Factures d’électricité et de gaz : les impasses d’un système

Factures d’électricité et de gaz : les impasses d’un système | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 75846 Precarite energetique Facture electricite EDF

©Gérard Bottino/ Shutterstock.com

Comment et pourquoi la hausse des prix du marché du gaz et de l’électricité fait-elle flamber la facture de tous les usagers ? Éléments de réponse avec Fabrice Creste, économiste et consultant du cabinet d’expertise 3 E.

Pourquoi les tarifs réglementés de l’électricité [TRV] sont-ils affectés par la hausse des prix de marché, particulièrement celui du gaz, et font-ils flamber la facture des abonnés ?

Il faut d’abord rappeler qu’autrefois cela n’aurait pas pu se produire. L’ensemble des consommateurs français, particuliers et entreprises, bénéficiaient de tarifs réglementés de vente de l’électricité dont le niveau reflétait les coûts de production d’EDF. Or la production d’EDF est composée pour près de 90 % de nucléaire et d’hydraulique, deux sources d’électricité décarbonées. Avec un tel régime de prix, les Français auraient été presque totalement protégés contre la hausse des prix du gaz et des quotas de CO2.

La Loi Nome de 2010 a été une étape décisive dans le démantèlement de ce régime tarifaire. Cette loi avait pour objectif assumé de faire émerger en France une concurrence avec le service public.

Comment se « construit » aujourd’hui le tarif de l’électricité ?

D’abord, il faut comprendre que les tarifs réglementés de l’électricité pour les particuliers sont conçus, depuis 2010, pour refléter non plus les coûts d’EDF mais les coûts d’approvisionnement des fournisseurs concurrents d’EDF.

Ces coûts d’approvisionnement sont déterminés par une méthode dite de l’ »empilement des coûts », qui consiste à additionner plusieurs composantes.

L’une d’elles est l’ARENH [accès régulé à l’énergie nucléaire historique] qu’EDF doit servir à ses concurrents, soit 100 TWh [térawattheures], dont le prix, inchangé depuis onze ans, est censé refléter les coûts de production d’EDF, même si on en est loin aujourd’hui.

Une autre composante est le complément de l’ARENH, dont la valeur ne correspond pas aux coûts d’EDF mais aux prix observés sur la bourse de l’électricité.

Une composante supplémentaire est apparue depuis 2019, quand la demande d’ARENH des fournisseurs concurrents d’EDF a dépassé le plafond réglementaire de 100 TWh. Désormais, ce volume n’est plus suffisant pour couvrir le besoin en ruban des concurrents d’EDF. La part de ruban manquante est donc achetée sur la bourse de l’électricité.

Ainsi, ces deux dernières composantes font dépendre le tarif appliqué aux consommateurs des prix sur la bourse de l’électricité.

Et que se passe-t-il sur ces bourses de l’électricité responsables de la hausse des tarifs ?

Les causes premières sont à chercher du côté des bourses de l’électricité de la « plaque continentale » formée par l’Allemagne, la France et le Benelux. Les prix de gros de l’électricité se forment sur ces places de marché. Sur cette plaque, les centrales sont appelées par ordre de coût croissant (c’est le principe du « merit order »), et c’est la dernière centrale appelée – la plus chère – qui fixe le prix. En l’occurrence, il s’agit de plus en plus souvent d’une centrale au gaz.

Or, le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des quotas est passé de 25 à 60 euros depuis janvier, ce qui représente une hausse de 140 %. Mais, surtout, sur la même période, le prix du gaz sur les marchés à terme (pour 2022) a été multiplié par plus de deux, passant de 17 à 55 euros par mégawattheure.

Les commentateurs évoquent diverses causes pour justifier cette flambée du gaz : la hausse du prix des quotas de CO2, la reprise de la demande asiatique de gaz ou encore une baisse de la production en Russie. Qu’en pensez-vous ?

En réalité, sur ces marchés de commodités, il est absolument impossible de démêler l’influence des fondamentaux de l’offre et de la demande des effets de la spéculation. Il est évident que certains investisseurs jouent aujourd’hui à la hausse…

Auparavant, les approvisionnements gaziers de l’Europe étaient presque exclusivement assurés par des contrats de long terme, avec des formules de prix destinées à éviter les à-coups violents, comme ceux que nous connaissons actuellement. Par ailleurs, ces contrats étaient négociés sous la tutelle des États, et il y avait donc toujours un interlocuteur pour renégocier les formules de prix en cas de crise – ce qui s’est parfois produit. En revanche, la bourse n’est pas un interlocuteur avec qui vous pouvez négocier.

C’est la Commission européenne qui a œuvré à détruire ce cadre, contre la volonté des États producteurs, pour lui substituer des bourses du gaz ; l’objectif affiché était de faire jouer la concurrence entre les pays exportateurs. La Commission européenne a prétendu nous libérer du pouvoir de marché des pays producteurs de gaz, mais elle nous a inféodés à la spéculation.

La Commission a aussi soutenu le développement du gaz naturel liquéfié, transporté par navires méthaniers, qui permet aux opérateurs gaziers de faire des arbitrages entre différents continents en fonction des écarts de prix sur les différents marchés. Le développement de cette filière a créé un marché mondial du gaz, et c’est pourquoi l’Europe se trouve aujourd’hui prise au piège de la hausse de la demande asiatique.

Il faut noter que, si l’on appliquait les formules des anciens contrats de long terme, le gaz naturel ne connaîtrait pas la flambée actuelle – la hausse des prix du pétrole étant sans commune proportion avec celle du gaz.

D’ailleurs, Vladimir Poutine s’est fait un malin plaisir de le rappeler par la presse aux Européens, aujourd’hui pris au piège du zèle libéral de leurs dirigeants. Du reste, il est assez ironique que certains veuillent faire porter le chapeau de la crise actuelle à la Russie – les mêmes qui ont critiqué le projet Nord Stream 2 ou qui voudraient couper l’électricité à la population de l’île de Jersey.

Quels enseignements tirer de l’épisode que nous traversons ?

Il faudrait d’abord rappeler que cette crise des prix est une crise du modèle libéral des marchés de l’énergie.

À cet égard, les tentatives de la France pour trouver une voie hybride entre libéralisation et prix réglementés, à travers le Tartam [tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché] ou l’ARENH, sont un échec. Il n’est pas possible de s’inscrire dans le cadre libéral européen tout en protégeant les consommateurs et les entreprises françaises contre les flambées spéculatives des marchés de commodités.

Du reste, la priorité des pouvoirs publics, y compris la Commission de régulation de l’énergie, n’est pas de faire bénéficier les Français de la compétitivité du parc nucléaire mais de faire survivre à tout prix les concurrents d’EDF. Au moment où le plafond des 100 TWh d’ARENH a été atteint, c’est bien cette priorité qui a guidé les choix des pouvoirs publics et de la CRE.

Il en résulte une situation incompréhensible pour les Français qui doivent accepter que les prix de l’électricité dépendent des coûts de production d’une centrale thermique allemande, alors que la France bénéficie avec le nucléaire d’un parc compétitif.


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