Anthropologue des usages des technologies de l’information et de la communication, Pascal Plantard est directeur de recherche à l’université Rennes-II Haute-Bretagne.
Parle-t-on encore de fracture numérique ?
La terminologie renvoie à une vision totalitaire du numérique prônant l’idée que l’on va équiper 100 % de la population pour numériser 100 % des activités. C’est impossible. Le pays le plus équipé du monde, la Corée du Sud, l’est à 90 % avec un taux incompressible de 10 %.
En France, où nous sommes entrés dans ce que j’appelle « la banalisation de l’Internet fixe », le taux plafonne à 84 %. Les 16 % restants ont d’autres positions ou des besoins particuliers. Il peut s’agir de personnes du 4e âge qui ont d’autres problèmes que celui d’être connectées, ou bien de jeunes militants de la déconnexion volontaire assimilant les technologies numériques au capitalisme triomphant. Dans les quartiers en difficulté, il reste aussi des exclusions éminemment différenciées.
Où résident les inégalités ?
Pas tant sur les questions de matériel que sur les usages, très différenciés. Globalement il y a plutôt des politiques nationales quantitatives technocentrées, alors qu’il faudrait faire du qualitatif au plus près des territoires.
Est-ce que le numérique favorise la transmission de savoirs ?
Depuis plusieurs dizaines d’années, l’accès au savoir est simple pour les classes supérieures, il se complexifie lorsque l’on descend dans les classes populaires, ou au sein des populations privées d’emploi, en situation de handicap, etc. D’où l’enjeu essentiel de la médiation numérique. C’est ce que font les bibliothécaires, les animateurs jeunesse lorsqu’ils montent des ateliers Internet ou bon nombre de dispositifs de formation ou de reconversion des adultes.
Le numérique nous invite-t-il à revisiter notre rapport aux autres ?
Les technologies numériques ont trois pouvoirs. Le pouvoir de renforcement – sous-entendu des représentations – lié aux imaginaires négatifs du numérique et qui entraîne une vraie difficulté à avoir des points de vue distanciés. Il faut prendre position, être pour ou contre. Le pouvoir de dévoilement : les pratiques numériques dévoilent beaucoup plus d’informations qu’avant. L’état d’un territoire, le parcours d’une personne, l’état de son capital social et culturel, etc. Enfin, troisième pouvoir : celui du lien, du potentiel de sociabilité. C’est le côté lumineux : partage de savoirs, village planétaire, cyberdémocratie, etc. Ce potentiel est très important, surtout chez les jeunes. Mais il peut générer là aussi des inégalités.
Nos recherches sur les réseaux sociaux montrent que ce qui manque à certains jeunes, c’est tout simplement la maîtrise des codes sociaux et des modes de communication de base. Par exemple : dire bonjour ou au revoir est un code social important. Ce qui pourrait être un conflit de communication ordinaire dans la vie courante peut vite dégénérer sur Internet en acte de violence, de harcèlement… Ce potentiel de lien se retourne alors contre vous. Comme on a beaucoup de mal à déconnecter, cela peut prendre une ampleur considérable. Alors oui, certains bénéficient d’une « sociabilité augmentée », alors que d’autres font face aux décalages, aux exclusions et aux isolements.
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