En 2005, l’Union européenne créait le premier marché de quota d’émission de CO2, supposé être le principal instrument de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Dix ans plus tard, le fiasco est manifeste. Mais le marché du carbone est-il même réformable ?
Le principe du Système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) est le suivant. Les 12 000 entreprises industrielles européennes qui en dépendent se voient fixer un plafond d’émission de CO2, pour l’année. Si elles le dépassent, elles doivent acheter des crédits sur le marché du carbone à des entreprises qui sont, au contraire, restées sous leur plafond d’émission.
A sa création, ce système, encouragé par le protocole de Kyoto de 1997, premier accord international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avait été très critiqué avec des arguments de nature éthique, contestant le principe même de la commercialisation de ces droits à polluer. Mais la critique du marché du carbone peut à présent s’appuyer aussi sur des arguments pratiques : ce système complexe s’est avéré inefficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Un système inefficace
Depuis sa création, le SCEQE est allé de difficultés en difficultés. De retentissantes affaires de fraude, avec l’émission de faux permis à polluer par des réseaux criminels, ont miné la crédibilité du système. Surtout, le cours du carbone s’est effondré à la suite de la crise économique de 2009 de 20 euros la tonne à 3 euros, la contraction de l’activité économique ayant multiplié le nombre d’entreprises restant très en dessous de leur plafond d’émission.
En dépit d’une fragile reprise dans certains pays de l’Union européenne, la tonne de carbone continue à s’échanger entre 3 et 8 euros. Or, tous les économistes s’accordent à penser que les industriels ne sont vraiment incités à réduire leur émissions qu’au delà de 30 euros la tonne de carbone. Si l’on y ajoute le fait que le SCEQE ne concerne qu’environ la moitié des industries européennes, un constat s’impose : le marché du carbone européen n’a joué quasiment aucun rôle dans la réduction, réelle, des émissions européennes de gaz à effet de serre.
Sur le constat de ce fiasco, tout le monde est d’accord. Mais les avis divergent sur la manière d’y remédier. « S’acharner à essayer de « corriger » un système intrinsèquement défectueux détourne l’attention et les ressources des politiques plus justes et efficaces nécessaires » dénonce Attac qui réclame « mettre fin une bonne fois pour toutes à ce dispositif ».
La Commission européenne, elle, juge le système réformable. Elle a lancé une réflexion pour réformer le SCEQE à l’horizon 2030. Principale proposition mise sur la table : diminuer les allocations gratuites de quotas d’émission par les Etats à certaines industries très polluantes. De l’avis général, ces mesures, présentées comme visant à lutter contre les délocalisations, ont amplifié la chute des cours du carbone, et par ailleurs privé les Etats des ressources fiscales qu’auraient du rapporter la vente de ces quotas d’émission aux entreprises.
Vers une taxe carbone ?
Cette réforme du SCEQE le rendra-t-il plus efficace ? Nombre d’économistes, même parmi les libéraux, en doutent. Le gouvernement anglais a par exemple décidé d’instaurer une taxe sur le carbone, qui s’ajoute au prix du marché : les électriciens britanniques achètent ainsi la tonne de carbone 32 euros, un prix suffisamment élevé pour les dissuader d’utiliser les centrales à charbon, les plus polluantes. Ce système de taxation, regardé avec intérêt par le gouvernement français, est également soutenu par le FMI et la Banque mondiale. « C’est simplement le bon moment d’introduire une taxe carbone » déclarait en octobre 2015 Christine Lagarde, directrice du FMI, pour qui cet impôt pourrait contribuer au fonds de 100 milliards de dollars par an que la communauté internationale s’est engagée à créer d’ici à 2020 pour freiner le réchauffement climatique.
En dépit de son dysfonctionnement manifeste, le SCEQE reste le plus gros marché du carbone au monde. Une quinzaine de pays ou de grandes régions (comme la Californie ou le Québec), couvrant 40 % de l’économie mondiale, se sont également dotés de marchés d’échanges de quotas d’émission. La Chine, qui a testé depuis 2013 ce système dans sept régions (dont celles, très industrialisées, de Pékin et de Shanghai) vient d’annoncer son intention d’étendre le système à tout le pays d’ici à 2017. Mais la seconde puissance économique mondiale a aussi, comme une quarantaine d’autres pays, mis en place une taxation de la tonne de carbone.
Marché ou taxation ? Le débat ne fait sans doute que commencer.
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