Que faire face à la violence à laquelle les enfants et adolescents sont confrontés sur la Toile ? Rencontre avec Catherine Blaya, auteure de « Cyberhaine. Les jeunes et la violence sur Internet » et ancienne présidente de l’Observatoire international de la violence à l’école.
Y a-t-il un profil type d’agresseur sur Internet ?
C’est toujours difficile d’isoler un profil mais il y a tout de même de grandes tendances. Les agresseurs sont principalement des garçons. Ils sont plus réceptifs que la moyenne aux thèses complotistes. Ce qui explique qu’ils aient aussi une attitude de méfiance à l’égard de la politique en général.
Ils ont également tendance à faire partie de groupes organisés, avec un leader. Cela s’explique par la volonté qu’ils ont d’être respectés et de pallier le sentiment d’isolement ou d’insécurité qui les habite. Leur principale motivation est de donner un sens à leur vie en participant à un projet collectif. Ce sont donc des jeunes qui ont envie d’agir sur le monde qui les entoure. On est loin du cliché de l’adolescent apathique, indifférent à ce qui se passe autour de lui.
Quel conseil donneriez-vous aux parents qui cherchent à protéger leurs enfants ?
Établir des relations de confiance pour faciliter le dialogue est la première des choses à faire quand un jeune est en difficulté. Si on ne le fait pas, on court le risque qu’il se renferme sur lui-même. On n’arrête pas de dire aux jeunes « Tu ne communiques plus, tu es toujours scotché devant ton écran », ce qui est totalement faux.
Non seulement ils communiquent, mais ils surcommuniquent puisqu’ils sont connectés en permanence.
Plutôt que d’être tout le temps dans le jugement, il faut prendre le temps de s’intéresser à ce qu’ils font sur la Toile, même si, à partir d’un certain âge, ils doivent aussi avoir leur intimité. Des sites spécialisés tels que e-Enfance.org sont aussi là pour aider les victimes de harcèlement.
Afin de mieux lutter contre le cyberharcèlement, le gouvernement songe à légiférer pour mettre fin à l’anonymat sur Internet. Est-ce une bonne idée ?
D’abord, il faut rappeler que l’anonymat reste relatif. En cas d’infraction grave, la justice a déjà les moyens – grâce à l’adresse IP – de retrouver la personne à l’origine de messages ou de contenus répréhensibles. Poser un cadre juridique adapté est une bonne chose dans la mesure où cela permet de reconnaître le statut de victime.
Le principal problème, c’est que la frontière entre les propos relevant du public et du privé est floue. Il y a également ce qu’on appelle la « zone grise », terme qui désigne les contenus véhiculant des idées haineuses sous couvert d’humour.
Pour autant, ce n’est pas en légiférant que l’on va réussir à tout résoudre. Ce sujet doit être traité à la fois sur le plan éducatif, au sein de la famille ou à l’école, et sur le plan juridique, en responsabilisant les hébergeurs.
Le fait que l’État veuille contrôler la publication de contenus sur la Toile ne risque-t-il pas d’alimenter les théories complotistes ?
Effectivement, ce risque existe. Mais si on part de ce principe-là, on ne fait plus rien. Il ne faut pas oublier que le complotisme repose sur la paranoïa et la volonté de faire croire aux personnes réceptives à ces thèses qu’elles sont plus malignes que les autres. La mobilisation de la société civile reste essentielle pour lutter contre la propagation de ces discours mensongers.
Faut-il remettre en cause le droit à l’oubli sur Internet ?
C’est une question de responsabilité. Quand on envoie une lettre, le destinataire peut la conserver. Sur Internet, comme dans la vie réelle, on ne peut pas dire n’importe quoi. Cela ne me choque donc pas que l’on puisse retrouver ce qu’une personne a pu publier à un moment donné et quelles pouvaient être ses positions, politiques ou autres.
À lire
« Cyberhaine. Les jeunes et la violence sur Internet »
Nouveau Monde éditions, 2019, 200 p., 17,90 euros.