Paris accueillait le vendredi 25 janvier la 6e Cérémonie des Doigts d’or, autrement appelée Oscars du capitalisme : deux heures de célébration parodique des promoteurs décomplexés du racisme et du sexisme, des champions du cynisme antiécologique et antisocial, des experts de l’accaparement sans limites et des chantres du consumérisme effréné sous toutes ses formes !
Chaque année depuis 2014, une foule de spectateur·rices se rue dans plusieurs villes de France pour assister à la traditionnelle Cérémonie des Doigts d’or, qui récompense les serviteurs les plus zélés du Capital et de la Sainte Croissance. Lors de ces Oscars du capitalisme, le PAP’40 de l’Église de la Très Sainte Consommation, le Cardinal Triple A et ses fidèles remettent cette statuette en or tant convoitée : le Doigt d’or.
« Moi, PAP’40 de l’Église de la Très Sainte Consommation, fils du dieu argent, au nom des ultrariches, je proclame ouverte cette cérémonie des Oscars du capitalisme ! » : c’est par ces mots que « l’aRtiviste » Alessandro Di Giuseppe, directeur artistique de l’Église de la Très Sainte Consommation, soutane immaculée et sautoir doré démesuré au sigle de l’euro autour du cou, couvert de bagues et autres colifichets clinquants prouvant son appartenance à la caste des « élus », a introduit la cérémonie des Doigts d’or 2018.
Il était accueilli sur la scène de la salle Jean-Dame, à Paris, par le coorganisateur de l’événement, Aurélien Ambach Albertini, metteur en scène et fondateur de la Compagnie Triple A, qui avait revêtu sa tenue de cardinal rouge Coca-Cola et sa calotte Ferrari.
Très inspirés par l’image des femmes données dans certains clips musicaux ou à la télévision, les deux compères se sont adjoint les services d’une « Miss Tahiti douche », jeune, fleurie et court-vêtue comme il se doit. Il est entendu qu’elle restera muette, se contentant de sourire et d’obéir aux présentateurs durant toute la cérémonie.
A g., le fameux Doigt d’or, trophée remis par Miss Tahiti Douche et le cardinal Triple A (à dr.).
Pour ce qui est du sexisme, la question aurait pu être réglée… C’était sans compter le Doigt d’or du meilleur mâle, décerné à Jean-Vincent Placé, ancien président de l’Union des démocrates et des écologistes et actuellement conseiller régional d’Île-de-France, qui s’était illustré au printemps 2018 en harcelant une femme dans un bar parisien et en proférant des insultes racistes à l’encontre du vigile de l’établissement. Ce n’est hélas pas lui qui viendra chercher sa récompense mais deux « assistantes », incarnées par Audrey Mallada et Aurélia Tastet, autrices et interprètes de la pièce « Argent, pudeurs et décadences ».
Lesquelles, ayant manifestement bien commencé à fêter la victoire de leur poulain, montent sur scène pour recevoir le trophée et nous livrent quelques confidences sur leurs relations de travail avec l’illustre sénateur. Elles se montrent ravie de la victoire inattendue de « JV », comme elles le surnomment affectueusement.
Il était tout de même en concurrence avec Jean-Claude Vandamme, qui avait tenu des propos homophobes à une heure de grande écoute, avec Jair Bolsonaro, nouveau président d’extrême droite du Brésil habitué des dérapages sexistes, racistes et homophobes, ainsi qu’avec Donald Trump, président américain tout aussi habitué des saillies du même genre.
Ce dernier aurait d’ailleurs pu figurer dans la catégorie suivante, celle de la meilleure réplique, dans laquelle l’unique nommé était Emmanuel Macron, pour son œuvre fleuve, sobrement intitulée : « Le mépris », dont on ne compte même plus les épisodes. Pour recevoir ce Doigt d’or, c’est le nègre du président, créateur des célèbres tirades sur « ceux qui ne sont rien » ou « traverser la rue pour trouver du travail », qui, très ému, s’est avancé sur scène.
Incarnée par l’humoriste belge Alex Vizorek, la plume du chef de l’État s’est donc dite déterminée à persister dans cette voie et même à se surpasser. Les sorties récentes d’Emmanuel Macron, sur le manque de « sens de l’effort » des Français·es lors du fameux grand débat national, tendent à prouver qu’il a tenu parole et qu’il est déjà largement pressenti pour la sélection 2019.
La remise des prix était entrecoupée de séquences Zap d’or, offrant un retour en images sur l’année 2018 et donnant l’occasion au public de se déchaîner. Celui intitulé « 2018, année la plus chaude de l’histoire », durant lequel les présentateurs ont demandé à l’assistance de huer les « mauvais coucheurs » et autres rabat-joie qui, à l’instar de la journaliste Élise Lucet, parlaient de réchauffement climatique, montraient des images terrifiantes de pollution atmosphérique et de catastrophes écologiques : un véritable exutoire.
Autre ambiance, lors du Zap d’or du ruissellement, célébrant la répartition de plus en plus inéquitable des richesses mondiales, avec l’annonce du chiffre (hélas vrai) de 26 personnes disposant d’autant d’argent que les 3,8 milliards les plus pauvres de la planète en 2018 (contre 43 l’année précédente)…
« Industriels, ministres, banquiers ou hommes de média ont cette année encore rivalisé d’inventivité pour que nous, les « premiers de cordée », puissions concentrer toujours davantage entre nos mains cet argent qui est bien trop souvent généreusement distribué à ces hordes d’assistés, ces gens qui ne sont rien, qui n’ont pas le sens de l’effort… autrement dit, les pauvres ! », commente le PAP’40. La salle, complice, exulte, aux cris de « nous sommes tous des fils d’héritiers » ou « sauvons Carlos Ghosn ».
Vient alors, à point nommé, le Doigt d’or du meilleur management. Les candidats nommés ont rivalisé d’inventivité : un robot androïde pour annoncer leur licenciement aux salariés, Pôle emploi qui propose des recrutements à l’aveugle, façon « The Voice », Whirlpool qui congédie ses employés par sms, ou encore Castorama qui, en 2018, a supprimé 446 emplois en France pour les délocaliser en Pologne, tout en demandant aux salariés licenciés de former leurs remplaçants polonais.
C’est la classe absolue de l’enseigne de bricolage qui a remporté l’adhésion du jury et s’est vu décerner le Doigt d’or du meilleur management, récupéré par la comédienne et chroniqueuse Audrey Vernon, rebaptisée pour l’occasion « Lætitia Casse-toi » et requalifiée en DRH cynique, vue sur la scène du festival d’Énergie en 2016 et du 50e anniversaire des Activités Sociales à la Géode en 2014.
Un personnage jubilatoire pour l’auteure du spectacle « Comment épouser un milliardaire », qui nous confiait à l’issue du spectacle avoir été « impressionnée par le travail de documentation réalisé par l’équipe des Doigts d’or », et ravie d’avoir pu ajouter sa touche personnelle au texte qui était prévu pour elle, « avec un clin d’œil complice aux cheminots et autres agents des services publics, qui paient un lourd tribut à la libéralisation à tout crin ».
A g., l’auteure et comédienne Audrey Vernon. A dr., les deux animateurs et fondateurs de la cérémonie.
Audrey Vernon a sans doute été rassurée de constater que les fonctionnaires n’étaient pas oubliés lors de cette cérémonie. En effet, les fonctionnaires (de police) étaient à l’honneur avec le Doigt d’or(dre) de la meilleure bravoure policière : sans grande surprise, c’est Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République au cœur d’un scandale d’État, qui a raflé la mise.
Sur scène pour recevoir le trophée, le professeur de massage de l’ex-garde du corps d’Emmanuel Macron, le filiforme Patrick de Valette, de la troupe des Chiche Capon, a alors proposé à la salle médusée une démonstration de massage relaxant avec option spéciale pour manifestant stressé. Efficacité radicale, voire définitive, assurée !
Comme il est de mise lors de ce genre de cérémonies, le prix le plus prestigieux, L’extrême Doigt d’or, avait été gardé pour la fin. Dans cette catégorie concouraient Emmanuel Macron, pour son rôle dans « Les sentiers de la gloire », Gérard Collomb, pour « Casse-toi, tu pues », Nicolas Ray, pour « Bienvenue chez les Ch’ti nazis », Matteo Salvini, pour « Affreux sales et méchants », Victor Orban, pour « La grande invasion » et Éric Zemmour pour « Intouchable ».
Nous laisserons aux lecteurs le soin de deviner qui a été « récompensé » dans cette catégorie. Sachez seulement que c’est un multirécidiviste… et que c’est sa belle-sœur, « Stef de Morano », qui est venue récupérer le Doigt d’or d’Éric Z. (indice).
Cette dernière a demandé que l’on allume la salle afin de vérifier si elle était suffisamment « de souche », c’est-à-dire blanche, avant d’interpeller certains spectateurs quant à leur prénom. Visiblement, la comédienne de « Virage à droite » s’en est donné à cœur joie, tandis qu’entre rire et malaise certains spectateurs commençaient à avoir hâte de pouvoir enfin rallumer… « leur esprit critique ».
Vous l’aurez compris, la dérision était au menu de cette cérémonie qui s’est déroulée devant une salle comble, composée « uniquement de premiers de cordée », les pauvres « ayant été évacués par la sécurité avant le début des festivités ». On en sort un peu vengé, et surtout éclairé sur les pratiques des « grands » de ce monde, car tous les exemples présentés lors du spectacle ne sont que pure vérité. Étant entendu que rire des injustices n’empêche assurément pas, en même temps, de les combattre.
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