Hura Mirshekari : « En Iran, la protestation des femmes est déjà une victoire »

Hura Mirshekari, artiste iranienne, résidente de l'Atelier des artistes en exil.

Hura Mirshekari, artiste iranienne, résidente de l’Atelier des artistes en exil. ©Stéphanie Boillon/CCAS

Accueillie l’an dernier en résidence artistique au centre de Savines-le-Lac, dans le cadre du partenariat de la CCAS avec l’Atelier des artistes en exil, Hura Mirshekari, plasticienne et performeuse iranienne de 37 ans, livre sa vision des luttes pour les droits fondamentaux qui soulèvent son pays depuis plusieurs mois.

Comment avez-vous réagi à la mort de la jeune Mahsa Amini, frappée par la police pour avoir mal porté son voile ?

Hura Mirshekari : La mort de cette belle jeune fille m’a beaucoup attristée, parce qu’elle avait plein de rêves, qui sont morts à cause du régime actuel. Mais lorsque les autres femmes sont descendues dans la rue pour protester contre ce crime, j’ai été fière d’elles. Ce qu’elles ont fait représente déjà une victoire. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini en 1979, les femmes subissent toutes sortes de restrictions : aujourd’hui elles ont pu se révolter pour revendiquer leur liberté. Et c’est une très bonne chose que les hommes soient venus les soutenir dans la rue, ce qui est nouveau.

Mon objectif : leur montrer à travers mon art qu’il est possible pour les jeunes filles de se libérer.

En quoi ce mouvement diffère-t-il de ceux de 1999, 2009 et 2019 ?

Le mouvement actuel est plus puissant que les précédents, car les Iraniens et les Européens sont unis aujourd’hui. De plus, tous les Iraniens le soutiennent : ils voient ce qu’est la réalité de ce régime terroriste. Avant, tout le monde n’en avait pas forcément conscience. Aujourd’hui, chaque famille iranienne a perdu dans ces manifestations un fils, une fille, qui sont morts ou en prison. Les parents des enfants emprisonnés espèrent les voir libérer mais ils sont souvent appelés pour venir chercher leur corps… et les enterrer. Les gens voient que ce gouvernement est prêt à tout, y compris tuer des enfants, pour conserver le pouvoir.

Une autre différence, c’est que maintenant chaque citoyen peut filmer ce qui se passe, la répression du régime, et que tout le monde peut voir les vidéos sur les réseaux sociaux. C’est un nouveau chemin qui s’ouvre, un mouvement qu’on ne peut pas arrêter. Nous disons : assez ! Nous voulons une vie normale. Ce mouvement nous donne de la force, une énergie positive. Cette génération est plus libre que la mienne, car nous lui avons expliqué ce qu’était la liberté et pourquoi elle ne devait pas accepter les restrictions imposées. Lorsque j’ai posté des vidéos de mes performances [sur les réseaux sociaux, ndlr], des jeunes filles m’ont écrit pour me féliciter ! Voilà mon objectif : leur montrer à travers mon art qu’il est possible pour elles de se libérer.

Que vous disent de la situation votre famille ou vos amis toujours en Iran ?

Toute ma famille et certains de mes amis sont restés dans ma région, le Sistan-et-Baloutchistan [région du sud de l’Iran, ndlr]. Eux aussi sont allés manifester ; et les contrôles de police se sont renforcés. Maintenant, ma famille a peur de me parler. Nous effaçons tous les messages immédiatement après les avoir écrits. Un jour, j’ai publié sur ma page le message d’une amie qui parlait des événements actuels. Deux heures plus tard, elle m’a demandé de retirer son nom du post, parce que c’était trop dangereux pour elle. Beaucoup de gens savent ce qui se passe, voudraient le dire, mais préfèrent se taire parce qu’ils ont peur.

J’ai choisi de m’exprimer par l’art pour casser ces murs qui m’emprisonnaient.

Variations autour du corps féminin. Dans l’atelier de Hura Mirshekari à l’Atelier des artistes en exil, à Paris. ©Hura Mirshekari (huramishekari.fr) et Stéphanie Boillon/CCAS

Vous avez vécu en Iran jusqu’en 2016. Parlez-nous de ces restrictions de liberté qui vous étaient imposées.

Le Sistan-et-Baloutchistan est une région très religieuse, dont la culture est proche de celle de l’Afghanistan : les restrictions imposées aux femmes sont encore plus fortes que dans le reste du pays. Leurs activités sont contrôlées d’abord à la maison, par le frère, le père : par exemple, j’avais interdiction de sortir, je devais me contenter de faire la cuisine etc. J’ai choisi de m’exprimer par l’art pour casser ces murs qui m’emprisonnaient. Il y a aussi de nombreux mariages forcés : avec le cousin, le fils du cousin, etc. Les femmes qui se marient passent sous le contrôle de leur époux. Lorsque je me suis mariée, c’était la première fois qu’une union avait lieu entre deux familles différentes. Et moi, j’ai choisi mon mari.

Qu’est-ce qui vous a poussée à quitter le pays ?

Tout d’abord, je suis une femme, artiste qui plus est. Le régime ne comprend pas mon travail et il est beaucoup trop compliqué de le lui expliquer. Par ailleurs, je travaille sur le corps féminin, ce qui est interdit. À travers mes collages, j’ai commencé à travailler uniquement sur le visage des femmes, sur le thème du masque, pour éviter les problèmes avec le régime. Et malgré cela, avant chacune de mes expositions, la police venait vérifier le contenu de mes tableaux. Parfois, ils me disaient également : « Tu peux exposer ce tableau, mais en ajoutant de la peinture ici ou là pour cacher telle ou telle partie. » Ils imaginaient des parties du corps féminin là où il n’y en avait pas ! J’ai donc décidé de partir. Mais, même après mon arrivée en France, mon travail est resté très difficile, parce que j’avais fini par intérioriser la censure que je subissais dans mon pays.

En France, je peux exprimer la douleur que m’inspirent les restrictions imposées aux femmes là-bas.

En soutien au mouvement actuel, Hura Mirshekari a reposté il y a quelques semaines sur Instagram la vidéo de cette performance réalisée en 2019. Le texte qui l’accompagne, écrit par son époux, le sculpteur Mehdi Yarmohammadi, évoque l’emprisonnement des femmes dans la société iranienne, y compris par le hijab.

En quoi les événements actuels ont-ils influencé votre art et comment soutenez-vous ce mouvement depuis la France ?

Mes œuvres parlaient des restrictions qui touchent les femmes iraniennes bien avant les manifestations actuelles. Mais mon art a évolué depuis que je suis arrivée en France : j’ai compris que je pouvais faire tout ce que je voulais – des performances, des installations artistiques, de la musique – parce que j’ai réalisé ce qu’était la liberté. Je peux exprimer la douleur que m’inspirent les restrictions imposées aux femmes là-bas, leur propre souffrance, et leur apprendre à dire non. Mes performances parlent davantage aux Européens à la lumière des événements actuels. Elles sont un moyen direct de m’adresser aux gens et ils comprennent tout de suite ce que j’ai au fond du cœur.

Par ailleurs, j’enregistre actuellement un album de chansons dans ma langue maternelle, le sistani, qui est différente de la langue perse, et qui a quasiment disparu. Dans l’histoire de cette région, aucune femme n’a jamais été autorisée à chanter. L’Atelier des artistes en exil, conscient de la nécessité de conserver une trace de cette langue avant qu’elle ne disparaisse, m’a accordé une bourse pour enregistrer cet album, sur lequel je travaille depuis un an. Ainsi, je peux à la fois montrer au monde qui nous sommes et d’où nous venons, et porter la voix des femmes du Sistan-et-Baloutchistan. J’ai également participé au grand concert donné au Trianon [théâtre parisien qui a organisé une soirée de soutien au peuple iranien en décembre dernier, ndlr]. J’ai chanté une chanson pour lui donner espoir. Nous étions tous unis sur scène – Américains, Européens, Iraniens, Afghans… – pour que notre voix soit plus forte.

Que pouvons-nous faire aujourd’hui en France pour aider les Iraniens dans leur combat ?

Les journalistes peuvent nous aider, mais aussi n’importe quel citoyen en parlant sur les réseaux sociaux de ce qui se passe. Et parce qu’ici nous sommes libres, chaque Français peut comme moi aider les Iraniens, amplifier leur voix [en Occident, ndlr], et faire comprendre au monde que l’Iran est un régime dictatorial. Je ne suis pas politique, mais je pense aussi que votre pays peut boycotter l’Iran, toutes ses activités, le commerce, toutes les personnes qui travaillent pour ce régime. Cela rend la vie plus difficile pour le peuple iranien, mais c’est nécessaire pour que les choses changent.

Si le régime est renversé, envisagez-vous de rentrer dans votre patrie d’origine ?

C’est mon rêve. Comme celui de tous les réfugiés politiques iraniens ici, mais je ne sais pas encore ce que je vais faire. Si la révolution réussit, il y aura encore beaucoup à faire en Iran : des réformes économiques, politiques… Et ensuite seulement, je pourrai envisager de rentrer.


Pour aller plus loin

Site internet de Hura Mirshekari : huramishekari.fr

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