Pourquoi les femmes devraient-elles être les seules à assumer la contraception ? Dans « Les Contraceptés », enquête journalistique menée avec humour à la première personne, Guillaume Daudin, Stéphane Jourdain et Caroline Lee reviennent sur quarante ans de silence sur un impensé majeur de nos sociétés patriarcales. Un roman graphique sélectionné par la CCAS pour ses Rencontres culturelles 2023.
L’histoire
Tout commence par une discussion animée entre amis. Le sujet ? La pilule. « C’qui m’tue, s’exclame une jeune femme, c’est qu’il y a 300 trucs pour les meufs, que des trucs qui te retournent le bide ! Et les mecs, ils sont tranquilles ! » « Si y avait un truc, on le prendrait », répond Guillaume. Vraiment ? Ébranlés par le débat, Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, journalistes de leur état, vont se lancer dans une enquête aussi exaltante qu’ardue sur le tabou de la contraception masculine. Le tout est raconté dans un réjouissant roman graphique, avec beaucoup d’autodérision et un sens certain du don de soi…
« Les Contraceptés », de Guillaume Daudin, Stéphane Jourdain et Caroline Lee, éditions Steinkis, 2021
►À lire en accès libre sur la Médiathèque des Activités Sociales et à commander sur la Librairie des Activités Sociales : 14,25 euros au lieu de 19 euros (tarif CCAS, frais de port offerts ou réduits, connexion au site ccas.fr requise).
« Le principal obstacle au développement de la contraception masculine ? Les hommes ! »
Entretien avec Guillaume Daudin, co-auteur du livre, et Caroline Lee, illustratrice.
Comment vous est venue l’idée de commencer à travailler sur le sujet de la contraception masculine ?
Guillaume Daudin – En 2018, au moment où ma compagne était enceinte, nous nous sommes interrogés sur l’obligation qu’elle aurait de reprendre sa contraception une fois notre fils né. Après quelques recherches, je me suis rendu compte qu’il existait des moyens de contraception pour les hommes, et ce depuis quarante ans ! Ensuite, je me suis rendu compte que je ne m’étais jamais questionné là-dessus. Qu’est-ce qui dans ma construction personnelle et dans la société a pu m’empêcher de me renseigner avant l’âge de 35 ans sur tous les moyens de contraception alors que j’ai des relations hétéro stables ? Personne n’avait produit de travail journalistique là-dessus. J’ai donc voulu raconter cette histoire.
On apprend d’ailleurs dans votre enquête que la contraception ainsi que d’autres thématiques encore très actuelles – le consentement, une autre conception de la virilité, de la sexualité, de la paternité… – étaient déjà débattues dans les années 1970…
Guillaume Daudin – Lorsque des hommes se sont joints aux mouvements féministes des années 1970, les femmes les ont interpellés sur le mode : c’est sympa de prôner la révolution mais que faites-vous concrètement pour la mettre en place ? Ils se sont constitués en groupes de parole, pour discuter de la responsabilité de la contraception et plus généralement de la question de la volonté de procréer pour chacun d’entre eux. Ce qui a donné naissance à une association, l’Ardecom, qui a tenté contre vents et marées de développer des moyens de contraception masculine. Quelques centaines d’hommes les ont utilisées au début des années 1980, puis tout cela est retombé dans l’oubli et l’indifférence. Les fondamentaux de la société patriarcale restent forts aujourd’hui : comme le dit Stéphane [Jourdain], « les hommes touchent les dividendes du patriarcat chaque jour », et les quelques remises en cause qui émergent demeurent marginales.
Avez-vous tout de suite pensé à une enquête « à la première personne » ?
Guillaume Daudin – Je voulais initialement écrire un livre, avec Stéphane [Jourdain]. Puis des amis nous ont suggéré de raconter cette histoire en BD pour la rendre plus ludique et accessible. Nous avons rencontré Caroline, qui a mis tout cela en dessins. Nous avions raconté les interviews, les rencontres, mais le fil narratif qui allait accrocher les gens et rendre le récit plus sincère nous manquait : nous ne pouvions pas vanter quelque chose de progressiste sans donner notre position personnelle sur le sujet. Parler de nous n’a pas été facile, mais nous avons fini par insérer dans le récit des saynètes de notre vie intime pour montrer que ce sujet nous avait un peu bousculés. Et changés.
Pourquoi avoir choisi la forme du roman graphique ?
Guillaume Daudin – Il fallait rendre la chose accessible de différents points de vue. Tout d’abord, il était plus simple d’expliquer des choses relatives au fonctionnement du corps humain en dessins. Ensuite, il y a un accès d’ordre symbolique : ce sujet est un peu tabou car on touche à la virilité des hommes, au rapport des hommes à leur corps. Ils l’évoquent sous l’angle de la performance, mais peu sous celui de son quotidien, de son fonctionnement. Le roman graphique permet donc une mise à distance, en euphémisant via le dessin.
Comment vous êtes-vous rencontrés, et comment s’est organisé votre travail commun ?
Caroline Lee – J’ai été designeuse de chaussures pendant quinze ans, puis, je suis devenue styliste en free-lance et illustratrice. Par ailleurs, lorsque j’étais plus jeune, je voulais devenir écrivain puis journaliste. L’angle journalistique documentaire m’intéressait.
C’est notre agent qui nous a mis en contact en juillet 2019. Stéphane [Jourdain] et Guillaume [Daudin] avaient déjà réalisé une partie de l’enquête à ce moment-là, puis il y a eu le Covid. Je n’ai donc pas pu assister à beaucoup de scènes. Mais nous avons échangé régulièrement par messagerie, ils m’ont envoyé des photos, on a utilisé une carte interactive pour situer les lieux de l’enquête.
Il existe trois techniques de contraception masculine : la méthode hormonale par injection, le slip chauffant, qui fait remonter les testicules dans l’aine, et l’anneau chauffant, dont le principe est le même. Y en a-t-il une qui semble plus efficace ?
Guillaume Daudin – On manque de recul pour en juger. La méthode hormonale a été validée par l’OMS. La méthode thermique va faire l’objet de nouveaux tests. Ma propre expérience m’a montré qu’elle était fiable. En plus, elle a un effet d’inertie. Il faut l’utiliser très régulièrement mais l’oublier un jour n’a pas les mêmes conséquences que l’oubli d’une pilule féminine, qui peut mettre en péril tout le processus contraceptif.
Qui sont les « contraceptés » d’aujourd’hui ?
Guillaume Daudin – Ce sont des hommes d’une vingtaine d’année, en couple hétéro stable. Et ce ne sont pas forcément des cadres urbains version « Parisiens bobos » : on les croise beaucoup en province, dans des milieux alter, ruraux et autres. Leur compagne a des problèmes de contraception, donc ils se renseignent un peu et se rendent compte que des solutions existent. Ils s’y mettent de manière un peu pragmatique : ils vont regarder sur le web les avis de la communauté qui utilisent ces moyens de contraception. Ils tentent d’obtenir un suivi médical mais s’aperçoivent qu’ils sont bien mieux renseignés que les médecins ! Ils ne sont pas forcément militants pour la cause même s’ils ont plutôt une conscience progressiste.
Caroline Lee – Lors des tables rondes auxquelles j’ai assisté, il n’y avait que des Blancs et je n’ai jamais entendu parler de personnes d’ethnies différentes qui utiliseraient ces moyens de contraception. Il serait intéressant de creuser la question.
Quel est pour vous le principal obstacle au développement de la contraception masculine aujourd’hui ?
Guillaume Daudin – La volonté des hommes. Pour le moment, il n’y a pas d’immense engagement mais de nombreuses réticences.
Caroline Lee – Il y a quand même de l’espoir car de nombreux jeunes viennent à nos rencontres très motivés, et d’ici à dix ans, ce sera peut-être différent. Par ailleurs, la vasectomie a connu un certain essor ces dernières années en France.
Des livres à lire, des auteurs à rencontrer
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