Le « made in France » n’est pas mort, comme le prouvent Les Atelières. Cette coopérative créée par d’anciennes couturières de Lejaby vise un seul but: redonner vie à une conception du travail et à un savoir-faire menacés d’extinction.
Bleu, blanc, rouge. Sur le mur, devant l’accueil, une cocarde annonce la couleur. Au bout du couloir, dans une lumière blanche, un atelier rempli de machines à coudre. L’atelier des Atelières. Assis autour d’une grande table carrée, quatre jeunes femmes et un jeune homme, concentrés sur leur tâche. Entre leurs mains, des culottes et des soutiens-gorge. « Vous avez vos mesures ? » Penchée au-dessus de leurs épaules, Nicole Mendez, d’une voix douce, échange quelques mots avec le groupe et vérifie que tout se passe bien. Cette syndicaliste, entrée à la CFDT en 1979, est le pivot de la Scic Les Atelières. Elle est l’une des fondatrices de cette coopérative à intérêt collectif née le 13 janvier dernier, à Villeurbanne, en banlieue lyonnaise. Un des symboles, surtout, de la lutte des ouvrières du textile pour la défense de leur emploi et de leur savoir-faire. Son parcours se confond avec celui de Lejaby, l’entreprise de confection où elle a passé toute sa carrière. « Nos industries qui étaient portées par des entreprises familiales ont été bouffées par les fonds de pension », résume-t-elle sans ambages. « Palmers, c’est eux qui ont foutu la marque en l’air. Ils ont tout cassé. Avec eux, la gamme a été aspirée par le bas. On ne reconnaissait plus nos produits. En deux ans, ils ont coulé Lejaby. » Quand Palmers, fonds de pension autrichien, reprend l’entreprise, en 2008, les salariées de la marque de lingerie sont déjà passé une première fois par la moulinette de l’américain Warnaco, le propriétaire précédent. Mais la suppression de la moitié des ateliers de production n’était qu’un prélude à la grande lessive finale. En 2010, deuxième plan social. Cette fois, sur les huit ateliers que comptait Lejaby, il n’en reste plus qu’un. L’avenir, pour un fonds de pension comme Palmers, ce n’est évidemment pas la France et ses petites mains « surpayées » (au Smic). L’avenir se trouve de l’autre côté de la Méditerranée, en Tunisie…
Une liquidation judiciaire comme cadeau de Noël
Le 22 décembre 2011, le tribunal de commerce de Lyon prononce la liquidation judiciaire de cette entreprise fondée 80 ans plus tôt. Pour les couturières de Lejaby, c’est le coup de grâce. Un mois plus tard, ce qu’il reste de l’entreprise est « racheté » au prix d’1 euro… par son sous-traitant tunisien. Sur les mille et quelques salariés que comptait Lejaby dix ans auparavant, il en reste moins de 200. Mais la colère de Nicole Mendez et de ses camarades couturières va se révéler bonne conseillère. Après avoir combattu en vain la délocalisation, elles se lancent dans une aventure aussi stimulante qu’incertaine : la création de leur propre atelier de production. Grâce notamment aux dons récoltés via leur page Facebook, elles constituent en quelques mois leur capital social. L’équipe de la coopérative d’intérêt collectif Les Atelières prend forme : trois hommes et vingt-trois femmes, dont quelques anciennes et beaucoup de jeunes. Nicole Mendez, associée-fondatrice de la Scic, reste pour sa part salariée de l’entreprise d’origine devenue Maison Lejaby. Mais c’est bien pour Les Atelières que bat son cœur. « On ne voulait plus de ces ateliers où les couturières n’avaient rien à dire », lâche la syndicaliste. Le 1er février dernier, trois semaines après le lancement, le changement de méthode était déjà perceptible au sein de l’atelier.
« L’ambiance ? Ça n’a rien à voir ! », confirme Christiane Favrin, qui avait été licenciée début 2012 après 37 ans de service chez Lejaby. « A Lejaby, c’était « travaille et tais-toi ». Les pauses étaient surveillées à la minute. Je travaillais dans une case, séparée des autres ouvrières. Ici, on fait les pauses ensemble et les formations aussi. »
« Transmettre nos savoirs », la bataille du « made in France »
Avant de se lancer dans le grand bain, les vingt-six salariés fraîchement recrutés par Les Atelières sont partis tous ensemble en formation. Deux mois pour se perfectionner, apprendre à se connaître, à travailler en collectif. « Cette expérience nous a vraiment soudés », reconnaît Elodie Foucher, Marseillaise de 23 ans, ravie d’avoir enfin trouvé un emploi de couturière cinq ans après l’obtention de son CAP. « On a tous été recrutés sur des valeurs », poursuit-elle. « Respecter l’autre, avoir la volonté d’avancer ensemble… » Johan Dampierre, l’un des trois hommes de l’équipe, se dit tout simplement « heureux ». « Mon embauche ici n’est pas un hasard », confie ce « brodeur haute couture » de 25 ans passé pendant un an par la case chômage. « Dans une coopérative, notre voix peut-être entendue, c’est quelque chose de très positif. » Comme nombre de ses collègues, le jeune homme a une idée en tête : « prouver que le made in France, c’est encore possible. » Malgré un contexte peu favorable, Nicole Mendez y croit dur comme fer.
« Aujourd’hui, les écoles n’apprennent plus aux jeunes le métier de couturière. Pourtant, les entreprises qui créent ont besoin de ces compétences. Nous, on ne cherche pas à s’enrichir. Ce qu’on veut, c’est porter ce métier, le faire revivre, transmettre nos savoirs. » « Créer ici un vivier de formation », voilà le projet à long terme de Nicole Mendez et des Atelières.
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