Pour les uns, c’était une découverte, pour les autres un rendez-vous voire un rituel qu’ils ne manqueraient pas. Depuis trente ans, le pouvoir d’attraction des Rencontres nationales et internationales d’échecs (CapÉchecs) ne faiblit pas. Paroles d’agents et d’enfants bénéficiaires sur cet événement majeur.
Une trentième édition « comme à la maison » pour Bruno, agent EDF
En ce jour de clôture, Bruno n’est pas très fier de son score dans le tournoi du Cavalier 2024. Mais pas de quoi affecter son goût pour les échecs et le plaisir qu’il ressent aux Rencontres. L’ancien ingénieur est un fidèle parmi les fidèles. Pas question pour lui de rater ce rendez-vous avec l’histoire.
À la fois disciple et compagnon d’un certain Jean-Luc Seret, agent EDF et quadruple champion de France décédé au mois de mars, il a posé le pied pour la première fois sur le grand échiquier du centre de vacances CCAS en 1994. Cette année-là, il a même remporté le tournoi avec son équipe recherche et développement. Depuis, il n’a raté aucune édition : sa passion vivace pour Le Cap ne s’est jamais démentie.
Ici, Bruno se sent « comme à la maison », dans sa famille, à la fois professionnelle et échiquéenne. Il a ses repères et ses amis. Engagé chaque année dans le tournoi du Cavalier, « un open à [son] niveau », il apprécie les échanges et les passerelles naturelles entre les profanes de la discipline et les grands maîtres. « Depuis le début et encore maintenant, tu peux à la fois bénéficier des commentaires de leurs parties, ce qui est déjà très enrichissant, et avoir le plaisir de les croiser, les saluer, discuter avec eux sans aucune hiérarchie ni barrière. »
« Cette année, j’ai amené mon petit-neveu de 5 ans : il est attiré par le jeu des rois. »
Bruno Bosom, 62 ans, ingénieur recherche et développement à EDF, participant à CapÉchecs depuis 30 ans
Trente ans de souvenirs pour Bruno… qui a été acteur de belles rencontres, certes révolues, avec des équipes d’autres comités d’entreprise, « pour des échanges toujours passionnants ». Il a été le témoin des évolutions pertinentes qui ont jalonné les Rencontres. « Je pense qu’il faut féliciter la FSGT [Fédération sportive et gymnique du travail, ndlr] pour l’initiative du Fil rouge, le tournoi réservé aux débutants, et la CCAS. Elle a su prolonger cette semaine échiquéenne en installant le jeu d’échecs dans les centres de vacances avec un effort conséquent auprès de la jeunesse. Cette année, j’ai amené mon petit-neveu de 5 ans : il est attiré par le jeu des rois. Et en une semaine, avec les conseils des autres, il a déjà très bien progressé. Cela prouve que le lieu est aussi une très bonne école des échecs. L’année prochaine, il prendra certainement part au Fil rouge ! ».
« Devenir GMI », un but pour Loïc, 22 ans, Maître international 2019
Ça s’est joué à peu de choses… un tournoi mal engagé et la norme de grand maître s’est envolée. À la fois heureux d’être au Cap et un peu déçu, Loïc Travadon, 22 ans, est bien résolu à poursuivre sa quête. Celle qui va, sans conteste, l’emmener au bout de ses rêves de gamin. Il s’est pris au jeu en 2010 au centre de vacances CCAS de Val-d’Isère en participant aux activités échecs. Il avait 8 ans. « C’est un jeu d’apparence austère, inaccessible, mais dans lequel tu peux te mesurer à tout le monde et battre des gens de tous horizons et tous âges. J’ai trouvé l’idée très intéressante. »
Alors, sous la houlette de sa mère, agente EDF, Loïc a poursuivi la pratique des échecs à l’école primaire, et vite visé plus haut en franchissant les portes du club de Bois-Colombes. De là, son ascension a été éblouissante. Lors de sa première venue aux Rencontres, en 2014, à l’âge de 12 ans, il a remporté le trophée du tournoi du Cavalier en équipe CMCAS !
Depuis 2016, le jeune Maître international (titre acquis en 2019) connaît des fortunes diverses dans le Grand Prix, son tournoi fétiche. Un mélange d’émotions qui vont du plaisir à la déception. Mais son ambition est intacte. « En 2022, si je gagnais la dernière, j’obtenais une norme de grand maître. Malheureusement j’ai fait match nul. Ce tournoi est vraiment particulier par rapport aux autres. C’est un lieu ouvert, spacieux, un grand rassemblement où tu as l’impression de connaître tout le monde. »
« Ce qui fait la force de CapÉchecs, c’est que tu peux y apprendre tous les jours, en échangeant […] avec les grands maîtres. »
Loïc Travadon, 22 ans, jeune maître international fils d’agente EDF (CMCAS Hauts-de-Seine)
« Ce qui fait la force de CapÉchecs, c’est que tu peux y apprendre tous les jours, en échangeant au restaurant ou ailleurs avec les grands maîtres, qui sont toujours accessibles, jamais avares de de conseils. Ils ont envie de transmettre leur savoir. À l’image de Vassili Ivantchouk, le joueur le plus impressionnant selon moi par son audace, et par sa capacité à s’asseoir et à analyser une partie entre deux débutants. Je l’ai vu faire ça ici ! »
Être sacré Grand maître international (GMI) au Cap serait sans doute l’aboutissement pour ce jeune homme tellement passionné par les 64 cases qu’il en oublierait de vivre. « Oui, devenir GMI, c’est mon but. Il me manque trois normes et je dois atteindre 2 500 Elo. Les échecs, pour l’instant, c’est ma vie. J’y joue le matin, le soir, et l’après-midi je fais de la musculation et de l’endurance. Je peux compter sur le soutien sans faille de ma mère, que j’appelle toujours après une victoire… [rires]. Jamais après une défaite ! »
Guénaëlle, 11 ans : « J’ai affronté des joueurs expérimentés ! »
Participer à CapÉchecs est une grande première pour Éric Lehoussine, 55 ans, ingénieur à la DTEO (Direction exécutive groupe transformation et efficacité opérationnelle) à la DSIT (Direction des services informatiques et télécoms) à Nantes (CMCAS Loire Atlantique Vendée) et ses filles, Guénaëlle, 11 ans, et Anaïk, 14 ans. Le projet d’y assister a pris naissance en 2020 du côté du Puy-de-Dôme. « Cette année-là, nous sommes allés à Super-Besse pour découvrir la semaine d’animation échecs – nous y sommes d’ailleurs retournés chaque année depuis. Les filles ont tout de suite aimé les échecs. Et Éric, l’animateur sur place, nous a conseillé de participer à CapÉchecs. Cette fois, nous avons décidé d’y venir. »
Le Cap d’Agde est comme un aboutissement à la trajectoire fulgurante de Guénaëlle : la jeune fille a été tellement conquise par les échecs qu’elle s’y consacre avec passion. Elle s’est tout de suite distinguée, à l’école puis en club : le jeu « [lui] donne du plaisir et l’envie de tester de nouvelles choses ». Elle est désormais qualifiée d’office pour les championnats de France Jeunes 2025. Anaïk regarde le parcours de sa sœur avec admiration. Pour sa part, elle estime que « les échecs apportent de la confiance en soi et de la concentration ».
« J’ai adoré, car j’ai pu participer à trois tournois différents : un tournoi lent, le tournoi rapide et la soirée de sélection du tournoi de blitz, où j’ai affronté des joueurs expérimentés. »
Guénaëlle, 11 ans, jeune joueuse bénéficiaire de la CMCAS Loire-Atlantique Vendée
Sur place, les trois complices ne tarissent pas d’éloges. À commencer par Éric, lui-même inscrit dans un club depuis deux ans, qui apprécie le côté intergénérationnel : « Les tournois sont adaptés à tous les niveaux, ils se déroulent dans une ambiance détendue. Tu côtoies des GMI [Grands maîtres internationaux, ndlr], tu peux discuter avec eux, et le personnel dans le centre de vacances est au top ! »
« J’ai adoré, confirme Guénaëlle, car j’ai pu participer à trois tournois différents : un tournoi lent, le tournoi rapide et la soirée de sélection du tournoi de blitz, où j’ai affronté des joueurs expérimentés. En plus, ajoute la jeune fille, j’ai pu faire une partie amicale contre Vassili Ivantchouk et participer à la simultanée avec Laurent Fressinet… Sans parler de ma rencontre avec Julien Song, qui a analysé une de mes parties. » Anaïk valide ses propos. Elle a surtout apprécié de se mesurer à plus fort qu’elle ! Afin de progresser encore, sur les conseils de son mentor sur place, Éric Didier. L’année prochaine, il y a de fortes chances que les filles (et leur papa) reviennent. Elles seront sans doute plus aguerries mais toujours aussi candides devant les grands joueurs.
Les échecs, du rêve à la réalité pour Laurent Makke, agent Enedis
L’année dernière, pour sa deuxième participation, Laurent Makke avait créé l’exploit. En terminant premier agent du Grand Prix, il exprimait cette volonté qui le caractérise. Cette année, l’ingénieur Enedis n’a pu réitérer le coup de force, mais il reviendra plus fort l’an prochain, c’est sûr ! Exigeant de nature, Laurent est un homme de défi et de parole. Un homme fier de son parcours, fier de celui de ses parents, des exilés libanais et algérien. En 2001, lorsqu’il a participé aux championnats du monde junior, c’est à eux qu’il pensait, à leur sacrifice familial.
Laurent et les échecs, c’est l’histoire d’une réussite personnelle, dédiée à la culture de sa famille. Son ascension débute à Lyon, dans les années 1990, où le programme des activités échecs dans les écoles prend son essor. « En CP, j’ai été viré dès le premier cours, alors que je savais déjà bouger les pièces : je parlais trop ! » Peu importe, le garçon a déjà du répondant. Assez pour réintégrer l’année suivante le cours dispensé par le même prof : « Je lui dois finalement ma passion. »
Et là, tout s’accélère. Les tournois, les prix et des places pour assister aux championnats d’Europe à Lyon. Il va y observer les grands maîtres de l’époque avec les yeux de Chimène. Repéré par un directeur de club, il participe régulièrement aux championnats de France. Mais, un an après sa belle performance aux championnats du monde de 2001, Laurent met fin à son parcours. « Je me suis arrêté pendant presque dix ans pour reprendre un peu en 2012… Je m’y suis réellement remis en 2018. » Il devient alors président du club de Bois-Colombes. « Là, un de nos jeunes nous vantait les vertus du Cap d’Agde. » Et voilà Laurent paré pour l’aventure, en attendant que le Covid passe.
« Ici, c’est le carrefour du monde des échecs et des Activités Sociales au sens noble. »
Laurent Makke, 38 ans, agent Enedis à Courbevoie (CMCAS Hauts-de-Seine), vice-président du cercle d’échecs de Bois-Colombes.
En 2022, c’est la première ! Accompagné d’une dizaine de gamins du club, l’ingénieur découvre un lieu à part, « où tu peux à la fois animer un stage échecs pour les enfants en centre CCAS, dans la convivialité et l’échange, et prendre part personnellement à un des opens les plus forts de France. Ce tournoi, j’en suivais les résultats, gamin, dans la revue ‘Europe Échecs’ ! Désormais je peux dire que les Rencontres possèdent toutes les qualités à la fois pour un joueur d’échecs et pour un agent des IEG, tant sur le plan humain que sportif. Ici, c’est le carrefour du monde des échecs et des Activités Sociales au sens noble. Avoir su rassembler tout ce monde dans cette proximité, avec un tel professionnalisme et une telle bienveillance relève du génie ! »
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