La journée d’action intersyndicale des hydrauliciens a été un succès. Le mardi 13 mars dernier, ils dénonçaient les conditions de renouvellement des concessions des barrages électriques dictées par la Commission européenne, derrière lesquelles se dissimule une privatisation rampante.
Mardi 13 mars dernier, près de 72 % des 6 000 agent.es hydraulicien.nes d’EDF ont répondu au mot d’ordre de grève de l’intersyndicale (CGT, FO, CGC et CFDT), rejoints par leurs collègues de la Shem (Société hydro-électrique du Midi) et de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), pour dénoncer ce que les fédérations syndicales qualifient de « bradage » d’un bien public, producteur d’énergie propre et renouvelable, acteur incontournable de la gestion de l’eau, au fil des fleuves et au cœur des vallées. Au total, d’ici à 2022, 150 des 433 barrages hydroélectriques français, aujourd’hui exploités par EDF, seront concernés par des renouvellements de concession, renouvellements dont la Commission de Bruxelles et le gouvernement français excluent a priori l’opérateur public.
À Strasbourg, dans le Bas-Rhin, dès le matin du 13 mars, une délégation de 450 hydraulicien.nes venu.es de toute la France et des différents secteurs de cette chaîne de compétence d’excellence était rassemblée devant le Parlement européen. Tous soulignaient avec force le rôle de la filière dans la gestion territoriale des cours d’eau : » Nos réservoirs sont des stocks d’énergie, c’est vrai, soulignait Catherine, cadre hydraulicienne, représentante de la CFE-CGC au comité d’entreprise européen, mais également d’eau, bien d’autant plus précieux que nous entrons dans des bouleversements climatiques majeurs. »
Une dimension de l’activité que partage Thibaut, militant CGT, technicien dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) : « En ce moment, nous sommes en alerte concernant la fonte des neiges, qui sera particulièrement importante cette année. Elle peut intervenir à tout moment, et il faudra assurer les niveaux dans les vallées pour empêcher des crues importantes. » La liste est aussi longue que variée des « compartiments » de gestion de l’eau sur les barrages : irrigation agricole, eau potable, préservation de la faune, activités touristiques, sportives et de loisirs, canons à neige compris, qui constituent autant de missions de service public au bénéfice des territoires et de leurs économies.
Quant à la production d’hydroélectricité, elle représente de 12 à 16 % de la production annuelle d’énergie en France et joue un rôle irremplaçable de sécurisation du réseau à la pointe de la consommation, grâce à sa capacité unique de stockage et à sa rapide disponibilité (3 minutes) sur le réseau.
Sureté nationale et continentale
En 2007, le continent avait frôlé le black-out. L’intervention, entre autres, des barrages français en quelques minutes avait assuré la « reprise » du réseau continental. Des qualités de maîtrise et de rapidité, de surcroît prévisibles, qui en font également un acteur de marché enviable… Dans le domaine des énergies renouvelables, éoliennes et solaires, l’hydroélectricité, énergie verte, constitue l’alternative à l’intermittence des parcs solaires et éoliens. Bref, beaucoup de qualités pour ce parc hydraulique, dont la construction en France est depuis longtemps amortie. « On peut noter qu’EDF a consacré 400 millions d’euros à la maintenance de son patrimoine en 2016 pour 622 barrages. Parallèlement, entre 2011 et 2015, des investissements de 1 milliard d’euros ont été réalisés pour moderniser et optimiser le parc. À ce dernier, il faut également ajouter les 19 barrages exploités par la CNR et les 12 grands barrages de la Shem », notait en 2016 le site l’Energeek.
En fin d’après-midi, les représentants de l’intersyndicale ont franchi les grilles du Parlement afin de rencontrer des élus et dénoncer une directive qui, selon eux, ne semble concerner que la France. « La plupart des autres pays ont réussi à s’en affranchir avec l’accord de la Commission », affirme l’intersyndicale, représentée par Dominique Pani et Yoann Bachelard (FNME-CGT), Fabien Loicq (FCE-CFDT), Jean-Yves Segura (FNEM-FO) et Robert Mancini (CFE-CGC). En France, « le marché de l’énergie est ouvert à la concurrence depuis plusieurs années », soulignaient-ils. Dès lors, comment justifier que l’on exclue a priori l’opérateur public, et ce, alors même qu’il était le « mieux-disant ».
Plusieurs parlementaires se sont engagés à interpeller la commissaire européenne Margrethe Vestager : Nathalie Griesbeck et Dominique Riquet, pour le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, et Olivier Plumandon, attaché parlementaire pour la France insoumise. Le matin même, Édouard Martin (Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen) était venu à la rencontre des manifestants, leur proposant que soit organisé un grand débat public sur le dossier de l’hydraulique.
L’intersyndicale reçue en séance plénière du groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique. À la tribune (de g. à dr.) : Fabien Loicq (FCE-CFDT) et Dominique Pani (FNME-CGT), accompagnés de Yoann Bachelard (FNEM-CGT), Jean Schellinger et Jean-Yves Segura (FNEM-FO) et Robert Mancini (CFE-CGC).
La délégation a ensuite été reçue et auditionnée en séance plénière du groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique : « Nous ne défendons pas une entreprise, affirmait devant une quarantaine de parlementaires Dominique Pani de la FNME-CGT, aux côtés de ses camarades de l’intersyndicale. Mais la conception d’une gestion collective d’un bien commun, l’eau, pour une production de ce que nous considérons comme un autre bien commun, et qui en est issue : l’énergie électrique. »
Le groupe de parlementaires s’est engagé à publier un communiqué de soutien et a proposé à l’intersyndicale de poursuivre les échanges sur ce dossier : « La mise sur le marché et la soumission à la concurrence de ce secteur stratégique, a ainsi affirmé le député français Patrick Le Hyaric, est non seulement illégitime mais inefficace pour répondre à la question de la pauvreté énergétique, qui touche aujourd’hui 12 millions de Français. La transition énergétique ne pourra se faire qu’avec un pôle public de l’énergie ! » Le 13 mars aura évidemment des suites.
Les hydraulicien.nes ont donc largement contribué à remettre les questions du service public et des biens communs dans le débat européen, tout comme le feront les manifestants le 22 mars prochain lors de la journée interprofessionnelle et intersyndicale pour le service public, offrant ainsi une chance à l’Europe de sortir par le haut de la crise qui la traverse, et aux décideurs nationaux d’ouvrir de vrais chantiers de transformations et d’innovations citoyennes.
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