Depuis la crise financière de 2008, la société civile a pris l’habitude d’exprimer son rejet des dénis de démocratie. Les Islandaises ont (presque) obtenu l’égalité salariale et dénoncent les violences faites aux femmes.
Les photos de la place Austurvöllur envahie par la foule, face au Parlement de Reykjavik, ont plus d’une fois fait la une des médias internationaux. Elles incarnent une crise politique profonde déclenchée par le krach des trois principales banques du pays en 2008, plongeant quasiment toute la population dans une tempête financière sans précédent. Par référendum, 93 % des Islandais refusent alors de payer la dette contractée par ces banques lors de mauvaises transactions auprès d’organismes bancaires de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. En octobre 2016, neuf banquiers sont condamnés à quarante-six ans de prison cumulés par la Cour suprême de Reykjavik.
Les manifestants prennent l’habitude de venir tous les samedis exprimer leur colère, armés d’ustensiles tonitruants. Depuis cette révolution des casseroles et en dépit d’une remontée économique notable (taux de chômage à 3 %, boum touristique…), la tolérance populaire face aux promesses non tenues, aux scandales ou à la corruption n’est plus de mise. En avril 2016, les révélations des Panama Papers ont rassemblé 22 000 personnes à Reykjavik, soit 10 % de l’électorat.
En octobre dernier, les électeurs étaient appelés à renouveler leur Parlement pour la cinquième fois depuis 2007 : un énième scandale a mis en cause une nouvelle fois un Premier ministre. Preuve que cette crise de confiance n’altère pas l’intérêt pour l’exercice de la citoyenneté : la participation électorale a atteint 81,2 % !
Repenser la relation État-citoyens
À la faveur de ces mouvements citoyens désireux de changer le système, le parti Pirate s’est distingué dès 2012 en prônant plus de transparence et en fustigeant la professionnalisation des politiques. Avec, en figure de proue, Birgitta Jonsdottir, les Pirates (qui ne se réclament ni de la gauche ni de la droite) revendiquent l’adoption d’une nouvelle Constitution. Participative et très innovante, elle a été rédigée en 2010 par un panel de citoyens élus parmi la société civile, mais sa mise en oeuvre a été empêchée jusqu’ici par de nombreux obstacles. « Cependant et peut-être paradoxalement, le débat public sur le projet a suscité une sorte de processus de guérison pour la société de l’après-krach, relate sur son site l’universitaire et écrivain islandais Eirikur Bergmann. Un grand nombre de gens ont en effet contribué à l’espoir d’une Islande ressuscitée et réformée. L’exercice en lui-même a certainement entraîné un regain d’attentes en matière de participation citoyenne dans les prises de décision à l’avenir. »
Double combat pour les femmes
Les femmes, elles, mènent un double combat. « Depuis très longtemps déjà », souligne Marianna Traustadottir, en charge des questions d’égalité et d’environnement à la Confédération islandaise du travail. Cette syndicaliste rappelle que les Islandaises « ont obtenu le droit de vote en 1915 et qu’en 1975 elles ont totalement paralysé l’activité de l’île une journée entière pour protester contre leur faible représentation politique malgré leur contribution à l’économie à travers le travail payé et non payé ». Elle précise : « Le mouvement syndical et celui des droits des femmes ont toujours travaillé ensemble, c’est cette participation qui a fait notre succès. Nous avons lutté pour obtenir ce que nous avons. Les jeunes générations doivent aussi rester vigilantes. »
Même si l’Islande se situe aujourd’hui en tête des pays les plus respectueux à l’égard des droits des femmes, des écarts de salaire de 15 % étaient rapportés en 2017 (un meilleur ratio qu’en Grande-Bretagne ou en France…). « Votée en 2017, une loi obligera dès 2018 les entreprises de plus de 25 salariés à appliquer la parité sur les salaires par le biais d’un certificat. » L’Islande devient le premier pays au monde à légiférer concrètement sur cette question. « Mais cela ne suffira pas à augmenter les salaires des professions où les femmes sont majoritaires, comme le soin ou l’éducation des enfants », reconnaît Brynhildur Heiðar-og Ómarsdóttir, à la tête de l’Association islandaise de défense des droits des femmes, ajoutant que la violence et le harcèlement sexuels envers les femmes restent le grand challenge de nos sociétés.
#Höfumhatt
Ces dernières années, de nombreux groupes de femmes ont commencé à l’évoquer peu à peu sur les réseaux sociaux. C’est de ce pays (où 96 % des adultes utilisent Facebook) qu’est parti, en juillet 2017, le hashtag #höfumhatt « prenons la parole », quelques mois avant le #metoo. « Depuis, de nombreux groupes professionnels se sont constitués pour témoigner. En novembre, par exemple, 306 femmes politiques ont signé une déclaration sur le harcèlement et la violence sexuelles à l’oeuvre dans l’univers politique, demandant aux hommes de prendre leurs responsabilités. Des initiatives similaires (qui relatent des histoires anonymes) émergent du monde de la culture, de la justice, des sciences… »
Dimanche 10 décembre, dans plusieurs lieux de l’île, des femmes (et des hommes) se réunissaient pour des lectures publiques d’histoires déjà publiées sur les réseaux. Parmi elles, Katrin Jakobsdottir, 41 ans, nommée, en novembre dernier, Première ministre du pays.
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