De Jean Villeret, président de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes, on connaît surtout la déportation pour faits de résistance, et son action éducative auprès des écoliers. On oublie souvent que le jeune homme de 98 ans a encadré les colos et les villages vacances du CCOS puis de la CCAS, à partir de 1952 et durant quatre décennies.
Bio express
Né le 11 décembre 1922, Jean Villeret est aujourd’hui président de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes et du Comité des anciens combattants d’EDF-GDF. À 20 ans, il résiste aux côtés des Francs-Tireurs Partisans (FTP), et sera pour cela déporté au camp de Natzweiler-Struthof puis à Dachau.
Commandeur des Palmes académiques (2019) et de la Légion d’honneur en 2020, Jean Villeret a consacré sa vie à témoigner et transmettre l’histoire de la déportation.
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Comment est venue l’envie d’encadrer des colos et des villages vacances ?
J’ai été embauché en juin 1951 au Gaz de France, à la Distribution dans la proche banlieue parisienne (DGPBP). Je travaillais comme releveur de compteur à l’inspection de Vincennes (Val-de-Marne). Mon boulot consistait à vérifier les compteurs des usagers, à régler les réchauds à gaz et aussi à détecter les fuites. Je suivais des cours du soir, rue de Vienne à Paris, pour m’élever dans ma carrière.
En 1952, une note de service indiquait que le Conseil central des œuvres sociales (CCOS) cherchait des agents volontaires pour encadrer les enfants durant les colos d’été. Je ne connaissais pas les œuvres sociales. En accord avec mon épouse – nous avions deux enfants en bas âge – j’ai décidé de tenter l’aventure et me suis porté volontaire.
J’ai effectué un stage de formation à Bouray-sur-Juine (Essonne) avant d’être affecté à la colo de La Séchilienne, près de Grenoble, à l’été 1952. Voilà comment j’ai découvert les œuvres sociales d’EDF-GDF ! Rappelons qu’en 1951, avait eu lieu le coup de force du gouvernement qui avait démis le CCOS élu de ses fonctions. C’était la direction d’EDF-GDF qui désormais gérait les œuvres sociales : le CCOS provisoire.
Racontez-nous cette première expérience…
C’était une colo sportive, et j’étais moniteur d’un groupe d’enfants de 10 à 12 ans. Je trouvais que la quantité de nourriture servie était un peu juste… Après un problème de santé mi-août, je suis parti à Peyrat-Le-Château (Dordogne) pour la dernière session des vacances. Là, on mangeait mieux. On avait droit à double rations de frites (rires). J’ai beaucoup aimé m’occuper des enfants. Cette expérience a été déterminante pour mon avenir : j’avais trouvé ma voie.
Les activités étaient simples : des promenades, la baignade, des excursions, des pique-niques… Les gosses étaient heureux !
Organiser des colos à cette époque était un peu fou, non ?
Ce n’était pas de tout repos. On faisait avec ce qu’on avait, comme on pouvait ! Il ne faut jamais oublier que sans Marcel Paul (alors ministre de la Production industrielle, fondateur et premier président du CCOS, ndlr), rien n’aurait été possible. Sans sa pugnacité, les agents n’auraient jamais profité de tout cela.
Les moniteurs et tout le personnel devaient arriver avant le début du séjour pour préparer et aménager les sites, pour monter les lits en fer, par exemple. Les hébergements étaient précaires : selon les endroits, nous étions sous tente, ou dans des baraquements bâtis pour les ouvriers qui avaient construit les barrages hydrauliques. Il n’y avait pas toutes les commodités !
Mais il fallait voir tous ces gamins qui débordaient de vie. C’était formidable ! Pendant leur séjour, on veillait à leur donner une alimentation équilibrée. On leur offrait une certaine tranquillité pour qu’ils passent de bonnes vacances. Les activités étaient simples : des promenades, la baignade, des excursions, des pique-niques… Les gosses étaient heureux. Les accueillir en colo l’été permettait également de soulager les parents pour qui la vie était aussi compliquée.
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Dès lors, vous n’avez cessé d’encadrer…
J’encadrais chaque été. Comme moniteur aux Barriousses (Corrèze) en 1953. Puis comme économe adjoint à Grandval (Cantal) en 1954, où je m’occupais des achats de nourriture ; à La Barthète (Gers) en 1955, et au refuge de Fabian (Pyrénées) en 1956. À partir de 1957, j’ai commencé à encadrer les séjours de Pâques : je suis économe à Bretignolles-sur-Mer (Vendée) puis au refuge de Fabian, l’été. En 1958, je retourne à Bretignolles-sur-Mer à Pâques, puis l’été à la colo d’Embort à Champs-sur-Tarentaine-Marchal (Cantal), où je deviens économe-acheteur : j’achète les fruits et légumes aux Halles de Clermont-Ferrand pour ravitailler quatre colonies des environs. On effectuait régulièrement des stages (responsable de colo, passage de relais, économe…).
Facsimile d’un cahier réalisé par Jean Villeret, intitulé « Le refuge de Fabian n°4 », journal de bord d’un séjour jeunes dans les années 1950. Jean Villeret a longtemps animé des ateliers photo durant ses encadrements. ©Jean Villeret
À partir de 1963, j’ai enfin encadré pendant les vacances d’hiver : je suis responsable de la colo de Jotty (Haute-Savoie). En février 1964, je suis nommé inspecteur commercial à EDF Montrouge, mais je réussis à avoir mon détachement pour les vacances de Noël à Vaudagne (Haute-Savoie). J’ai encadré les séjours jeunes jusqu’en 1970. Durant toute cette période, ma famille avait le droit de venir me rejoindre, ce qui était appréciable pour moi.
J’avais toujours à l’esprit ce que les enfants avaient subi durant la guerre.
Qu’éprouviez-vous à vous consacrer ainsi aux enfants ?
Une grande satisfaction, et un grand bonheur. J’avais toujours à l’esprit ce qu’ils avaient subi durant la guerre. Je n’oubliais jamais ces milliers d’enfants déportés et tués. Cela m’était insupportable. Moi qui ai eu une jeunesse heureuse, formidable, je voulais leur rendre la vie plus douce. C’était normal de gâter un peu ces mômes.
Durant toutes ces années, je ne compte plus les milliers de crêpes que j’ai cuisinées. À chaque colo, on s’attachait à fêter les anniversaires des uns et des autres avec un beau gâteau. C’est comme ça d’ailleurs que je me suis mis à faire de la pâtisserie ! Plus tard, à l’institution de Val d’Isère, mes copains me surnommaient « Mille-feuilles », parce que je faisais beaucoup de gâteaux pour les vacanciers (rires).
En 1971, vous devenez responsable permanent en centre adultes et familles.
En janvier 1971, la CCAS m’a envoyé en urgence à l’institution de Val-d’Isère à L’Aigle Blanc, pour un remplacement. Puis, elle m’y a nommé responsable permanent. Ce changement marque le début d’une nouvelle vie pour moi. J’y suis resté 9 ans, jusqu’en juillet 1980.
Tous les jours et tous les soirs, on proposait des activités et des animations. L’Aigle Blanc était comme une grosse pension de famille. J’ai beaucoup aimé le contact avec mes collègues des Industries électriques et gazières. C’était très enrichissant. Il y a des institutions dans lesquelles les bénéficiaires ne savent pas qui est le directeur… Mais moi, j’étais très présent. C’était important pour les collègues. On ne regardait jamais à la tâche.
Si la CCAS ne m’avait pas demandé de prendre ma retraite, j’y serai encore aujourd’hui (rires) ! Une fois pensionné, j’ai repris du service, en tant que bénévole, l’été dans les centres adultes comme à Aimargues (Gard) par exemple. Et ce jusqu’en 1993. Un sacré parcours tout de même !
Les années ont passé mais cette flamme de fraternité est toujours en moi et ne s’éteindra pas.
Quel souvenir conservez-vous de cette période ?
Les Activités Sociales constituent une grande partie de ma vie. J’ai œuvré pour elles pendant des années… Cela m’a apporté beaucoup de satisfaction : celle d’avoir fait mon travail envers les enfants et les adultes, qui était de faire en sorte que leurs séjours se passent dans les meilleures conditions, pour ce qui concerne l’alimentation et les activités. C’était, je pense, une des branches du programme du Conseil national de la Résistance (CNR).
J’ai eu une vie extraordinaire. Durant des décennies, je n’ai pas pris de congés, j’encadrais les deux mois d’été. Ce n’est qu’à la retraite finalement, que je suis parti en vacances avec la CCAS. Ça a été une chance pour moi de pouvoir encadrer. Dans les Activités Sociales, j’ai fait quelque chose qui me plaisait et que je savais faire : m’occuper des jeunes. Les années ont passé mais cette flamme de fraternité est toujours en moi et ne s’éteindra pas. La vie, c’est l’amitié, la connaissance de l’autre et le respect.
Tags: CCOS Colos Déportation Mémoire Résistance
Jeannot, on parle souvent de toi, de nos escapades au Grand Paradis et de nos heures de discussions ou
nous partagions un rêve d’idéal, de meilleure société. Tes envois de génépi me manquent.. Merci encore
quel personnage ce jean ! je l’ai côtoyé durant plusieurs années alors que j’étais correspondante de la slvie d’Alfortville dans le val de marne
chaque année il venait me voir afin de faire sa demande de vacances à la ccas et en tant qu’ancien déporté il bénéficiait d’un code prioritaire manuel
ses venues dans mon bureau ont été toujours source de longues discussions sur ces engagements , que ce soit en tant qu’ancien déporté et son inlassable et inépuisable engagement pour le devoir de mémoire sur la déportation auprès des lycéens ou à travers ses revues ou dernièrement avec le DVD « la voix du rêve » qu’il m’a si gentiment offert il a quelques mois , mais aussi de son engagement sans faille à la CCAS au service des jeunes d’abord et ensuite des adultes .
Mon parcours professionnel en tant qu’élue de proximité durant de nombreuses années a été enrichi grâce à des personnes comme Jean d’une rare humanité et cela m’a aussi contribué à me construire en tant qu’adulte et aussi en tant que militante . Chapeau bas Monsieur Jean Villeret
Ce témoignage de Jean Villeret ravive mes souvenirs. En même temps que je devenais agent EDF en 1947 je m’impliquais dans les activités sociales et souvent rencontrė Marcel Paul au siège du CCOS. Je n’ai jamais oubliė Bouray sur Juine, les encadrements des colonies ainsi que la première caravane qui fut une très belle aventure en 1948.
Mme Robin Marguerite 94 ans
J’ai connu ce Grand homme et côtoyé. Que du bonheur. Merci Jean.