Le 27 décembre dernier, le ministre algérien de l’Énergie inaugurait le premier puits de gaz de schiste du pays, à une trentaine de kilomètres de la petite ville de In Salah, dans le Sahara. Depuis, les manifestations n’ont pas cessé pour dénoncer l’impact environnemental de l’exploitation du gaz de schiste, en particulier le risque de pollution des nappes phréatiques.
Pour l’État algérien, qui tire 97 % de ses revenus de l’exportation des hydrocarbures, c’est une question de vie ou de mort. Les gisements actuellement exploités sont en passe de s’épuiser, tandis que la consommation d’énergie nationale explose du fait de la croissance démographique et du développement du parc automobile. Comme le reconnaissait récemment le Premier ministre algérien, le pays ne pourra plus exporter d’hydrocarbure à l’horizon 2030 si aucun nouveau gisement n’est découvert.
Or, gaz et pétrole non conventionnels abondent dans le sous-sol algérien. C’est du moins ce que laisse à penser la seule étude rendue publique à ce jour, publiée par l’US Department Energy Information Administration (EIA)*. L’Algérie aurait les troisièmes réserves mondiales de gaz de schiste (derrière la Chine et l’Argentine, mais devant les États-Unis), répartis en sept bassins (cf. carte) tous localisés dans le Sahara, dont le total équivaudrait à quatre fois les réserves algériennes actuellement prouvées en hydrocarbures conventionnels. Mais l’étude américaine ne repose que sur une modélisation de la géologie du sous-sol. Pour en confirmer les évaluations, des puits d’exploration doivent être forés. C’est ce qui a conduit la Sonatrach, société publique algérienne qui gère l’exploitation des hydrocarbures du pays, à lancer le premier puits, en partenariat avec Total, près de In Salah le 27 décembre dernier.
A la surprise générale, dans un pays où la société civile, traumatisée par la décennie noire du terrorisme islamiste, ne se fait guère entendre, des manifestations ont aussitôt éclaté à In Salah pour dénoncer le début de l’exploitation de gaz de schiste. La dernière en date a eu lieu le 22 mars, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau. Les protestataires avancent trois types d’arguments. Sociaux tout d’abord. Même si la Sonatrach annonce que 50 000 emplois pourraient être créés, les habitants de In Salah, ville de 32 000 habitants, minée par le chômage, craignent de ne pas en voir la couleur. Écologiques ensuite. La fracturation hydraulique, seule technique à ce jour disponible pour exploiter les hydrocarbures non conventionnels en injectant du liquide à haute pression, est grosse consommatrice d’eau. Le Sahara, paradoxalement, n’en manque pas dans les aquifères souterrains, relève Abdelmajid Attar, ancien PDG de la Sonatrach . « Mais la nappe phréatique est fossile, et ne se renouvelle pas ou peu. La fracturation hydraulique menace de polluer le sol » dénonce Hacina Zegzeg, une des coordinatrices du mouvement de protestation. Politiques, enfin. Alors que l’Algérie est déjà malade de sa rente pétrolière, qui nourrit la corruption et remplace les investissements productifs, n’y a-t-il pas d’autres choix de politique énergétique que de se lancer dans l’exploitation de gaz de schiste, avec l’assistance de sociétés étrangères ? En particulier dans une des zones les plus ensoleillées au monde, qui pourrait développer le photovoltaïque ? Tel est l’argumentaire de l’ancien vice-président de la Sonatrach Hocine Malti dans sa lettre ouverte Algériens, indignez-vous. (1)
En dépit de trois mois de protestations ininterrompues des habitants de In Salah, violemment réprimées par la police et même l’armée, le président Bouteflika a réaffirmé le 19 mars le choix de l’État algérien d’engager l’exploitation du gaz de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels. Pour les populations sahariennes, la bataille ne fait sans doute que commencer. De l’aveu même du ministre algérien de l’Énergie, trois ans au moins d’études prospectives seront nécessaires avant que le gisement de In Salah ne puisse commencer à être exploité.
*Agence indépendante de la statistique au sein du ministère de l’Énergie des États-Unis
(1) Voir aussi l’analyse de l’ancien PDG de Sonatrach, Abdelmadjid Attar : Algérie : faut-il avoir peur du gaz de schiste ?