Hommage aux sauveteurs et conte sur le destin tragique des réfugiés en mer, ce spectacle itinérant s’est posé au centre de vacances du Cap d’Agde (Hérault) le 4 avril dernier. Prochaine étape pour Mandine Guillaume et Émilien Urbach : financer une tournée sur les rives françaises de la Méditerranée, en partenariat avec les CMCAS Toulon et Languedoc.
Quelle est la genèse de ce « projet d’écriture embarqué » ?
Mandine Guillaume – En tant que journaliste, Émilien avait réalisé un reportage sur le départ de « l’Aquarius ». C’était en 2016. Quatre mois plus tard, nous avons fait la demande à SOS Méditerranée d’embarquer, moi en tant qu’auteure et lui en tant que journaliste. Ils avaient besoin de témoins, comme autant d’échos à leur cause !
Nous avons alors imaginé un concept : celui de faire écrire des messages à tout l’équipage, enfermés dans des bouteilles que nous avons jetées à la mer au large de la Libye. Isabelle Serro, photographe, a d’ailleurs immortalisé ce travail en images. De retour sur terre, l’idée d’écrire un conte, basé sur ces témoignages, était évidente.
La pièce
En octobre 2013, lors du premier naufrage de Lampedusa, au large de l’île, un homme et une femme appellent à l’aide. Les secours sont débordés et personne ne leur viendra en aide…
Elle est enceinte. Mais son bébé refuse de venir au monde, dans ce berceau de civilisations, transformé en véritable cercueil. Tous les jours, l’homme repart en mer et rapporte des bouteilles. Elles contiennent les alertes et les espoirs de ceux qui les ont envoyés. Elle les reçoit et les lit, reconstituant, message après message, l’odyssée d’un autre couple d’amoureux séparés sur le chemin de l’exil.
Émouvant, réaliste, bercé par le son d’un accordéon à la fois grave et chatoyant, ce récit de destins croisés est une ode à l’engagement dans laquelle les auteurs nous embarquent avec brio.
Pourquoi avoir poursuivi le projet avec un spectacle itinérant, sur la mer a fortiori ?
Mandine Guillaume – Nous avions envie de nous confronter à la mer ! Au départ nous avons lancé un financement participatif pour l’acquisition du voilier. L’idée était aussi de rendre hommage aux sauveteurs que nous avons côtoyés, à cet univers marin où l’entraide est préservée selon un code d’honneur, lequel est malheureusement mis à mal.
D’ailleurs, au niveau du public rencontré lors de notre odyssée, certains plaisanciers se questionnaient sur le fait de naviguer aujourd’hui en Méditerranée, avouant regarder différemment cette mer. Cette idée de travail embarqué nous a aussi permis de puiser dans tout ce qu’on a vécu et de faire évoluer la pièce. Depuis notre retour sur la terre ferme, nous avons créé « Éclaboussure », une nouvelle forme en solo pour les lieux où il est impossible d’amarrer le bateau ou pour jouer à l’intérieur des terres.
Sur « l’Hétérotope », notre bateau-théâtre, notre but était de provoquer la rencontre entre un travailleur associatif, un artiste et un politique, où chacun écrivait « sa bouteille » et la lisait comme un préambule au débat. En parallèle, j’organisais des ateliers d’écriture avec des associations de réfugiés. Disons que c’était un acte poétique prétexte à l’échange !
Votre pièce force à une prise de conscience sur le sort des migrants. Le vecteur poétique et théâtral est un bon moyen de mettre certains sujets en lumière ?
Émilien Urbach – Nous pratiquons un théâtre ancré dans le réel. En tant qu’auteur et metteur en scène, je m’efforce d’être un témoin-relais de ce qui se passe dans notre société et dans le monde. Par le biais de l’écriture, on essaie d’apporter un regard différent. L’actualité est pleine de rebondissements, et entre l’écriture des premières lignes et les représentations à venir, notre propos résonne différemment, tout en restant pertinent.
Mandine Guillaume – Lorsqu’on est montés sur « l’Aquarius », la médiatisation n’était pas aussi prégnante qu’aujourd’hui. Mais lorsqu’on a présenté le spectacle à Menton, en bas de la vallée de la Roya [passage emprunté par des centaines de migrants de l’Italie jusqu’en France, ndlr], là l’impact était bien présent.
Outre le travail artistique, il y a, en filigrane, un côté militant et humaniste dans votre démarche. Sous le titre évocateur « C’est la goutte d’eau » se cache tout un symbole et aussi un message ?
Émilien Urbach – De par nos parcours respectifs, la question du déracinement et des réfugiés nous a toujours touchés… Aussi, lorsque nous avons informé la CCAS, puis les CMCAS, du travail entrepris à bord de « l’Aquarius », leur soutien immédiat – nous proposer un espace de répétition et prendre part financièrement à l’organisation de la tournée – témoigne d’une cohérence politique inhabituelle pour nous… Et cela draine inévitablement d’autres soutiens, puisque le ministère de la Culture, la Drac, la région Occitanie, sans oublier l’association Tourisme et Loisirs ont suivi. Au-delà, cela redynamise les liens entre la culture et le monde du travail.
Mandine Guillaume – Au cours de nos escales, nous avons pu réaliser l’ampleur de la solidarité qui passe par de l’écoute, du respect, de l’empathie et des actes simples où chaque geste est tout aussi dérisoire qu’indispensable, une goutte d’eau dans la mer… mais que serait la mer sans gouttes d’eau ? Dans ce périple, outre les associations ravies d’avoir un média qui se focalise sur leur travail, à Lesbos, en Grèce, les réfugiés eux-mêmes ont été émus par leur propre histoire racontée de façon singulière, à travers une pièce. Et dans les ateliers d’écriture, très prolifiques, ils se livraient sans doute différemment… pour de beaux moments de partage.
Soutenir la pièce
Site Internet : cestlagouttedeau.wordpress.com
Page Facebook : facebook.com/cestlagouttedeau
Représentations prévues : le 7 juin à La Seyne-sur-Mer en partenariat avec la CMCAS Toulon, puis au Grau-du-Roi, à Sète et à Frontignan, en partenariat avec la CMCAS Languedoc, la région Occitanie et la DRAC, puis en Corse (tournée en construction).
Suite à la reconnaissance d’utilité publique (les dons sont déductibles des impôts), un financement participatif a été lancé pour faire vivre le projet.
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