), damant le pion à l’allemand E.on. Avec 21 % du capital, CTG devient premier actionnaire de l’entreprise créée en 1975, au lendemain de la révolution des Œillets. Cette prise de contrôle par un groupe chinois est une première dans l’histoire de l’énergie européenne. La privatisation totale d’EDP n’est pourtant pas une surprise. « C’était une obligation suite à l’accord passé en mai 2011 par le gouvernement précédent avec la troïka », explique Vitor Andrade, journaliste à l’hebdomadaire portugais Expresso. Il y a deux ans, le Portugal avait obtenu auprès du FMI, de la Banque centrale européenne et de l’UE un prêt de 78 milliards d’euros. La contrepartie ? Un gigantesque plan de privatisation. Depuis, tous les bijoux de famille ont été vendus à des investisseurs étrangers ou sont en passe de l’être : télécoms, banque, aéroports, chemins de fer, compagnie aérienne… « Notre lutte pour la défense des entreprises nationalisées a commencé dès les années 1980 », rappelle Carlos Carvalho, de la CGTP. Le principal syndicat portugais pointe les effets néfastes de la privatisation : destruction annoncée de la convention collective des salariés de l’énergie et détérioration du service. « En janvier, suite à de violents orages, la région de Leiria est restée près de deux semaines sans électricité », s’insurge le syndicaliste. Soumis à un régime particulièrement dur, le peuple est à bout de nerf. L’an dernier, plus de 600 manifestations ont eu lieu dans la seule ville de Lisbonne. Avec deux mots d’ordre : « Non à l’austérité » et « Que la troïka aille se faire f… ! », traduction du portugais « Que se lixe a troika », slogan qui a donné son nom l’été dernier à un grand mouvement social.
LA PRIVATISATION D’EDP, fleuron de l’industrie ibérique, masque une autre réalité : l’organisation par l’État d’un système de production au service d’intérêts privés. « La politique énergétique du Portugal n’a jamais été favorable aux consommateurs », soutient João de Melo, président de Geota. Cette association environnementale se bat depuis des années contre le programme de grands barrages lancé par l’État en 2007. « Ces barrages ne sont faits que pour servir les grosses entreprises : EDP, les entreprises de travaux publics et les banques », dénonce João de Melo. Une analyse confirmée par José Gomes Ferreira, le « monsieur économie » de la chaîne de télévision privée SIC : « Ce système n’existe que pour augmenter les bénéfices des actionnaires et les intérêts des banques. Je ne vois qu’une seule solution : renationaliser ». Une position plutôt cocasse pour ce journaliste « libéral ». Le chinois CTG, quant à lui, a déjà les yeux tournés vers l’Atlantique. « EDP est fortement implanté dans les Amériques, observe le journaliste Vitor Andrade. En devenant son actionnaire principal, CTG s’intéresse particulièrement au Brésil, un marché en très forte croissance. »