Trente ans après la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant (Aide), le combat pour faire vivre ce traité reste entier, pour Marion Libertucci. Pour la responsable plaidoyer et expertise au sein de l’Unicef en France « les droits de l’enfant doivent rester une priorité dans les politiques nationales ». Entretien.
Quel est votre regard sur la portée réelle d’un traité signé il y a trente ans ?
Avec 195 États signataires, c’est le traité relatif aux droits humains le plus largement ratifié de l’histoire. C’est une certitude, cet accord international a considérablement amélioré la vie des enfants. En effet, depuis 1990, les décès d’enfants de moins de 5 ans ont non seulement baissé de plus de 50 %, mais la proportion d’enfants sous-alimentés a également presque diminué de moitié. Le constat est certes très encourageant quant aux progrès déjà réalisés, mais il est loin d’être suffisant et des millions d’enfants sont encore laissés pour compte : 262 millions d’enfants et de jeunes sont déscolarisés, 650 millions de filles ont été mariées avant l’âge de 18 ans, un enfant sur quatre vivra dans une région où les ressources en eau seront extrêmement limitées d’ici à 2040… Et que dire du droit à la protection, quand 420 millions d’enfants vivent encore dans une zone de guerre ?
À ce titre, la convention vise implicitement à homogénéiser les pratiques dans un monde où l’éducation, les coutumes, la culture de chaque pays sont différentes, et où la situation économique et politique est mouvante. N’est-ce pas là un paradoxe ?
Non. Mais c’est effectivement la plus grosse des difficultés. À nous de montrer aux États que plus les droits des enfants sont respectés, plus l’éducation sera au centre des priorités, plus le bénéfice pour le pays sera réel, quelle que soit la situation. De toute façon, nous devons appréhender les changements auxquels sont confrontés les enfants aujourd’hui, qui étaient inimaginables pour ceux de 1989, quand la convention a été signée. Changement climatique, urbanisation rapide, augmentation des inégalités, nombre d’enfants en déplacement plus important que jamais, à la recherche de sécurité et d’une vie meilleure… Mais aussi développement rapide des technologies de l’information, permettant aux enfants de s’informer sur le monde et de s’exprimer, mais constituant également une menace pour leur sécurité. Alors si le monde évolue, l’enfance avec. Et nous devons évoluer avec elle.
Qu’en est-il de la situation en France ?
Ce qui inquiète, en France, c’est qu’il n’y a pas de politique globale autour de l’enfance. Pour preuve, nous avons du mal à avoir des données sur l’enfance… ce qui montre la façon dont le gouvernement s’empare du sujet. Il y a un manque de discernement de la part des autorités sur cette question qui reste invisible et qui a besoin d’être mise en exergue, ce que l’on s’attelle à faire. Malgré la baisse de moyens sur le terrain et l’émergence de nouvelles formes de précarité, de pauvreté. Mais il ne faut surtout pas être fataliste !
Concrètement, y a-t-il une crainte de la part des États signataires d’être sanctionnés pour non-respect de la convention ?
Clairement, ce texte ne suffit pas à empêcher les violations. Mais il sert à pointer du doigt les États qui ne le respectent pas, lesquels ont peur d’être stigmatisés. Ce qui nous permet d’entreprendre par la suite des actions et d’obtenir certains accords…
Pour les 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, qu’avez-vous prévu ?
En ce 30e anniversaire, Unicef France se mobilise pour rappeler que les droits de l’enfant doivent rester une priorité dans les politiques nationales. Il s’associe ainsi à la dynamique « De la Convention aux actes », inédite, puisqu’elle regroupe plus de trente associations, ONG et collectifs, pour parler d’une seule voix et faire entendre celle des enfants. Ensemble, nous avons rédigé 12 actes d’où émanent 65 propositions concrètes destinées à améliorer la vie des enfants et qui seront remis au gouvernement le 20 novembre prochain.
Plus symboliquement, Unicef France, en partenariat avec le Centre des monuments nationaux et les Villes amies des enfants, illuminera la France en bleu, le mardi 19 novembre à 19 heures. À la veille de la Journée mondiale de l’enfance, partout dans l’Hexagone, des monuments et des mairies arboreront le bleu Unicef, pour rappeler que l’engagement pris il y a trente ans doit être renouvelé. Que les menaces pesant sur les enfants doivent être transformées en opportunités. Que nous ne pouvons bâtir un avenir plus durable sans investir en faveur de ceux à qui il appartient.
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