Avec « Garçon, l’addiction ! 50 poètes en terrasse », le comédien Éric Cénat propose une lecture théâtrale savoureuse et loufoque, à déguster sans modération cet été dans vos centres de vacances.
Le livre. Recueil de 227 portraits littéraires, « Solitudes en terrasse » propose une traversée poétique du XXe siècle en compagnie de poètes français ou étrangers, de passage ou en exil à Paris. À chaque croquis, sa boisson spécifique et son estaminet de prédilection : un calicot, une ambiance élue, un comptoir d’étain et le décor est dressé.
La lecture. Composée de « flashs poétiques » de moins d’une minute, la lecture proposée par Éric Cénat nous invite à la table de ces poètes drolatiques, lunaires ou désemparés, convulsifs, nomades ou taciturnes.
Bio express. Comédien et metteur en scène, Éric Cénat intervient au sein de structures très diverses (Éducation nationale, école de commerce, milieu pénitentiaire…) en France et à l’étranger, notamment en République tchèque avec le Théâtre de l’Imprévu d’Orléans. Avec son complice Patrice Delbourg, auteur d’une trentaine de romans, essais et recueils de poèmes, il a fondé la lectothèque idéale, cycle de lectures indépendantes sur la vie et l’œuvre d’auteurs tels que Desnos, Cendrars, Allais ou Blondin.
« Pour moi, la vision du paradis serait une terrasse de café qui ne finirait jamais. »
Alphonse Allais
Les cafés et les bistrots sont-ils des lieux propices à la création ?
On y est à la fois seul et entouré. Il y a donc dans ces lieux un effet de solitude propice à l’écriture, mais la vie est là, qui bouge autour de soi. De fait, de nombreux écrivains et poètes travaillent dans les cafés et les bistrots. Ce sont des endroits joyeux et profondément tragiques. On y boit plus que de raison, parce qu’on ne veut pas rentrer chez soi, parce que la solitude nous y attend, qu’on n’a pas envie d’aller dormir… Les textes de « Solitudes en terrasse » sont assez drôles, mais expriment aussi un malheur de vivre. Ce qu’expriment ces poètes a un côté universel et intemporel : comment on s’adapte ou non au monde, quels sont les rêves que l’on a atteint ou non.
Les poèmes sont écrits dans un langage argotique et grivois, souvent en hommage aux alcools… Ce spectacle est-il tout public ?
Je dirais que la lecture n’est pas tout public, mais qu’elle ne comporte aucune vulgarité. Les textes de Patrice font ressortir des mots oubliés, qu’on redécouvre à cette occasion. C’est un spectacle poétiquement cru. Mais le public y retrouve des écrivains qu’il connaît ou dont il a entendu parler (Prévert, Desnos, Cendrars, Jacob, Apollinaire) sous un autre jour.
Qu’est-ce qui vous plaît dans la lecture à voix haute de ces textes de Patrice Delbourg ?
J’ai été guidé par une affection sensible et personnelle, donc très subjective, par rapport aux écrits et à la vie de ces poètes. Les auteurs auxquels Patrice rend hommage appartiennent à son paysage intime. Ses poèmes font appel aux sens ; la lecture théâtrale y ajoute la sensualité de la voix et du corps, et crée un rapport très particulier avec le public. À la différence du théâtre, dans les lectures il n’y a pas de décors : cela laisse une grande place à l’imaginaire. Chacun accroche sa propre intimité à un texte ou une lecture. C’est tout l’enjeu et la force de la lecture à voix haute : permettre d’exprimer nos sentiments via les mots d’un autre. Dans les ateliers que j’anime, que ce soit avec des détenus, des professeurs ou des étudiants, celles et ceux dont la confiance en eux-mêmes est désastreuse se révèlent au travers de la lecture. Certains s’emparent même des textes avec une approche qui ne m’avait pas frappé en les lisant.
Pourquoi le recueil ne comporte-t-il aucun texte de poétesse ?
C’est une très bonne question ! Je pense qu’au XXe siècle on trouvait peu d’écrivaines attablées dans ce lieu public qu’est le café, à boire plus qu’il ne faudrait. Disons que ce n’est pas là une « figure » historique et poétique. Aujourd’hui beaucoup de femmes écrivent et existent en poésie, mais au XXe siècle être femme et écrivain vous condamnait à rester dans l’ombre.
Un mot sur la CCAS, que vous connaissez au travers des rencontres culturelles depuis 1993 ?
Les auteurs, lecteurs, comédiens… ne sont pas là pour apporter uniquement une distraction. C’est la force et l’honneur de la ccas que de rendre des univers différents accessibles à ses bénéficiaires, au travers des rencontres et des débats : on boit un verre, on échange sur nos ressentis, autour des livres qui sont sur place. On y apprend beaucoup, de part et d’autre.
A lire, à voir
« Garçon, l’addiction ! 50 poètes en terrasse »
D’après « Solitudes en terrasse », de Patrice Delbourg
éd. Le Castor astral, 2016, 280 p., 18 euros.
À lire dans toutes les bibliothèques des centres de vacances de la CCAS.