Le coup de force

Le coup de force | Journal des Activités Sociales de l'énergie | histoire 60 ans CCOS1024 1

Rassemblement d’ agents parisiens lors de la dissolution du CCOS en 1951©dr

Le 20 février 1951 vers 23 h 30, la police fait irruption dans les locaux parisiens du Conseil central des œuvres sociales (CCOS) d’EDF-GDF. L’instance, créée par la loi de nationalisation de 1946, est dissoute manu militari, après l’avoir été juridiquement quelques jours auparavant. Comment en est-on arrivé là?

L’événement est l’aboutissement de mois de tensions, qui ne se comprennent que par un retour en arrière. La loi de nationalisation du gaz et de l’électricité, dont l’article 25 prévoit qu’au moins 1% du chiffre d’affaires d’EDF et de GDF ira aux œuvres sociales du personnel (qui les administre), a été votée dans le contexte politique de la Libération. Communistes, socialistes et démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) forment alors un gouvernement tripartite, qui œuvre à appliquer le programme progressiste adopté par le Conseil national de la Résistance. Cette unité éclate en mai 1947, avec le départ des ministres communistes du gouvernement. C’est le début de la guerre froide, période d’une extrême polarisation de la vie internationale, politique et syndicale. Les anciens alliés de la Libération s’affrontent. La dissolution du Conseil central des œuvres sociales (CCOS) est une petite bataille dans cette grande guerre.

La loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, portée par Marcel Paul, alors ministre de la Production industrielle, avait été adoptée en 1946 par 491 voix pour, 59 contre, 23 députés refusant de participer au vote. Parmi ces derniers, Jean-Marie Louvel, député MRP du Calvados, ingénieur polytechnicien, qui était avant-guerre un important dirigeant de l’industrie électrique privée. Ce même Louvel, qui n’a au fond jamais accepté la nationalisation, devient le 7 février 1950 ministre de l’Industrie et du Commerce. Sa nomination, perçue comme un affront par les électriciens et gaziers, n’est pas pour rien dans l’éclatement au mois de mars d’une grève portée par des revendications salariales. Elle dure dix-sept jours, ce qui en fait la plus longue de l’histoire de la profession, et se termine par un accord séparé entre le gouvernement et Force ouvrière (FO a été créée en 1948, à la suite d’une scission de la CGT), la CFTC et l’UNCM (Union nationale des cadres et de la maîtrise, membre de la CGC). Aux élections du CCOS de 1949, ces trois organisations avaient obtenu respectivement 14,2%, 12,7% et 4,7% des suffrages, le reste allant à la CGT.
Or, la CGT, dont les liens avec le Parti communiste (PCF) se sont encore renforcés avec le départ d’une partie de ses militants socialistes ou anarcho-syndicalistes vers FO, a fait du CCOS une place forte. À sa création, en 1947, les militants syndicaux l’ont administré, sous la direction de Marcel Paul, à la fois président du CCOS et de la Fédération CGT de l’éclairage (les Activités Sociales des anciennes entreprises privées étaient jusqu’alors gérées par leurs directions). En 1949, l’introduction de la proportionnelle aux élections a fait entrer au conseil d’administration des élus FO, CFTC et UNCM, mais la CGT y reste majoritaire (17 élus sur 25). Le CCOS est la vitrine du projet social de la CGT; et c’est bien à ce titre que Jean-Marie Louvel s’y attaque.
Par un décret publié le 10 octobre 1950, le ministre fait éclater le CCOS en 48 Conseils régionaux d’œuvres sociales. Ces derniers recevront le 1% prévu par le statut mais avec de nouveaux contrôles par les directions d’EDF et GDF, qui en enlèvent de fait la gestion aux salariés. Le personnel employé par le CCOS et qui n’est pas détaché par EDF et GDF (la majorité des 426 salariés) devra être licencié avant le 31 décembre 1950.

Le décret a tout de la déclaration de guerre. Unanime, le conseil d’administration du CCOS refuse de se plier à l’injonction de licencier le personnel non statutaire et réaffirme son attachement à l’œuvre sociale entamée en 1947. Mais, en coulisses, le front syndical est loin d’être uni. Lors de son congrès fédéral d’octobre 1950, FO a réclamé «la décentralisation de ce monstre bureaucratique qu’est le CCOS», s’inquiétant de l’existence en son sein d’un «paternalisme d’une forme nouvelle mais à [ses] yeux tout aussi odieux [que celui des sociétés privées d’avant la nationalisation, ndlr] puisque, à nouveau, on utiliserait les œuvres sociales […] dans un but beaucoup moins louable de propagande». La CFTC se demande pourquoi l’injonction de n’employer au CCOS que des personnels au statut, qui date de 1948, a été ignorée par la direction CGT. L’UNCM pointe les difficultés que soulève la triple casquette de Marcel Paul, à la fois président du CCOS et de la Fédération CGT de l’éclairage, et dirigeant du PCF: «La réunion dans un seul homme du premier et du dernier des trois aspects ci-dessus aurait nécessité un cloisonnement interne imperméable pour échapper à toute critique.»
Ces divisions syndicales sont connues du gouvernement. Prudent, le ministre Louvel laisse passer les élections des Caisses mutualistes complémentaires d’action sociale (CAS)1, qui ont lieu le 25 janvier 1951 en province et le 15 février en région parisienne. La CGT y perd près de 5 points. Le 17 février, constatant que les licenciements qu’il avait ordonnés n’ont pas été faits, le ministre prend un décret de dissolution du CCOS.
Dans la nuit du 20 au 21 février, peu avant minuit, la police surprend les trois militants de garde dans les locaux du CCOS, au 22, rue de Calais à Paris, saisit les archives et s’empare des lieux. Un nouvel épisode de la vie des Activités Sociales s’engage.

1 Ce sont les ancêtres des CMCAS.

Le coup de force | Journal des Activités Sociales de l'énergie | Brochures CCOS de 1951 1

Couverture d’une brochure de 1951 ©DR

Tags:
0 Commentaires

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Votre commentaire est soumis à modération. En savoir plus

Qui sommes-nous ?    I    Nous contacter   I   Mentions Légales    I    Cookies    I    Données personnelles    I    CCAS ©2024

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?