Depuis 2010, les populations de la baie de Lannion s’opposent au projet d’extraction du sable de mer dans leur région. Le 12 août, à la maison familiale de Trébeurden, les membres du collectif Peuple des dunes en Trégor exposaient les raisons de ce refus.
« Non à l’extraction de sable », préviennent des affichettes délavées à l’abord de Trébeurden (Côtes-d’Armor). Le message lapidaire résume l’opinion de la quasi-totalité de la population des quinze communes de la baie de Lannion1 opposée au projet d’extraction de sable coquillier dans leurs eaux. En janvier dernier, 7 000 manifestants clamaient leur colère dans les rues de Lannion. Celle d’une région qui se sent flouée au détriment des intérêts d’une société privée. « Nous sommes opposés à la destruction de notre patrimoine et on compte tout faire pour le préserver », explique Philippe Soufflet, retraité et membre du collectif du Peuple des dunes. « Les gens ont vraiment la rage », ajoute-t-il.
« La nouvelle nous est tombée dessus en décembre 2010, par voie de presse », se souvient Odile Guérin, géologue et élue à la mairie de Trébeurden. Porté par la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), le projet vise à extraire 250 000 m³ de sable coquillier par an à 4 kilomètres derrière l’Île-Molène, sur une dune hydraulique sous-marine située à 40 m de profondeur pour le vendre aux agriculteurs qui s’en servent pour amender leurs terres et restructurer leurs sols.
Le collectif du Peuple des dunes en Trégor n’a pas tardé à se constituer : dès janvier 2011, il fédère des citoyens, des plongeurs, des conchyliculteurs, des windsurfeurs, des pêcheurs amateurs ou professionnels, Ifremer, le Conservatoire du littoral et une cinquantaine d’associations, dont la LPO et Eaux et rivières de Bretagne. Tous unis par une volonté commune : protéger le site où ils vivent.
« Trois marées noires, les algues vertes et maintenant l’extraction de sable… c’est trop, résume la géologue. Les carrières terrestres ont un impact in situ ; en mer, si vous faites un trou, c’est un peu de sable d’ailleurs qui viendra combler… cela perturbe l’écosystème. La mise en suspension des sédiments que les machines d’aspiration génèrent, les particules fines rejetées en surface forment un panache turbide qui peut se balader un peu partout. Au risque d’asphyxier la faune et la flore. » Selon le géographe Yves Lebahy, cette turbidité peut affecter une superficie jusqu’à 25 fois supérieure à la seule zone d’extraction. Or la dune est une pépinière, notamment pour le lançon, « un poisson fourrage qui vit dans le sable et sert de nourriture à de nombreux poissons et notamment au bar, en voie de raréfaction », préviennent les pêcheurs. Ils seraient les premiers professionnels touchés. À l’heure où l’on demande déjà au secteur de faire des efforts pour respecter les réglementations de l’Europe, la pilule leur paraît salée.
Cette dune de sable coquillier a commencé à se constituer il y a environ neuf mille ans. On en trouve ailleurs en Manche mais ici il est peu profond. Officiellement, les besoins annuels seraient de l’ordre de 100 000 à 120 000 tonnes. « Où va aller le reste ? À l’exportation probablement, mais ce n’est pas dit clairement », avance Odile Guérin. Selon elle, « c’est tout le système agricole qui est à revoir. Si la production intensive de maïs destinée au bétail n’induisait une telle perte de structure des sols, la question se poserait différemment. »
Le 12 août dernier, le collectif du Peuple des dunes en Trégor conviait les bénéficiaires de la maison familiale de Trébeurden à une conférence-débat sur le sujet. « Vous passez vos vacances dans un environnement. Notre souhait, c’est aussi de vous informer sur ce qui se passe. À vous de juger ensuite… », expliquait en préambule, Martial Lemaire, responsable de la maison familiale. Devant la petite assemblée, Alain Bidal, président du collectif, déplorait l’enquête publique, bâclée. « Même Ségolène Royal, la ministre de l’Écologie, a pris position contre cette activité. Pour beaucoup d’entre nous, accorder le permis d’extraction constituerait un déni de démocratie. Les associations reconnues d’utilité publique qui composent le collectif sont prêtes à se pourvoir en justice si le décret passe. » Parmi les vacanciers, une femme témoignait : « J’habite à côté de Ouistreham, où il y a des sites d’extraction. Lorsqu’ils pompent le sable, on entend le bruit des machines et l’eau est trouble pendant des jours. » Pas de quoi rassurer les Trébeurdinais.
En attendant le décret ministériel à venir, un dossier a déjà été présenté auprès de la Commission des pétitions de la Cour européenne. Les membres du collectif sont unanimes : le premier coup de pioche déclenchera les procédures. « Nous n’accepterons pas que notre bien commun soit exploité au profit d’une seule société. »
1 À cheval sur les départements de Côtes-d’Armor et du Finistère.
ENQUÊTE SUR UNE DISPARITION |
Après l’air et l’eau, le sable est la troisième ressource la plus utilisée. On en retrouve dans le béton essentiellement, mais aussi les puces électroniques, le papier, les peintures… Une matière première perçue comme inépuisable restée à ce jour quasi gratuite (de 20 à 30 euros la tonne). Les groupes du bâtiment ont d’abord exploité les rivières et les carrières, puis se sont tournés vers la mer, provoquant une bombe écologique dont les conséquences apparaissent peu à peu. En Indonésie et aux Maldives, des îles entières englouties. Ailleurs : disparition de certaines espèces de poissons, impact aggravé de l’érosion et des tempêtes… La « ruée vers le sable » s’accélère, sous l’égide de grandes multinationales. À voir Youtube : Le Sable, enquête sur une disparition, documentaire de Denis Delestrac. Le film a reçu le prix de l’impact Figra-Amnesty International en 2015. |