Les syndicats anglais misent sur Hinkley Point C : un projet qui créerait des milliers d’emplois et permettrait de combler le déficit énergétique du pays. Reste à lever les incertitudes sur le coût et les délais de livraison.
Hinkley Point va-t-il devenir la centrale modèle de la prochaine décennie ? De l’électricité pour 5 millions de personnes pendant soixante ans, des contrats pour des centaines d’entreprises, des emplois par milliers… Depuis la signature, le 29 septembre 2016, à Londres (Royaume-Uni), du contrat entre EDF, son partenaire chinois CGN et le gouvernement du Royaume-Uni, les milieux économiques et syndicaux britanniques sont en ébullition. « C’est la première fois que nous coulons du béton dans une nouvelle centrale nucléaire au Royaume-Uni depuis près de trente ans », se réjouissait au printemps Nigel Cann, le directeur de ce chantier aux dimensions inégalées.
Avec son parc électrique vieillissant, le Royaume-Uni est au pied du mur. D’ici à 2030, pas moins de 43 centrales (charbon, gaz, fioul et nucléaire) doivent fermer. Soit 40 % de la puissance nationale installée. Dans ce contexte, le projet de construction de deux EPR porté par EDF Energy, la filiale d’EDF outre-Manche, est vu comme une bénédiction. Et pas seulement sur le plan énergétique. Il va permettre de créer des centaines d’emplois dans le comté de Somerset, région rurale du sud-ouest du pays, où les travaux ont commencé à la fin de l’année dernière. Plusieurs centaines d’entreprises britanniques, mais aussi des entreprises françaises et des coentreprises franco-britanniques vont assurer les travaux de terrassement et de déblaiement, construire les routes d’accès, organiser la restauration et l’hébergement des ouvriers.
EDF évalue à 25 000 les emplois créés sur place pendant la période de construction de la centrale. 4 500 autres seraient créés en France. Ensuite, durant la phase d’exploitation (soixante ans), il devrait rester 900 salariés sur le site. Le comté de Somerset ne serait pas la seule région bénéficiaire, assure Kevin Coyne, en charge du secteur énergétique au sein de Unite, le premier syndicat du Royaume-Uni : « Le pays de Galles va fournir beaucoup de métal et les maîtres forgerons de Sheffield, au nord-ouest de l’Angleterre, vont certainement jouer un rôle. »
« Un excellent accord salarial »
Des emplois à la pelle et des conditions de travail prometteuses. Si l’on en croit les trois principaux syndicats du nucléaire, c’est un nouveau modèle qui se dessine à Hinkley Point. Dès 2013, Unite, Prospect et GMB ont signé avec EDF Energy et quelques grandes entreprises un accord-cadre qui pourrait faire date. « Nous avons négocié un excellent accord en termes de salaires, de conditions de travail, d’indemnités maladie, de retraite, de sécurité, se félicite Kevin Coyne. Nous avons aussi obtenu une avancée majeure en matière de lutte contre le faux travail indépendant. C’était un vrai problème sur ce type de chantiers au Royaume-Uni. » Autre motif d’optimisme : l’apprentissage. « Plus de mille apprentis seront formés sur le site, poursuit le responsable syndical. C’est une perspective très positive, car les jeunes que l’on forme aujourd’hui vont pouvoir travailler pendant au moins vingt ans dans ce secteur. »
Selon Alan Leighton, secrétaire national en charge de l’énergie chez Prospect, le syndicat de l’encadrement, l’accord signé avec EDF Energy est effectivement « meilleur, à bien des égards, que l’accord national existant dans la branche construction ». Mais en créant un cadre de négociation à l’échelle d’un projet industriel, et donc en dehors du cadre national habituel, n’est-on pas en train de « saper les bases de cet accord national », s’inquiète le syndicaliste ? Autre sujet d’inquiétude pour Alan Leighton et Kevin Coyne : l’incertitude liée au Brexit et à la sortie de l’Euratom (Communauté européenne de l’énergie atomique), sortie annoncée récemment par la Première ministre Theresa May.
Un investissement hasardeux ?
Au siège d’EDF, le projet Hinkley Point C est présenté comme une référence en termes de sécurité, prélude à la mise au point d’un nouveau modèle d’EPR et au renouvellement du parc nucléaire français. Il suscite pourtant de fortes critiques au plus haut niveau de l’entreprise et de l’État. Ainsi en mars 2016, le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, démissionne, jugeant hasardeux cet investissement évalué aujourd’hui à près de 22 milliards d’euros.
Dans le même temps, l’intersyndicale CGT, CFE-CGC et FO s’inquiète : « Il existe encore trop d’interrogations sur les risques financiers, industriels, contractuels et sociaux du projet. » Dans un communiqué paru le 5 juillet dernier, elle déclare : « Face aux déconvenues du projet Hinkley Point, l’intersyndicale CGT, CFE-CGC et FO demande au gouvernement une véritable vision industrielle pour la filière nucléaire française. » Mais les syndicats britanniques, eux, veulent croire à ce projet. Si les délais sont respectés, le béton du premier réacteur sera coulé à l’été 2019. Pour la mise en service, il faudra attendre au plus tôt 2025.
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