Avec son documentaire « Comme des lions » (2016), Françoise Davisse nous propose une plongée revigorante dans le monde des débats (constructifs), des manifestations (joyeuses), des AG (studieuses) et des piquets de grève (fraternels). Nous avons rencontré la réalisatrice dont le film ouvrait le 14e festival Visions sociales le 14 mai dernier à Mandelieu-La Napoule (Alpes-Maritimes).
Quel était votre but en commençant à filmer ce mouvement ?
J’avais une raison de fond et une autre de forme. Sur le fond, on était avant les élections Sarkozy-Hollande, un moment sans alternative où tout le monde se disait « les luttes, ça ne marche plus » et se demandait ce qu’il était possible de faire. Je me suis dit qu’il fallait montrer de l’intérieur ce qu’était une bagarre. Du coup, lorsque les syndicalistes de PSA d’Aulnay-sous-Bois ont annoncé le plan secret*, je me suis dit : « C’est le bon endroit. » Je me souvenais qu’en 2005 et 2007 ils avaient fait une grève assez offensive pour obtenir 300 euros d’augmentation, l’embauche de tous les intérimaires, etc. Je savais qu’ils étaient combatifs. Je ne voulais pas filmer ce qui a déjà été fait : des gens qui sont un peu dos au mur et qui deviennent des victimes. Pour la forme, je voulais des séquences de « vraie vie » avec des dialogues, que les gens existent par eux-mêmes, sans commentaire. Et pour cela, il faut prendre le temps de filmer. On disait que ce « plan secret » allait durer deux ans, j’avais le temps d’être dans cette forme cinématographique.
Du coup, avec ce temps long, on perçoit très bien comment la communication de la direction parvient à manipuler l’information avec le relais de certains journalistes…
Il y a effectivement deux fils conducteurs dans mon film : celui du mensonge, mis en place par une direction dont les membres sont des habitués de la gestion des conflits sociaux ; autrement dit de la fermeture des usines. Les médias suivent ce fil en reprenant les dépêches de la direction assez régulièrement mensongères. Mais cela ne semble poser de problème à personne : l’important, c’est de communiquer, de sortir des éléments de langage pour contrer ce qui va se passer dans un CCE, dans une manif, etc. C’est ensuite repris tel quel dans l’urgence (et une urgence qui dure) par beaucoup de journalistes. De l’autre côté, face à cette construction mensongère assez implacable, se construit peu à peu une démocratie assez moderne, celle de l’intelligence ouvrière, des débats entre grévistes, syndicalistes, qui permet aux gens de développer leur pensée pour décider collectivement.
On voit très peu de femmes dans le film. Qu’avez-vous perçu de leur place dans ce monde très masculin ?
Du côté de la direction, le monde du pouvoir, il n’y a pratiquement que des hommes. De l’autre, les grévistes sont principalement des hommes ; dans les ateliers, il y a 10 % de femmes. Le personnel des bureaux n’était pas dans le combat. Ce que j’ai ressenti, c’est que le conflit place tout le monde dans l’égalité. Qu’il s’agisse de différences raciales ou de différences de sexe, il y a une relation fraternelle d’êtres humains qui se rencontrent sans jugement de valeur.
Comment filmez-vous ?
Seule avec ma caméra. J’ai voulu faire un film sur la rencontre… à hauteur d’hommes. Le résultat serait sûrement différent s’il y avait une équipe.
On dirait que le travail, le chômage sont en train de revenir au cœur des préoccupations du cinéma ?
C’est vrai que, depuis les années 1960, le monde ouvrier a disparu des écrans. C’est dommage parce qu’on faisait de super bons films. Du point de vue de la production et aussi parfois du public, on considère que c’est un milieu anxiogène, trop triste. En réalité, on confond leur souffrance, ce qui leur arrive, et eux. Je pense – et je crois que je ne suis pas la seule – que le milieu populaire n’est pas triste. Je suis de Seine-Saint-Denis, c’est le département le plus jeune de France. Qu’ils soient au chômage ou au boulot, ce sont les plus jeunes de France. On ne peut pas tout le temps se représenter le monde ouvrier comme un monde de victimes en train de disparaître. Alors oui, peut-être qu’il y a une envie en France de retrouver un nouveau souffle, avec cette énergie ouvrière au centre…
* En juin 2011, une note confidentielle de la direction de PSA Peugeot Citroën, révélée par le syndicat CGT, prévoit notamment la fermeture de deux sites employant 6 400 personnes, celui d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et celui de Sevelnord (Nord).
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